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Récupérabilité des charges locatives : une apathie incompréhensible ! Le 20/7/2004
UI - Actus - 20/7/2004 - Récupérabilité des charges locatives : une apathie incompréhensible !
La situation est surréaliste : voilà près de deux ans que la Cour de cassation a placé une bombe à retardement dans les relations propriétaires-locataires et personne ne semble préoccupé à la désamorcer : pas plus le gouvernement, qui a botté en touche quand le logement était sous la responsabilité de Gilles de Robien en commandant un rapport, puis en l'enterrant sans sourciller, mais aussi les représentants des bailleurs qui sont directement menacés par l'explosion !...

La nature de la bombe ? Tout simplement une série d'arrêts dont nous nous sommes faits largement l'écho (voir notamment notre article de mars 2003), et qui rendent non récupérable par les propriétaires une partie potentiellement non négligeable des charges locatives : les charges de gardien considérées jusqu'ici comme récupérables à 75%, les charges du nettoyage des parties communes lorsque celui-ci est effectué par une entreprise, et plus anecdotiquement celles de la désinfection des vide-ordures hormis la part correspondant aux produits utilisés...

Pire, les locataires peuvent demander le remboursement des charges qu'ils auraient été payées à ce titre jusqu'à trente ans en arrière (1)!

L'information, qui était restée un temps confinée commence à se répandre et des actions de locataires, apparaissent, nécessairement couronnées de succès...

Un décret mal rédigé

Le responsable de cette situation ubuesque est le très célèbre décret du 26 août 1987 (2) qui régit depuis près de deux décennies dans un climat jusqu'ici apaisé la ventilation, parmi les charges réglées par les propriétaires, entre celles lui incombant (charges d'administration, de surveillance, d'assurance ou de travaux) et celles "récupérables" auprès des locataires (consommations, charges d'entretien, chauffage, etc.

Ce décret mettait fin à une longue guerre de tranchées, dont l'armistice avait été signé dans les 70 avec les accords "Delmon", et avait tellement fait l'unanimité qu'il avait été étendu à la virgule près au secteur HLM, qui faisait l'objet d'un décret distinct, le décret du 9 novembre 1982 ! Sans que personne ne se rende compte des conséquences d'un détail, la rédaction de son article 1 : "la liste des charges récupérables prévue à l'article 18 de la loi du 23 décembre 1986 susvisée figure en annexe au présent décret" ; autrement dit, tout ce qui n'y figure pas n'est strictement pas récupérable !

Une telle formulation supposait un "sans faute" dans celle des charges listées, qui évidemment ne s'est pas produit...


Trois arrêts ravageurs

C'est dans cette brèche que la Cour de cassation a tiré trois missiles, dans une logique qui ne peut pas lui être reprochée : quand un texte est mal rédigé, il ne lui appartient pas de l'infléchir ! Quels sont-ils ?

- un arrêt du 10 mars 1999 (3), coup de semonce concernant les frais de main d'oeuvre de débouchage des vide-ordures : il faisait remarquer que la liste des charges récupérables ne mentionnait pas les frais de débouchage des vide-ordures et ne visait que les produits de désinsectisation et de désinfection, laissant la main d'oeuvre incluse dans un facturation de prestation non récupérable...

- un arrêt du 7 mai 2002 (4) mettant en cause la récupérabilité des 75% du salaire et des charges sociales d'un gardien dans des circonstances particulièrement fréquentes, à savoir si celui-ci n'assure pas dans ses tâches contractuelles le nettoyage des parties communes et le service des ordures ménagères : il fait remarquer que l'article 2c du décret lie cette récupérabilité au fait que le gardien assure "l'entretien des parties communes et l'élimination des rejets", les deux tâches étant considérées cumulativement ! Si au moins l'une des deux n'est pas assurée, aucune récupération de son salaire ne peut être effectuée, et a fortiori si aucune des deux ne l'est...

- un arrêt du 30 octobre 2002 (5) confirmé par un arrêt du 24 mars 2004 (6) mettant en cause carrément la récupérabilité des prestations de nettoyage lorsque celles-ci sont effectuées par une entreprise : il fait remarquer que le décret, concernant l'entretien des parties communes, s'il admet (article 2a) qu'il "n'y a pas lieu de distinguer entre les services assurés par le bailleur en régie et les services assurés dans le cadre d'un contrat d'entreprise" et que "le coût des services assurés en régie inclut les dépenses de personnel d'encadrement technique", précise néanmoins que "lorsqu'il existe un contrat d'entreprise, le bailleur doit s'assurer que ce contrat distingue les dépenses récupérables et les autres dépenses" et par ailleurs indique que "lorsque l'entretien des parties communes et l'élimination des rejets sont assurés par un employé d'immeuble, les dépenses correspondant à sa rémunération et aux charges sociales et fiscales y afférent sont exigibles, en totalité, au titre des charges récupérables"...

Conclusion logique que nous avions mise en évidence dès mars 2003 : dans une prestation d'entreprise, ne sont récupérables que les salaires et charges sociales des employés effectuant le travail et ceux du personnel d'encadrement technique, mais pas les frais généraux de l'entreprise... ni son bénéfice, ni la TVA ! Comme aucune facture de prestataire ne fait ressortir deux premiers éléments, aucune n'est donc récupérable !


Un rapport consensuel

Le ministre de l'époque, sentant le danger, n'a pas manqué de réaction et a confié à une personnalité compétente le soin de déminer le terrain : son choix, judicieux, s'est porté sur Philippe Pelletier, Président de l'ANAH, qui a remis le 11 juin 2003 le rapport de sa mission, consistant à engager une large consultation sur la refonte (et l'unification) des décrets fixant la liste des charges récupérables. Ses conclusions ont reçu un accueil largement favorable, peu surprenant au vu de la qualité du travail accompli et l'importance des consultations réalisées en vue de le mener à bien !

Encore consultable sur le site du ministère du logement (7), il préconise un décret unique, une liste des charges récupérables actualisée, limitative mais révisée tous les 5 ans et pouvant faire l'objet de dérogations dans le cadre d'accords collectifs ; les "lièvres" levés par la Cour de cassation sont traités (notamment récupérabilité totale des contrats de prestations si le service rendu est récupérable, et récupérabilité de 50% et 25% du coût du gardien s'il ne fait qu'une des deux tâches mentionnées ou aucune des deux...)

Il préconise aussi, pour permettre une répartition des charges moins contestable, de réaliser avant fin 2005 pour tous les immeubles en mono-propriété qui n'en sont pas dotés un état descriptif de division, et recommande de ramener de 30 ans à 5 ans la durée pendant laquelle un trop payé de charges est "répétible", c'est à dire réclamable par le locataire...


Un enterrement de première classe...

L'enthousiasme réformateur d'un ministre, en charge également de l'équipement, des transports et de la mer, et qui avait aussi entrepris la réforme des incitations fiscales à l'investissement locatif destiné à porter son nom, a dû vite s'émousser, car après une saisine de la Commission Nationale de Concertation (qui regroupe les associations de bailleurs et de locataires) et la constatation, paraît-il, de quelques résistances de la part des associations de locataires, après tout dans leur rôle, le chantier semble aujourd'hui déserté ! Il est vrai que la bataille des régionales n'a pas tardé à se profiler et qu'une réforme des charges récupérables n'est pas la première idée de tout ministre soucieux de sa survie politique, quel que soit son rattachement, et aujourd'hui encore moins qu'hier...

Moins compréhensible semble le silence gêné de l'UNPI, la très active en d'autres circonstances Union nationale de la propriété immobilière, et des fédérations d'administrateurs de biens, dont les adhérents continuent à récupérer les charges comme si de rien n'était, en toute illégalité ! Il est vrai que faire du bruit sur cette affaire risque de favoriser la diffusion d'un "tuyau" gardé jusqu'ici dans les milieux généralement bien informés, mais cette politique "de l'autruche", indigne d'autorités politiques responsables de la "maintenance" de leur réglementation, a aussi ses limites : après un calme trompeur, l'aubaine commence à se savoir et le risque est sérieux de voir un nombre croissant de locataires se lancer dans une action où ils sont sûrs de gagner de l'argent à tous les coups !

Tôt ou tard le loup devra donc sortir du bois, et gageons qu'il sera très attendu...



(1) action en "répétition de l'indu" - CA Versailles, 1ère Ch., 2 juin 2000

(2) décret du 26 août 1987 pris en application de l'article 18 de la loi n. 86-1290 du 23 décembre 1986 tendant à favoriser l'investissement locatif, l'accession à la propriété de logements sociaux et le développement de l'offre foncière et fixant la liste des charges récupérables

(3) Cass. 3ème Ch. civ. 10 mars 1999, n°97-10499
(4) d°, 7 mai 2002, n°00-16268
(5) d°, 30 octobre 2002, n°01-10617
(6) Cass. 3ème Ch. civ., 24 mars 2004, n° 01-14439
(7) Rapport sur "les charges locatives"

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