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Individualisation des frais de chauffage dans les copropriétés : qui va vraiment en profiter ? Le 2/3/2016
UI - Actus - 2/3/2016 - Individualisation des frais de chauffage dans les copropriétés : qui va vraiment en profiter ?
Présentée comme une évidence - payer ce qu'on consomme induit des comportements économes -, la mesure que le gouvernement s'apprête à mettre en vigueur peut s'avérer largement antisociale. Certes, elle conduira à des économies. Mais combien ? Probablement moins que les 20 à 25% avancés par le syndicat de la mesure, suspect de partialité dans ce débat. Et surtout quels ménages vont être le plus incités à réduire leur chauffage ? Leurs économies ne vont-elles pas être au détriment des autres ? Qui paieront à leur place ou se restreindront, au dessous du confort minimal, se mettant en danger sanitaire comme le dénonce la Fondation Abbé Pierre ?

Les répartiteurs de frais de chauffage : un vieux serpent de mer



L'installation, au plus tard le 31 mars 2017, de compteurs thermiques pour répartir le coût de l'énergie dans les immeubles à chauffage collectif avait été rendue obligatoire par un décret du 23 avril 2012 et un arrêté du 27 août de la même année. Mais elle ne concernait que les immeubles collectifs ayant fait l'objet d'une demande de permis de construire déposée avant le 1er juin 2001, et dont la consommation dépasse 150 kWh par m² de surface habitable (SHAB) et par an. Ces textes ont en fait remis en vigueur une obligation datant d'une loi de... 1974, et qui faute de textes d'application mis à jour, était restée lettre morte. N'en sont dispensés que les immeubles dont l'installation de chauffage ne permet pas aux occupants de régler la quantité de chaleur souhaitée (chauffage par le sol par exemple). Pour les immeubles collectifs dont moins de 20% des émetteurs de chaleur sont équipés d'organes de régulation en fonction de la température intérieure de la pièce, le seuil de consommation est porté à 190 kWh/m²SHAB.an.

A part le Nord-est de la France, gros consommateur de chauffage, qui a vu l'équipement des immeubles progresser au fil du temps - peut-être aussi du fait de leur proximité avec l'Allemagne et le Luxembourg où le taux d'équipement des immeubles collectifs est majoritaire -, partout ailleurs, syndics et copropriétaires ont fait le dos rond, d'autant que les calculs pour déterminer si l'immeuble est au dessus ou au dessous du seuil de consommation fatidique n'est pas simple ! Les gestionnaires de copropriété et d’immeubles locatifs allaient être confrontés à deux difficultés importantes : pour tous, dans les immeubles où l’installation de chauffage collectif produit à la fois de la chaleur pour le chauffage et pour la production d’eau chaude sanitaire (ECS) collective, le calcul de la part de l’énergie consacrée au seul chauffage, doit se faire en déduisant de la consommation globale l’énergie consommée pour l’ECS. Pour les syndics de copropriété, une autre difficulté aurait été de calculer le total des surfaces habitables, au sens de sa définition légale : ils ne disposent pas en général de cette information.


Deux accélérations successives



La loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte n'a pas innové en la matière, l'administration, convaincue par le lobby des fabricants et exploitants de compteurs de l'effet vertueux de la répartition des charges en fonction des consommations, ayant déjà mis en place la réglementation dès 2012. Elle rend cependant obligatoire dans les copropriétés, à compter du 19 février 2016, d'inscrire les travaux d'installation de répartiteurs à l'ordre du jour des assemblées des immeubles concernés par la réglementation, et elle instaure une obligation de justification par les propriétaires d'immeubles et syndics de copropriétés de l'installation des répartiteurs de frais de chauffage dans le délai imparti, ainsi que la possibilité de contrôles et d'amendes en cas de non-respect des dispositions, pouvant aller jusqu’à 1.500 euros par logement et par an de retard !

La deuxième accélération vient d'un projet de décret mis en consultation avec beaucoup de retard en début d'année, qui étend l’obligation d’individualisation des frais de chauffage dans les immeubles collectifs. Il modifie le décret du 23 avril 2012 en supprimant l'exemption de cette obligation des immeubles ayant fait l'objet d'une demande de permis de construire déposée après le 1er juin 2001, ainsi que ceux dont la consommation de chauffage est inférieure au seuil de 150 kWh/m2/an. Désormais, comme suite logique de l’article 26 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, tous les immeubles à chauffage collectif seraient concernés par l’obligation d’installer des dispositifs d’individualisation des frais de chauffage, et pas seulement les immeubles énergivores, la date limite pour l’installation étant toujours fixée au 31 mars 2017.

Du coup, la mâchoire se refermerait sur toutes les copropriétés à chauffage collectif où l'installation est possible, et qui doivent impérativement faire voter dès cette année l'installation des répartiteurs et des robinets thermostatiques quand les radiateurs ou les émetteurs de chaleur n'en sont pas pourvus !


Des économies attendues, mais combien et au détriment de qui ?



Le gouvernement et les partisans de cette accélération insistent sur les économies attendues. Le raisonnement est logique : si chaque occupant peut moduler son chauffage, et paye le coût de sa consommation, il sera incité à baisser ses radiateurs quand il n'est pas là ou dans les chambres inoccupées. Le président de la Fédération nationale de l'immobilier, Jean-François Buet, dont les adhérents syndics sont plutôt réticents à l'égard de l'individualisation des charges de chauffage, appuyait ce raisonnement dans un communiqué diffusé le 13 janvier, s'agissant selon lui d'abord d'introduire de l'équité dans les immeubles. Le Syndicat de la mesure, qui représente 43 sociétés spécialisées dans la fabrication et l'installation d'instruments de mesure, affirme même que ce changement de comportement explique à lui seul la moitié des diminutions de consommation constatées dans plusieurs études européennes, menées principalement en Allemagne.

Une étude publiée en décembre 2015 en France portant sur 2.980 logements chauffés individuellement concluait aussi à une économie d'énergie de 19,82% en moyenne et très peu de copropriétaires perdants, pour qui la facture de chauffage a augmenté après la pose des compteurs ou répartiteurs.

Problème : ces estimations sont toutes le fait du "lobby des compteurs", comme le désignent les organisations de consommateurs, qui réclament une étude indépendante. Pour la CLCV (Confédération nationale logement et cadre de vie), des estimations aux alentours de 15% ou déterminant une fourchette allant de 7 à 20% seraient plus proches de la réalité. Même les simulations de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), pourtant favorable à la mesure, affirme dans un document d'information datant d'avril 2015, que "les économies d'énergie réalisées (...) peuvent être supérieures à 10%".

Or en premier lieu, la part des charges de chauffage susceptible d'être répartie en fonction des consommations relevées sur les répartiteurs n'est qu'au maximum de 70% de la part variable de ces charges, c'est à dire de la facture d'énergie débarrassée de l'abonnement et des taxes sur l'abonnement. Il faut aussi exclure la part de l'énergie consacrée à l'eau chaude sanitaire ! Cela ne représente donc qu'une fraction de la facture globale du chauffage qui comprend par ailleurs l'exploitation, la maintenance, et en ce qui concerne le chauffage urbain la redevance d'investissement. L'individualisation ne pourra donc porter au mieux que sur la moitié de la facture globale, si ce n'est que sur un tiers...

En second lieu, l'individualisation des charges de chauffage, si elle peut apporter des économies globales de consommation, a aussi pour les occupants un coût : celui de la location-entretien-relevé et exploitation comptable des compteurs répartiteurs. Pour des répartiteurs il faut compter 6 à 9 euros par an et par radiateur, plus un supplément d'honoraires légitime du syndic pour ses peines et soins, plus le coût de l'achat de robinets thermostatiques par chaque occupant s'il veut pouvoir faire des économies : 70 à 90 euros par radiateur ! Le tout à la charge de chaque copropriétaire, mais les locataires ne seront pas exonérés de la partie location-entretien relevé qui est considérée comme une charge récupérable par le propriétaire !

Or, pour que l'individualisation des frais de chauffage bénéficie aux ménages, il est nécessaire que les économies pouvant être générées par les dispositifs à mettre en œuvre soient supérieures aux coûts récurrents de ces installations. Cela ne peut être le cas que pour les seuls immeubles énergivores. Dans les autres, la généralisation des dispositifs d'individualisation va peser sur le pouvoir d'achat de 1,3 million de ménages en HLM et 2,3 millions de ménages en copropriété. Dans le seul parc social, l'impact de cette disposition coûtera en outre 670 millions d'euros, au détriment des investissements des organismes HLM sur l'entretien et la rénovation, notamment énergétique. Pour les copropriétaires, l'impact est estimé à 1,76 milliards d'euros.

Et même à supposer qu'économie substantielle il y ait, qui en profitera vraiment ? Le chauffage collectif chauffe l'immeuble dans son ensemble, y compris les parties communes. C'est ce qui explique au demeurant que la réglementation ne prévoie la répartition des "frais communs de combustible ou d'énergie" qu'à hauteur de 70% en fonction des consommations, 30% devant impérativement être répartis, en même temps que les frais fixes, au prorata des tantièmes fixes prévus au règlement de copropriété.

L'idée que de nombreux habitants des immeubles collectifs laissent inconsidérément leurs fenêtres ouvertes avec leurs radiateurs à fond est une vue de l'esprit, sauf quand les appartements sont surchauffés, ce qui met en cause l'entretien et la conduite de l'installation.

Imaginons ce qui se passera l'hiver dans la plupart des immeubles : les actifs auront tendance à fermer leurs robinets thermostatiques le matin en partant travailler, et à ne les rouvrir que le soir en rentrant, ou un peu avant lorsque seront disponibles à grande échelle les technologies de programmation ou de commande à distance. Pendant la journée, les immeubles se refroidiront, et ceux qui restent verront leurs radiateurs fonctionner à fond pour conserver a température dans leur logement. Cette minorité d'occupants verra sa consommation injustement augmentée, sans confort particulier, d'autant plus spectaculairement que l'immeuble est mal isolé, composé de logements inégalement situés à l'égard de l'ensoleillement ou de l'exposition au vent, et qu'on a individualisé les charges avant de réduire les déperditions énergétiques ! Ils chaufferont l'immeuble à eux tous seuls ! Or c'est parmi cette minorité que se trouvent la plupart du temps les personnes économiquement les plus fragiles : personnes âgées ou malades, travailleurs intermittents ou précaires, ou encore à domicile, femmes en congé parental d'éducation avec enfants en bas âge, etc. Beaucoup, au vu de leur facture, ne seront-ils pas tentés de ne pas se chauffer, s'exposant aux pathologies du mal-chauffement dénoncées cette année par la Fondation Abbé Pierre ?

Pour la CGL (Confédération générale du logement), dans une société qui aspire à plus de solidarité et d’entraide, cette mesure des pouvoirs publics favorise au contraire l’individualisme, le "chacun pour soi" au détriment d’une démarche collective. "Sous couvert d’encourager le développement durable, c’est le pouvoir d’achat qui se retrouve une nouvelle fois affecté". La CGL incite les professionnels du logement à réagir contre une mesure injuste, probablement peu efficace, et qui revient à rajouter une réglementation supplémentaire et inutile à celles déjà existantes.

Le puissant mouvement HLM, très soucieux de la réduction des charges, s’y oppose aussi avec force. L’Union sociale pour l’habitat s’est même associée à l’ARC, l’Association des responsables de copropriété, pour dénoncer "une mesure inutile et coûteuse".


Un frein à la rénovation énergétique ?



Après l'ARC (Association des responsables de copropriété) qui mène campagne sur ce thème depuis plusieurs années, l'UFC Que Choisir dénonce aussi cette mesure comme "l’arme anti-rénovation énergétique par excellence". Après l'installation de répartiteurs, il sera plus difficile dans les copropriétés d’obtenir un vote en faveur de gros travaux de rénovation énergétique, les résidents qui profiteront des économies étant tentés de s’y opposer ! Adieu donc la rénovation BBC (bâtiment basse consommation) que la loi sur la transition énergétique veut promouvoir.

Au lieu de pousser à fond l'amélioration des immeubles, les pouvoirs publics se laissent aller à favoriser le secteur industriel de la mesure, alors que celui de la rénovation énergétique reste à la traîne, faute d'avoir suffisamment de travaux pour amortir ses investissements. Des études montrent que faire une ITE (isolation thermique par l'extérieur) en Allemagne coûte moins qu'en France : dans les 90 euros/m2. En cause notamment le manque de concurrence des fabricants d'isolant, faute de marché...

Face à la levée de boucliers générale des consommateurs, des bailleurs et des associations de locataires, le gouvernement assouplira-t-il sa position ? Il ne reste que peu de temps pour publier le nouveau décret : la saison des assemblées avance et la convocation d'un grand nombre d'entre elles est déjà sous presse. L'administration, toute imprégnée de l'esprit COP21, fera-t-elle une fois de plus la preuve de sa déconnexion du terrain et d'une vision fantasmée de la réalité, privilégiant l'écoute des professionnels, encourageant inconsidérément et au détriment de ses objectifs un individualisme à grande échelle, faisant porter l'effort d'économie sur les plus fragiles ?

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