Une législation insatisfaisante, et depuis longtempsComme un vieux programme informatique, la loi du 10 juillet 1965 qui régit la copropriété des immeubles bâtis est devenue obèse, et difficilement maintenable. Chacun y est allé de ses modifications, et il y a longtemps que la Chancellerie ne joue plus son rôle de gardienne de la cohérence de la loi, contre les amendements intempestifs votés à la va-vite à toutes les occasions : lois sur la sécurité, lois pour la rénovation énergétique, lois pour le développement de la fibre ou l'encouragement à la création d'abris à vélos sécurisés... Plusieurs réformes ont tenté de l'assouplir, notamment pour faciliter la gestion et faciliter la prise de décisions, gênée par des majorités trop contraignantes : en 1984, en 1994, en 2000 (loi SRU), en 2006 et 2009, et en 2014 (ALUR). Et en fait elles l'ont alourdie et compliquée. Et malgré les tentatives de différencier un peu le régime suivant le type de copropriété - les très petites ou les copropriétés d'immeubles de bureaux ou de centres commerciaux - il reste encore trop monolithique, soumettant pratiquement aux mêmes règles des copropriétés de 2 et de 7.500 logements ! La commission relative à la copropriété (CRC), créée auprès du ministère de la justice en 1984 et qui a siégé jusqu'en 2014 (avant d'être supprimée avec des dizaines d'autres pour motif d'économie) a bien essayé d'aider à l'amélioration des textes et à leur bonne application, mais rien n'a pu enrayer le développement du phénomène des copropriétés en difficulté, ni la dégradation de milliers d'autres, victimes d'un statut qui privilégie les parties privatives et n'incite pas suffisamment les copropriétaires à se sentir investis de la pérennité d'un patrimoine collectif... Quant à la rénovation énergétique - avec 8,5 millions de logements sur 32 millions au total, la copropriété est pourtant incontournable dans la lutte contre les déperditions d'énergie et les émissions de gaz à effet de serre -, force est de constater qu'elle ne décolle pas ! Lucide, le ministère du logement, dans le cadre du Plan urbanisme Construction Architecture (PUCA), a lancé en 2016 une recherche de fond intitulée "Les copropriétés : vers une transition juridique ?", visant, à la lumière de l’expérience française mais aussi de celle d’autres pays, à formuler une ou plusieurs propositions de modification du cadre juridique des copropriétés, "permettant de faciliter la réalisation de travaux d’amélioration des parties communes en copropriété dans le cadre de la transition énergétique selon une dynamique de projet collectif adapté aux immeubles et aux ménages concernés". Mais l'équipe lauréate de l'appel d'offre, composée d'universitaires et dirigée par une sociologue, et dont on peut attendre un travail de qualité, ne remettra son rapport qu'en 2018... Une initiative officieuse...Très critique sur les objectifs de cette recherche, la Chambre nationale des experts en copropriété, présidée par un des grands spécialistes de la copropriété, Patrice Lebatteux, s'est constitué, un peu pour pallier la disparition de la CRC, son propre groupe de travail, le GRECCO (Groupe de recherche en Copropriété), réunissant des syndics, des avocats en droit immobilier, des notaires et des géomètres-experts, groupe de travail qui s'est, sous la présidence d'un autre juriste spécialiste de la copropriété, Hugues Périnet-Marquet, professeur de droit à l’université Panthéon-Assas, attelé à une réécriture de la loi. Simple exercice de style au début, dans l'esprit de la réforme récente du droit des contrats (officielle cette fois) : en principe à droit constant, en intégrant les acquis de la jurisprudence et de la "doctrine", sans remettre en cause les dispositions "politiques" comme le fonds de travaux ou le compte bancaire séparé, mais en retirant de la loi tout ce qui relèverait plutôt du pouvoir réglementaire... Destiné au départ à rester discret, à leurs dires, ce travail a été remarqué fin 2016 par le ministère de la justice qui a demandé qu'il soit accéléré et que le résultat lui soit remis, ce qui fut fait au printemps. Un projet d'habilitation à légiférer par ordonnance...Coïncidence ou pas, on apprenait au début de l'été que l'avant-projet de loi "relatif au droit à l'erreur et à la simplification", préparé par Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, comportait un article 32 autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnance pour l'adoption de la partie législative d'un code relatif à la copropriété des immeubles bâtis afin de regrouper et organiser l'ensemble des règles régissant le droit de la copropriété, modifier la législation actuelle pour déterminer les catégories d'immeubles soumis au statut de la copropriété bâtie, définir les règles d'ordre public et les règles supplétives ; adapter le régime ainsi défini en fonction de la taille de la copropriété et de la destination de l'immeuble, également clarifier les règles relatives à la prise de décision par l'assemblée générale des copropriétaires ou par une partie des copropriétaires, et d'une manière générale, fluidifier la prise de décision en matière de copropriété afin de prévenir le contentieux. Le Gouvernement pourrait également en vertu de cette habilitation apporter les modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes (en clair : sortir de la loi ce qui relève du pouvoir réglementaire) et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l'état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions devenues sans objet... Il n'en a pas fallu plus pour que le lien soit fait avec le travail du GRECCO, et que son projet, entre-temps largement diffusé, soit considéré comme le support de l'ordonnance envisagée. Ce qui n'a pas manqué de susciter les protestations des associations de consommateurs et de copropriétaires, écartées à ce jour de toutes les réflexions ! Une bombe dans le projet du GRECCOL'émoi a été d'autant plus vif que le projet du GRECCO, sous son aspect présenté comme anodin, recelait en réalité une mesure allant très au-delà d'un toilettage, à savoir la diversification des modes de gouvernance des copropriétés, avec trois régimes qui seraient susceptibles de s’appliquer en fonction de la taille et la composition de la copropriété : le régime classique avec syndic, assemblée et conseil syndical, avec même la possibilité de ne pas en créer ; un régime à syndic et conseil d’administration (à la place du conseil syndical) et avec assemblée aux pouvoirs nettement restreints ; et enfin un régime libre pour les syndicats composés exclusivement de personnes morales et sans habitations, comme cela est permis aujourd’hui par la loi ALUR. Les copropriétaires dans certains cas pourraient décider en assemblée d’opter pour un autre régime que celui dont ils relèvent en principe ; dans le deuxième régime, à l’exception de l’approbation des comptes, qui relèverait toujours de la compétence exclusive de l’assemblée générale, le conseil d’administration aurait, en plus des pouvoirs actuels du conseil syndical, celui de prendre seul les décisions qui relèvent aujourd’hui de l’assemblée statuant à la majorité de l’article 24 ; l’assemblée pourrait également à la majorité absolue lui confier le soin de prendre les décisions relevant de l’actuelle majorité de l’article 25. Donc de décider de tous les travaux, même d'amélioration ! En fait une révolution, qui renforcerait le pouvoir du couple actuel syndic-conseil syndical et risquerait d'accentuer un phénomène qu'on voit se développer dans les copropriétés d'une certaine taille : une coupure croissante entre ce couple, monopolisant le savoir et la connaissance des affaires de la copropriété, et le copropriétaire de base, appelé chaque année à entériner les décisions prises en petit comité... Pas sûr au demeurant que les syndics soient très favorables à ce schéma, qui renforcerait le pouvoir des conseillers syndicaux devenus administrateurs, et risquerait de les reléguer au rôle de simple exécutant, comme cela se passe dans les pays où les copropriétés sont gérées par un conseil d'administration puissant ! A moins que la difficulté de recruter des volontaires prêts à s'impliquer - la fonction restant en principe bénévole - ne conduise ces conseils à ne prendre aucune responsabilité sans l'aval de l'assemblée, ce qui viderait la réforme de sa substance... Pourquoi tant de précipitation ?Ce qui surprend le plus dans cette affaire, c'est l'impression d'urgence qui semble tout d'un coup animer les pouvoirs publics, et en particulier l'Elysée, puisque l'impulsion semble venir de là. Est-ce sous la pression de Nicolas Hulot, et le souhait d'obtenir des résultats rapides en matière de rénovation énergétique des copropriétés ? La méthode Macron en quelque sorte, celle du coup de pied dans la fourmilière pour débloquer un secteur qui patine ? Avec la copropriété, on peut douter qu'il s'agisse de la bonne méthode : en tous cas pas avant d'avoir analysé les freins qui empêchent la mise en mouvement en masse des copropriétés. Et pour cela, un cénacle de juristes, aussi pointus soient-ils - ceux du GRECCO ne manquent certainement pas de compétences - ne suffit pas : il faut étudier le terrain en profondeur, et celui-ci ne correspond pas à l'idée fantasmée qu'on en a dans les couloirs des ministères. L'association des responsables de copropriété (ARC), qui prépare un livre blanc sur le sujet, en a recensé une douzaine : parmi eux des dispositions légales et réglementaires incohérentes voire contradictoires entre elles ou avec l’objectif défini par la politique nationale de l’énergie, comme par exemple l'individualisation des frais de chauffage, coûteuse et qui risque de dissuader d'investir plus avant dans l'amélioratiuon de la performance énergétique puisqu'il suffit de bien contrôler son chauffage pour dépenser moins (1)... A prendre en compte également la difficulté de sensibiliser les copropriétaires à l'intérêt d'investir dans la rénovation énergétique, voire même à la conservation du patrimoine : suspicion à l'égard des "conseilleurs" de toutes sortes à commencer par leur syndic, doutes sur les temps de retour de l'investissement, vision court terme de beaucoup d'entre eux qui ont d'autres projets résidentiels. "Le temps de la copropriété n'est pas le temps des copropriétaires" disait dès 2012 le "rapport Braye" (2), inspirateur de la loi ALUR. Bref, est-ce le droit ou la sociologie qui font dysfonctionner la copropriété ? A mentionner également le manque de moyens de nombreux copropriétaires, guettés par la précarité, et des aides financières inadaptées aux copropriétés : trop complexes, trop disparates, tantôt individuelles et tantôt collectives, sans guichet unique, et probablement insuffisamment incitatives. Comme l'est aussi le marché immobilier, qui prend insuffisamment en compte dans la valorisation des biens la qualité de l'immeuble - difficile à évaluer en l'absence de diagnostic technique récent - et de la copropriété. La timide tentative de l'organisme Cerqual (Association Qualitel) et son label NF Habitat adapté aux copropriétés en exploitation et son démarrage confidentiel en témoignent. Un an après le lancement, seuls 7 syndics de copropriété ont obtenu à ce jour le droit d’usage de la certification et on ne dit pas combien de copropriétés de ces syndics ont opté pour le label... En tous cas, rien ne se fera sans une large adhésion des copropriétaires ; or les déposséder de leur pouvoir de décision au profit d'un conseil d'administration qui déciderait sans eux n'est certainement pas réaliste : là où des conseils syndicaux actifs et engagés "font le job", les travaux sont aujourd'hui votés à de larges majorités. Ailleurs, les copropriétaires ne suivront pas plus un conseil dit d'administration que leur conseil syndical actuel... (1) v. Universimmo.com - 2 mars 2016 Individualisation des frais de chauffage dans les copropriétés : qui va vraiment en profiter ? (2) ANAH - janvier 2012 - Rapport : "Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés - Une priorité des politiques de l'habitat UniversImmo.com |
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