Indigence de la compréhension des mécanismes des marchésPas un mois ne passe sans qu'une déclaration d'un homme ou d'une femme politique ne révèle une ignorance affligeante des mécanismes qui régissent la formation des prix immobiliers. Dernier en date : le ministre des comptes publics et du budget, Gérald Darmanin, qui pour justifier son opposition à une imposition des plus-values sur la vente de la résidence principale, aujourd'hui exonérées, expliquait qu'elle inciterait les propriétaires à augmenter leur prix pour la compenser ! Quelques mois plus tôt, on a voté un plafonnement des honoraires des agents immobiliers intervenant dans la commercialisation des logements locatifs en défiscalisation Pinel, au motif que ces honoraires augmentaient les prix du neuf vendu avec cet avantage fiscal. Ineptie encore si on remonte un peu plus loin quand à la fin de son quinquennat, Nicolas Sarkozy a préconisé une augmentation de 30% des plafonds de densité de construction, pensant que le fait de pouvoir construire plus sur un même terrain ferait baisser les prix des appartements construits, alors qu'une telle mesure, appliquée sans accompagnement ne peut que faire grimper d'autant le prix des terrains... Il est vrai que la diffusion de la connaissance du marché et l'explication de ses mécanismes fondamentaux, notamment par l'intermédiaire des médias, est presque entièrement aux mains des professionnels, dont les intérêts sont loin d'être ceux du plus grand nombre. D'où leur bonheur quand le marché est comme actuellement "dynamique" (synonyme de grand nombre de transactions et de prix en hausse) ! La recherche académique est quasi-inexistante et les voix dissonantes par rapport à une vision orthodoxe du marché inaudibles. Les illusions de la loi de l'offre et de la demandeLes milieux économiques ont beau jeu de s'abriter derrière la loi de l'offre et de la demande, car elle les arrange : pour lutter contre la pénurie, il faut construire, ce qui n'est pas faux, mais réducteur, et inapplicable à des marchés comme Paris où, pour contrer la lame de fonds haussière des prix par le jeu de l'offre et de la demande, il faudrait inonder le marché avec au moins un demi-million de logements neufs, ce qui est évidemment impossible ! Mais c'est pourtant la seule réponse proposée à qui pointe du doigt les effets ravageurs de la hausse des prix sur les classes moyennes et populaires, reléguées de plus en plus loin en périphérie de la capitale et des grandes métropoles économiquement dynamiques, où se concentrent la plus grande partie des emplois. On explique doctement que les terrains étant rares, ils sont chers, ce qui fait monter le prix du neuf, qui tire les prix de l'ancien, on n'y peut rien ! De plus les normes de construction ajoutent une couche au coûts de production. Solution, libérons le foncier des contraintes d'urbanisme, supprimons ces normes environnementales et d'accessibilité stupides qui renchérissent inutilement la construction (entendu à l'UNPI), et empêchons les recours en cas de non respect de la réglementation. On y reconnaît le leitmotiv des promoteurs, repris sans filtre par les médias, et ayant fini par contaminer les pouvoirs publics, puisqu'une partie au moins de ces revendications figure au moins partiellement dans les réformes de ces dernières années ! Ce raisonnement a l'apparence du bon sens, et pourtant il est faux ! En fait, c'est tout le contraire : c'est l'ancien qui tire le neuf, car c'est le marché de loin le plus volumineux, les promoteurs ne pouvant s'écarter des prix qui s'y forment que dans la mesure où cela se justifie par la qualité : c'est la prime du neuf par rapport à l'occasion... A son tour, c'est le marché du neuf qui fait le prix des terrains : un terrain nu n'a en effet pas de valeur intrinsèque, mais seulement celle que va lui accorder celui qui va construire dessus, par rapport au prix qu'il va pouvoir tirer de sa construction ! C'est la valorisation "à rebours" comme l'appellent les experts : prix de vente des produits finis - bénéfice du maître d'ouvrage - coût de construction = valeur du terrain, c'est à dire en fait le prix maximum que mettra un promoteur ou un lotisseur sans quoi il ne fera pas l'opération, soit parce qu'elle ne lui rapportera pas suffisamment pour rémunérer ses peines et soins, soit parce qu'il devra mettre ses produits à un prix auquel ils ne trouveront pas d'acheteur ! Enfin le marché de l'ancien et du neuf ainsi décrits tirent celui de la location privée, avec toutefois un butoir : l'effet de plafonnement des loyers créé par le manque de locataires solvables (1). Mais ce frein n'est pas assez puissant, car les investisseurs ne représentent qu'une faible part des acquéreurs dans l'ancien (15 à 20%, sauf marchés particuliers) La formation des prix : un mécanisme reposant uniquement sur les acquéreursOn pourra alors se demander qu'est-ce qui fait le prix de l'ancien, puisque c'est ce dernier qui tire les autres ? Il suffit pour y répondre de consulter la carte des territoires, celle du marché de l'emploi, celle des établissements scolaires et universitaires, celle de l'équipement hospitalier, celle des transports, et celle des revenus des ménages. Tout d'abord un prix est la somme d'argent totale (commissions, taxes et frais compris - il est ahurissant de voir que cette évidence n'est claire que par une minorité, même chez les professionnels !) qu'un acquéreur est prêt à mettre pour acheter un bien, sachant qu'il va dans 95% des cas au mois le financer par un crédit, si bien qu'entre en ligne de compte l'apport personnel qu'il va devoir débourser, et les mensualités du remboursement. Ce prix est fonction de la valeur que le bien a à ses yeux, cette valeur n'ayant pas de fondement propre (coût de production par exemple) mais résultant seulement du désir que l'acquéreur a de l'acheter, et de sa capacité de financer ce désir. La loi de l'offre et de la demande n'est pas niée pour autant, mais un marché est tendu ou déprimé par le fait que les biens offerts sont désirables ou pas à un grand nombre d'acquéreurs potentiels, disposant ds moyens de se les offrir. A noter que les prix sont faits par deux catégories d'acquéreurs : les primo-accédants, qui ont un apport personnel faible au départ, n'ayant pas d'autre bien à vendre pour financer leur achat, et les secondo-accédants, qui vendent un bien pour en acheter un autre. Sur un marché tendu, désiré par un grand nombre d'acquéreurs, où les prix ont déjà un historique de hausse, les secondo-accédants auront plus de moyens que les autres et auront tendance, dans un contexte de concurrence entre acquéreurs, a accepter un prix plus élevé, l'effort financier à fournir étant allégé par la plus-value réalisée sur la revente. Du coup, plus un marché attractif aura un fort taux de secondo-accédants, plus il aura de facilité à s'envoler, comme on le voit à Paris et quelques marchés de centre ville. La formation des prix : un mécanisme sociologique autant qu'économiqueOn se demandera alors ce qui fait le plus ou moins grand désir d'acquérir un bien, et d'y mettre ou pas le prix fort ? Les facteurs sont pour une large part liés à l'environnement économique : dynamisme du bassin d'emplois et transports principalement. Mais il y a également plusieurs autres facteurs qualitatifs et culturels. On remarquera que les facteurs de cette valorisation sont indépendants de la qualité du parc immobilier, ce qui permet les phénomènes de gentrification de quartiers médiocres, à l'amélioration desquels les acquéreurs vont petit à petit remédier à coup de rénovations, soit directement, soit par l'action de leurs collectivités : celles-ci disposant de ressources accrues par l'arrivée d'habitants plus pécunieux, se mettent rapidement à investir dans l'amélioration de l'aménagement urbain... Mais on remarquera surtout que la valorisation de l'immobilier, génératrice de hausse des prix et de confortables plus-values (200% à Paris depuis 1990), a deux causes fondamentales : la métropolisation (concentration de l'attractivité économique sur un petit nombre de métropoles au détriment des villes moyennes qui se dévitalisent peu à peu), et l'investissement public (routes, autoroutes, TGV, écoles et universités, nouveaux hôpitaux, équipements culturels, et plus largement tous les investissements d'embellissement de la ville), qui profitent également prioritairement aux métropoles en renforçant leur attractivité (2) ! Une génération de valeur pour la petite population d'heureux propriétaires aux frais de la collectivité toute entière... Bien entendu, cette population de propriétaires va se recruter auprès de catégories socioprofessionnelles de plus en plus aisées, se concentrant dans les quartiers les plus attractifs (les plus beaux, les mieux desservis, les mieux équipés pour l'enseignement, la culture, la santé), les autres, et notamment les primo-accédants, n'ayant pas les moyens de suivre (pour acheter 75m2 dans un immeuble et un quartier moyen à Paris, un ménage doit gagner 11.000 euros par mois). Et l'homogénéité sociologique de ces propriétaires va être renforcée par l'effet d'entre soi culturel, lui-même agissant sur les édiles locaux et les milieux de l'éducation et de la culture, pour y concentrer les meilleurs professeurs, les spectacles de plus haut niveau, et ainsi de suite. Le marché immobilier : une machine à creuser les inégalitésLa mainmise par les milieux les plus aisés des secteurs urbains les plus attractifs a récemment été accélérée par la politique des banques à l'égard du crédit immobilier : voyant leurs marges financières (le produit net bancaire) laminées par la baisse des taux d'intérêt, elles ont largement ouvert les vannes du crédit immobilier en tant que moyen d'acquisition de clients captifs pour leurs services bancaires financiers et assurantiels, les seuls qui les font vivre réellement : une politique de taux plancher (bientôt zéro %), de crédits à 100% voire plus, d'allongement des durées, dirigée évidemment sur la clientèle la plus aisée parce que moins risquée, lui permettant de surenchérir sur le marché immobilier et donc de faire monter les prix. Et c'est cette clientèle qui, si cette mécanique perdure - et on ne voit pas dans les politiques publiques actuelles ce qui pourrait l'en empêcher -, va empocher plus tard les plus belles plus-values ! Une mécanique typique de celles par lesquelles le système économique dominant creuse inexorablement les inégalités de patrimoine et les inégalités des chances suivant l'appartenance territoriale... On peut s'y résigner, mais beaucoup de récents évènements montrent la fragilité des sociétés occidentales. Lutter contre suppose évidemment de le vouloir, et néanmoins d'en comprendre le fonctionnement réel, et de mesurer la profondeur des racines du mal. On peut à cette lumière apprécier la pusillanimité des mesurettes de la loi ELAN, que le gouvernement s'évertue à présenter comme la solution au problème du logement en France... (1) Universimmo.com - 21 mai 2019 : "Où va le marché immobilier résidentiel ?" (2) INSEE Première n°1771 - 5 septembre 2019 : "Les emplois se concentrent très progressivement sur le territoire, les déplacements domicile-travail augmentent" UniversImmo.com |
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