C'est la thèse développée par le cabinet de conseil Immogroup Consulting dans une étude publiée en janvier 2011, signée de deux de ses dirigeants,
Jean-Michel Ciuch et Evelyne Colombani. Selon eux, l'influence de l'immobilier d'entreprise dans le développement et l'aggravation des difficultés auxquelles est confronté le marché résidentiel est un sujet occulté depuis de nombreuses années. C'est particulièrement le cas en Ile-de-France, qui souffre aujourd'hui d'une pénurie criante de logements, notamment dans le secteur social et intermédiaire, et en même temps d'une surproduction de bureaux. Or parmi les principaux facteurs expliquant la crise du logement, on trouve d'une part une offre foncière insuffisante contraignant la production, face à l'accroissement du nombre des ménages gonflant la demande, et d'autre part le retrait des bailleurs institutionnels du marché résidentiel restreignant l'offre locative. Dans les deux cas l'immobilier d'entreprise n'est pas étranger à cette situation.
La disponibilité du foncier en faveur de l'économie résidentielle dépend elle-même de l'allocation des droits à construire entre immobilier d'habitation et immobilier d'entreprise. Or, depuis une dizaine d'années, le développement de l'immobilier d'entreprise a été clairement privilégié en Ile-de-France. "Plusieurs centaines de milliers de m² de droits à construire ont été détournés au profit de l'immobilier d'entreprise, dont la rentabilité fiscale et financière attendue par les élus et investisseurs apparaissait bien plus alléchante que celle du logement et dont l'appétit en foncier était devenu considérable : les années 2000 ont vu en effet l'émergence d'une nouvelle catégorie d'actifs caractérisés par leur gigantisme tant en bureaux (taille variant de 20.000 à plus de 60.000 m² utiles) qu'en entrepôts (la surface utile de certains parcs logistiques pouvant dépasser 120.000 m²), indique l'étude. "Par ailleurs, en raison de l'arrivée massive de capitaux notamment étrangers, l'échelle des valeurs de référence s'est inversée sur le marché professionnel qui s'est mis à fonctionner en vase clos: de nombreux acteurs dont le comportement s'est avéré moutonnier et spéculatif, ont exclu les fondamentaux (quel est le volume des besoins ?) de leurs analyses et l'immobilier professionnel s'est progressivement dématérialisé", poursuivent les auteurs.
Ainsi, au cours de la dernière décade, le parc francilien de bureaux a crû en moyenne de près de 1,9% par an et celui des entrepôts de 7% par an quand le parc de logements n'aura guère progressé annuellement de plus de 0,9%. Chiffre plus révélateur encore selon l'étude : entre 1999 et 2009, la variation annuelle moyenne des surfaces mises en chantier a été positive de +3,1% en bureaux, locaux d'activités et entrepôts alors qu'elle a été négative en logements (-2,7%).
Du coup, l'excès de stock en locaux professionnels équivaudrait théoriquement au déficit cumulé d'offre en logements au cours de ces 5 dernières années, disent les auteurs de l'étude. Le résultat est spectaculaire et exprime à lui seul l'importance du gaspillage des ressources foncières et immobilières: le déficit de construction en immobilier résidentiel excèderait 15.000 unités par an soit 150.000 unités depuis 2001 (et plus de 9.000.000 de m² habitables). Le stock total à un an de locaux disponibles de bureaux et d'activités (i.e. le stock de locaux en cours de commercialisation considérés comme étant immédiatement disponibles et de locaux commercialisés qui seront disponibles sous un an) approche aujourd'hui 9.500.000 m² dont plus de la moitié constitue une offre excédentaire représentant un gisement potentiel supérieur à 75.000 équivalents logements ! Du moins si l'on ne tient pas compte des locaux ou terrains qui, de par leur structure ou situation particulière, ne peuvent raisonnablement pas bénéficier d'une transformation ou affectation résidentielle...
Le plus dommageable est que cette abondance de bureaux, parce qu'elle s'est faite au détriment du logement, dessert plus qu'elle ne sert le développement de la région capitale : "l'existence et l'aggravation de ce déséquilibre incitent et inciteront de plus en plus d'entreprises nationales et internationales à afficher un moindre intérêt pour l'Ile-de-France en raison des difficultés croissantes rencontrées pour loger leurs salariés, a fortiori à un coût raisonnable", avancent les auteurs. "Ces salariés continueront de subir, en outre, d'importants problèmes de transport. Les mobilités résidentielle et professionnelle seront de plus en plus pénalisées. La dynamique et la fluidité du marché de l'emploi seront davantage affectées. Les ménages eux-mêmes, à la recherche d'une meilleure qualité de vie, moins coûteuse, préfèreront de plus en plus la Province". Et d'ajouter que ces contraintes pèseront nécessairement sur la croissance économique régionale. "D'ailleurs, l'Ile-de-France souffre déjà d'un déficit migratoire concernant la tranche 30-45 ans", remarquent-ils. La situation présente fait également de plus en plus office de repoussoir pour les jeunes actifs dont le pouvoir d'achat ou de louer un logement est limité. "Dans cette optique, la menace d'une fracture économique et sociale avant 2020 apparaît bien réelle" conclut l'étude.
Pour l'éviter, Jean-Michel Ciuch et Evelyne Colombani avancent deux séries de propositions : une "carotte fiscale" avec une exonération partielle ou totale des plus-values immobilières pour la cession de locaux professionnels transformés en habitation, et une incitatation à la modernisation du parc d'immobilier d'entreprise existant grâce notamment à une TVA à 5,5%; et un "bâton", au moyen d'une modification des règles d'urbanisme en faveur de la construction de logements.
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