L'encadrement des loyers par plafonnement, tel qu'institué par la loi "ALUR" du 24 mars 2014, était dans une impasse. Cécile Duflot avait voulu qu'il s'applique dans toutes les zones à marché locatif tendu, et la loi a été rédigée en ce sens. Mais devenu Premier ministre en 2014 en même temps que Cécile Duflot quittait le gouvernement, Manuel Valls a décidé, sans faire modifier la loi, que l'encadrement ne s'appliquerait à titre expérimental qu'à la ville de Paris. Puis il a admis son application aux communes volontaires. Il s'agissait de calmer le bâtiment et les promoteurs qui attribuaient à cette mesure le marasme de la construction dans les premières années du quinquennat. L'encadrement a été finalement instauré à Paris au 1er août 2015, puis à Lille au 1er février 2017 sur demande de sa maire, Martine Aubry. Grenoble s'est également déclarée volontaire mais elle attendait d'avoir un observatoire des loyers agréé.
A noter que le Conseil d'État avait déclaré illégale la décision de Manuel Valls d'arrêter l'application de l'encadrement tel que le prévoyait la loi, qui l'étendait à 28 agglomérations de plus de 50.000 habitants où il existe "un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logement", au motif que "la Constitution ne permet pas au pouvoir réglementaire de procéder à une mise en œuvre de la loi à titre expérimental lorsque la loi ne l'a pas elle-même prévu". Il arriva ce qui devait arriver, les tribunaux administratifs de Lille, puis Paris ont annulé les arrêtés fixant les loyers de référence applicables dans les deux villes, au motif qu'ils s'appliquaient à des territoires trop restreints et non à toute une agglomération.
Ne voulant pas enterrer trop vite une mesure, certes honnie dans les milieux de l'immobilier, mais très populaire chez les locataires, le nouveau gouvernement, sensible à la ponction qu'opère sur le pouvoir d'achat des ménages le niveau atteint par les loyers dans les zones tendues, n'a pas voulu mettre un terme à l'expérimentation. Il a fait appel des jugements, sans trop y croire, mais pour gagner du temps en attendant la loi "logement", devenue loi "ELAN" (Evolution du logement et aménagement numérique), puisse légaliser la situation bancale laissée par le gouvernement précédent.
C'est ce qui a été prévu dans le projet de loi adressé au Conseil d'Etat à l'issue des travaux de la conférence de consensus clôturée au Sénat le 8 février dernier. D'un côté le texte (article 48 du projet de loi) confirme l’obligation de créer des observatoires locaux des loyers (OLL) agréés par l’État dans toutes les zones tendues, permettant une meilleure connaissance des marchés "dans un souci de transparence et de fluidité", mais par ailleurs, il prévoit que l’encadrement des loyers ne sera mis en place qu'"à titre expérimental" pendant 5 ans à compter de la publication de la loi, et à la demande expresse, non pas d'une commune seule, mais d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent en matière d’habitat, et sur les seuls "territoires présentant un écart important entre le niveau de loyer moyen constaté dans le parc locatif privé et le loyer moyen pratiqué dans le parc locatif social, un niveau de loyer médian élevé, un taux faible de logements commencés, rapporté aux logements existants sur les cinq dernières années, et des perspectives limitées de production pluriannuelle de logements inscrites dans le programme local de l’habitat et de faibles perspectives d’évolution de celles-ci". Donc pas forcément sur l'ensemble du territoire de l'EPCI...
Il est néanmoins précisé que la commune de Paris (exception notable), les établissements publics territoriaux de la métropole du Grand Paris, la métropole de Lyon et la métropole d’Aix-Marseille-Provence pourront également présenter ce type de demandes. En clair, l'application de l'encadrement cesse de s'imposer à l'ensemble des zone tendues mais à des territoires précis sur demande, ce qui supprime les risques d'annulation pour application trop limitée géographiquement. On notera avec malice que Paris pourra le demander pour la ville seule, mais que pour les autres territoires de l'Ile-de-France, la demande ne pourra venir que de la métropole du Grand Paris, ce qui vu sa majorité politique, risque assez peu d'arriver. De même pour Lille, où Martine Aubry devra convaincre la métropole, ce qui avec sa majorité gauche-droite n'est pas gagné d'avance...
Par contre, le projet de loi favorise le développement des observatoires des loyers en supprimant le lien entre l'agrément d'un observatoire et la mise en place d'un encadrement. Auparavant en effet, dès qu'un observatoire était agréé sur un territoire, le préfet devait fixer les loyers de référence médians, majorés et minorés, et faire appliquer l'encadrement. Cette automaticité avait freiné le développement des observatoires, les professionnels résistant à leur obligation de les alimenter. Or ces observatoires sont nécessaires à une meilleure connaissance des marchés ! Il sera donc obligatoire de créer ces observatoires locaux des loyers (OLL) agréés par l’Etat dans les zones dites tendues, à savoir les zones d’assujettissement à la taxe sur les locaux vacants (TLV), sans que ce développement n’emporte nécessairement encadrement des loyers. Le projet de loi permettra notamment, pour ce faire, aux agences d’urbanisme d’être agréées observatoires des loyers. L'observatoire CLAMEUR, alimenté par les professionnels à l'échelle nationale, pourrait être mis à contribution, mais il faudrait que l'administration surmonte sa réticence à recourir à des sources d'information privées !
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