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Statut de la copropriété : une n ième réforme, pour quoi faire ? Le 23/4/2018
UI - Actus - 23/4/2018 - Statut de la copropriété : une n ième réforme, pour quoi faire ?
Nous n'avons pas manqué de nous étonner qu'à peine assimilée la loi ALUR, le gouvernement se soit lancé dans une nouvelle réforme du droit de la copropriété, qu'il annonce de surcroît ambitieuse (1) ! Après pas moins de six grands remaniements, que peut apporter une nouvelle réforme ? L'étude d'impact du projet de loi "ELAN" lève un voile sur les intentions - au moins avouées - des commanditaires...

Un état des lieux incontestable



Tel un vieux programme informatique, la loi du 10 juillet 1965 et son décret d'application du 17 mars 1967, à force d'être modifiés et re-modifiés, sont devenus de plus en plus difficilement maintenables ! "Entre 1990 et 2015, le nombre de mots dans la loi a été multiplié par 5 (de 6.500 mots à plus de 30.000 mots)", nous dit l'étude d'impact du projet de loi "ELAN". Pas moins de 6 réformes majeures : 1985, 1994, 2000 (SRU), 2006 (ENL), 2009 (loi MLLE ou Boutin), et enfin loi ALUR du 24 mars 2014, sans oublier les retouches de la loi Macron du 6 août 2015 ! La répercussion sur le décret d'application a chaque fois suivi tant bien que mal, mais celle de la dernière réforme n'a même pas encore eu lieu...

Ce n'est pas tout : les dispositions concernant la copropriété, longtemps contenues dans les textes fondateurs, ont commencé à essaimer dans d'autres secteurs du droit : certaines dispositions issues de la loi ALUR, spécifiquement conçues pour s’appliquer aux immeubles en copropriétés, ont été intégrées au Code de la construction et de l’habitation ou CCH (articles L711-1 et suivants sur le registre d’immatriculation des copropriétés, L721-1 et suivants sur l’information des acquéreurs de lots, L731-1 et suivants relatifs à l’entretien, la conservation et l’amélioration des immeubles relevant du statut de la copropriété). Par ailleurs, les dispositions relatives à l'individualisation des frais de chauffage sont dans le Code de l'énergie.

Même chose pour la partie décrets. Le décret du 17 mars 1967 a connu la même inflation, et des dispositions sont également disséminées dans la partie réglementaire du CCH ou sont restées totalement autonomes : décret du 30 mai 2001 fixant le contenu du carnet d’entretien de l’immeuble, décret et arrêté du 14 mars 2005 relatifs
aux comptes du syndicat des copropriétaires, décret du 28 avril 2017 relatif aux places de stationnement adaptées dans les parties communes des copropriétés...

Cette complexité encourage-t-elle l'inflation des contentieux ? L'étude d'impact pointe le taux de contentieux généré par les assemblées générales : selon les statistiques du ministère de la Justice pour l’année 2016, les actions tendant à contester les décisions prises par les assemblées de copropriétaires ont représenté environ 18% du contentieux de la copropriété soumis aux tribunaux de grande instance. Pour les auteurs du texte, une
simplification du processus de prise de décision par le syndicat favoriserait une baisse de ce type de contentieux. Ils s'abritent aussi derrière les "professionnels du secteur", toujours prompts à dénoncer "l'inflation normative", pour induire que le formalisme du droit de la copropriété "constitue un frein à la bonne gestion des
copropriétés et ne permet pas d’atteindre les objectifs de performance énergétique des bâtiments".


Une codification et un toilettage des textes bienvenus



La loi "ELAN" autorise le gouvernement à "procéder par ordonnance à l'adoption de la partie législative d'un code relatif à la copropriété des immeubles bâtis afin de regrouper et organiser l'ensemble des règles régissant le droit de la copropriété". Il pourra, à ce titre, "apporter les modifications qui seraient
rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés, harmoniser l'état du droit, remédier aux éventuelles erreurs et abroger les dispositions devenues sans objet".

Oeuvre salutaire, du moins si elle permet de moins solliciter la Cour de cassation ! Sont visés des sujets obscurs au commun des mortels mais dont sont friands les juristes :

- le régime des parties communes spéciales (parties communes de bâtiments, cages d'escalier, halls d'entrée...) dont les charges ne sont réparties qu'entre les lots qu'elles desservent, et dont il s'agit d'unifier la propriété indivise restreinte et donc la décision lorsqu'il faut voter des travaux les concernant, leur usage et utilité, et la charge de leur entretien ;

- le statut des jouissances privatives sur des parties communes qui doivent impérativement être accessoires à des lots de parties privatives, et non constituer des lots en elles-mêmes ce qui aboutit à une aberration juridique incompréhensible pour les copropriétaires !

- la stabilisation des notions de lot transitoire, et de droits accessoires accessoires aux parties communes, ainsi que les liens possibles entre état descriptif de division et partie contractuelle du règlement de copropriété...


Au delà, une volonté de réforme aux objectifs multiples



Mais toiletter n'est pas le seul objectif du gouvernement : il s'agit aussi "d'améliorer la gestion des immeubles", et "revoir les règles de gouvernance des copropriétés, en les adaptant en fonction de la destination et de la taille de la copropriété afin d’améliorer leur gestion". Le texte d'habilitation invite notamment le gouvernement à "clarifier, moderniser et adapter" les "règles relatives à la prise de décision par le syndicat des copropriétaires ainsi que les droits et obligations des copropriétaires, du syndicat des copropriétaires, du conseil syndical et du syndic".

Derrière ces formulations apparaissent plusieurs intentions. En premier lieu celle - bienvenue - de différencier plus nettement qu'aujourd'hui les types de copropriétés : petites copropriétés, copropriétés ne comprenant que deux copropriétaires, grandes copropriétés, copropriétés comportant exclusivement des lots de bureau ou de commerce... Aujourd'hui, des dérogations sont déjà possibles pour les copropriétés de moins de 10 lots principaux dont le budget prévisionnel sur trois exercices est inférieur à 15.000 euros, ou pour les copropriétés de personnes morales et sans lots d'habitation. L'étude d'impact suggère d'aller plus loin.

Pour les très petites copropriétés, les pistes sont la dispense de syndic ou de conseil syndical, l'assouplissement des règles de convocation et de tenue des assemblées générales, la facilitation des actions en paiement des charges, l'application de certaines règles relatives à l’indivision, ou le recours simplifié au syndicat coopératif.

Pour les grandes copropriétés, l'étude d'impact pointe "la lourdeur du formalisme de l’organisation des assemblées générales, les problèmes de décompte des voix, l'absentéisme très marqué compliquant l’adoption de résolutions essentielles, etc." ; la proposition du GRECCO n'est pas loin : il s'agit du "Groupe de recherche en Copropriété", réunissant des syndics, des avocats en droit immobilier, des notaires et des géomètres-experts, groupe de travail qui, au sein de la Chambre nationale des experts en copropriété s'est, sous la présidence d'un autre juriste spécialiste de la copropriété, Hugues Périnet-Marquet, professeur de droit à l’université Panthéon-Assas, auto-saisi d'une réécriture de la loi. Comme le suggérait le GRECCO, les auteurs du texte proposent, pour les copropriétés au dessus d'un certain nombre de lots, "d’adopter d’un régime d’administration spécifique (facultatif ou obligatoire...) qui pourrait se traduire par des délégations de pouvoirs (générales ou spéciales) à un conseil syndical renforcé, sous le contrôle de l’assemblée générale des copropriétaires, tout en prévoyant l’intervention d’organes externes, notamment pour vérifier les comptes". Le GRECCO l'appelait un "conseil d'administration", mais apparemment le mot fait peur...


Faciliter le vote de travaux ?



L'idée serait que le vote des travaux d'entretien et plus singulièrement les investissements d'amélioration de la performance énergétique sont freinés par les assemblées générales, et qu'une façon de lever ce frein serait de les contourner ! Vision tout à fait irréaliste de la copropriété, qui permet de faire l'économie d'une réflexion sur les raisons pour lesquelles les assemblées ne votent pas comme on le voudrait ! Pourtant cette réflexion est menée actuellement, et notamment par l'Agence parisienne du climat (APC) ou des associations comme l'ARC (Association des responsables de copropriété), qui a publié un Livre blanc en février dernier (2). Aucune trace d'identification des règles régissant les assemblées générales ou plus généralement des règles juridiques de gouvernance des copropriétés comme étant le problème qui freine leur nécessaire rénovation. A croire que l'administration et les juristes ne pensent qu'en termes d'institutions et de droit, alors que le problème est ailleurs : dans les moyens mis en oeuvre pour atteindre les objectifs poursuivis : absence de politique nationale en matière d’entretien et de rénovation des copropriétés, information et pédagogie insuffisante à l'égard du public comme des professionnels encore très en arrière de la main sur le sujet et sur les enjeux impliqués, insuffisant développement de l’assistance à maîtrise d’ouvrage publique ou privée, absence calamiteuse d'accompagnement à la mise en place de fonds de travaux dignes de ce nom, instabilité des aides financières, etc.


Faire du conseil syndical un conseil d'administration ?



Pire : s'il s'agit de renforcer le conseil syndical, le projet d'habilitation reste à mi-chemin ! Il se garde bien de remettre en cause "l’équilibre des pouvoirs entre le syndic, organe de gestion, et le conseil syndical, organe d’assistance et de contrôle", et n'envisage qu'une "réflexion pour favoriser l’investissement des membres", et ne cité parmi les possibilités qu'une "dotation par l’assemblée générale d’un budget de fonctionnement" (cela existe déjà...), "une assurance responsabilité civile obligatoire des membres à la charge du syndicat" (il suffit déjà aujourd'hui d'adhérer à une association de copropriétaires !), "la suppression de la désignation judiciaire du conseil syndical dont l’efficacité ne peut reposer que sur le volontarisme des membres (sic)" et, pour le cas des grandes voire très grandes copropriétés (plus de 100 ou 150 lots), "rendre plus efficace son action en élargissant éventuellement le champ de ses délégations de pouvoirs et son rôle en cas de syndicats secondaires". Ce n'est pas tout : "l’attribution au conseil syndical d’une fonction pédagogique d’information et de sensibilisation des copropriétaires sur les questions communes intéressant la copropriété pourra également être mise à l’étude"...

Espérons que le parlement au cours de la discussion de la loi aura plus d'imagination. Par exemple se référer à ce qui se passe dans les pays où les copropriétés sont gérées par un vrai conseil d'administration, doté d'un pouvoir décisionnaire, mais qui s'engage en contrepartie à l'égard des copropriétaires sur un budget et s'il y a lieu un programme de rénovation-amélioration, le syndic ou l'administrateur professionnel qui en tient lieu, n'étant qu'un exécutant du conseil !

Encore faut-il avoir des copropriétaires aptes et prêts à assumer de telles responsabilités, d'où l'impossibilité d'envisager ce mode de gouvernance autrement qu'à titre optionnel, pour tenir compte de l'existence de copropriétés où ces ressources humaines n'existent pas ! Sinon, ce qu'on qualifiera de conseils d'administration ou de conseil syndicaux renforcés se couleront dans le moule des conseils syndicaux actuels et soumettront à l'assemblée générale la moindre de leurs décisions...

Intéressant également de consulter les pistes avancées pour "moderniser le processus de décision par les assemblées générales", dont il est tout de même précisé que les solutions pourraient être "différenciées en fonction des caractéristiques de l’immeuble" :

- "possibilité d’adresser certaines notifications sur l’extranet de la copropriété,
- "facilitation des procurations,
- "autorisation de procéder à un vote par correspondance, à recourir à la visioconférence,
- "incitation des copropriétaires à s’investir davantage dans leur copropriété en renforçant leurs droits et moyens d’actions, par exemple en étendant leur possibilité de solliciter la
convocation de l’assemblée générale, pour statuer sur une question concernant leurs droits et obligations, ou en créant une action susceptible d’être engagée par un copropriétaire dans l’intérêt du syndicat des copropriétaires, en réparation du préjudice subi par ce dernier, en cas de carence ou d’inaction du syndic, abaissement des seuils de majorité requis pour la prise de certaines décisions en fonction de leur nature et de leur importance pour la copropriété, (par exemple s’agissant des travaux de rénovation et d'économie d'énergie ou de réduction des gaz à effet de serre, dans la perspective de l'amélioration de la performance énergétique du bâti et dans le prolongement de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique ayant créé la catégorie des travaux dits
embarqués, etc.),
- "élargissement de la catégorie des travaux décidés par l’assemblée générale, même à l’intérieur de parties privatives, auxquels les copropriétaires concernés ne pourraient faire obstacle
(article 9 de la loi du 10 juillet 1965).

Pourquoi pas, mais cela ressemble plus à un "vide grenier" de suggestions diverses glanées dans les consultations des parties prenantes, qu'à une vraie réforme de gouvernance réfléchie et cohérente ! Et surtout ce catalogue méconnaît une des faiblesses essentielles du statut actuel des copropriétés : celle qui vient de ce que le temps de la copropriété n'est pas celui des copropriétaires! Entretenir un immeuble exige un plan d'entretien du patrimoine à hauteur des besoins sur l'horizon de prévisibilité des gros travaux qui est de 20-25 ans ; or la durée moyenne de présence d'un copropriétaire dans une copropriété est de 7 à 10 ans, et pour les plus jeunes des accédants de 3 à 4 ans du fait dans leur tranche d'âges de l'accroissement rapide de leur famille. Seul un provisionnement obligatoire du fonds de travaux fondé sur une programmation sérieuse sur l'horizon de prévisibilité, par l'insertion dans les charges d'un amortissement des composants remplaçables de l'immeuble et de provisions pour grosses réparations sur son gros oeuvre, permettront d'assurer aux copropriétés les moyens nécessaires au financement des travaux lorsqu'ils deviennent nécessaires. Et cela ne vaut que pour l'entretien long terme du bâti. Les financements pour l'investissement additionnel dans l'amélioration de la performance énergétique restent encore à trouver...

Or pour des copropriétaires qui ont acheté sans avoir la moindre idée du coût de la simple conservation de leur immeuble, l'effort est tout simplement insurmontable, et vingt réformes du droit n'y pourront rien !



(1) Universimmo.com - 6 novembre 2017 : Réforme de la copropriété : ne pas se tromper de diagnostic !

(2) Universimmo.com - 7 février 2018 : Les propositions de l’APC et de l'ARC pour contribuer aux objectifs de rénovation énergétique des bâtiments


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