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Luc Standon
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Posté - 02 nov. 2011 :  03:03:54  Lien direct vers ce sujet  Voir le profil
Quand le bâtiment va à tout-va
Folles constructions au Maroc


L’on entend pas toujours très bien lorsqu’un vent de liberté vous souffle à l’oreille. Au Maroc, les habitants de la région d’Agadir ont cru comprendre que le roi autorisait temporairement toutes sortes de constructions. Une rumeur qui a déchaîné les truelles…

C'est au sud d’Agadir, ville côtière et touristique du Maroc, qu’est apparue pour la première fois, en mars 2011, l’incroyable rumeur : « Le roi autorise pendant trois mois toutes les constructions ! » Très vite, dans la région agricole et pauvre d’Aït Bahia, Sidi Bibi et Massa, les habitants entérinent cette – supposée ! – décision royale permettant à chacun d’avoir enfin un toit sans passer par le labyrinthe des administrations, souvent synonyme de corruption.

En ce mois de mars, cela fait déjà quelque temps que le Royaume Chérifien connaît une vague d’agitation sociale inspirée des soulèvements que connaissent les pays du Maghreb. Le 14 janvier, le Tunisien Zine el-Abidine Ben Ali avait pris la tangente. Début février, des manifestants avaient défilé dans plusieurs villes algériennes. Le 11 février, c’était au tour d’Hosni Moubarak de lâcher le pouvoir. Le 20 du même mois, au Maroc, des manifestations réunissent près de 40 000 personnes pour réclamer la fin de la monarchie absolue, de la corruption et la création d’une nouvelle constitution. À Tanger, Larache, Tétouan ou encore Marrakech, les forces de sécurité interviennent violemment. Des bâtiments officiels, des sièges de multinationales, des banques, des gendarmeries sont incendiés (5 personnes sont retrouvées mortes dans une agence bancaire saccagée à Al Hoceima). Le 9 mars, le roi Mohammed VI annonce : « Nous avons décidé d’entreprendre une réforme constitutionnelle globale […] dans les domaines politique, économique, social, culturel et de développement. »

Après sa première apparition au sud, la rumeur contourne Agadir par le nord. Aourir, village connu pour ses fameuses bananes guadeloupéennes, se transforme en vaste chantier. Tamgarht et deux villages du littoral, Tamaouanza et Aghoud, sont à leur tour touchés. On trace, on creuse et on bâtit. « Des convois de camions transportant parpaings, ferrailles, ciment, approvisionnent des milliers de maçons improvisés, nous explique Kenza, une habitante. Au bord des routes, des jeunes vendent des pierres devenues, en quelques semaines, très chères dans la région. » On se précipite pour passer outre les bureaucrates chargés des plans d’occupation des sols, évitant ainsi la case corruption. Dans les rues, l’on dit que cette autorisation royale court jusqu’au référendum (le 1er juillet, 98 % des électeurs auraient voté pour le changement de constitution…). D’autres affirment que l’échéance est fixée aux législatives (elles auront lieu le 25 novembre 2011), sans que jamais aucun texte officiel ne vienne confirmer cette ouverture de droits. Rapidement, alors que les plus pauvres ont été les premiers à bâtir et à arrêter les chantiers faute d’argent, des bâtisseurs plus fortunés se lancent frénétiquement dans la maçonnerie. « Beaucoup de ceux qui construisent parient sur la revente de leurs maisons à des étrangers qui viennent profiter de la beauté des lieux et des vastes plages désertes, souligne Kenza. C’est aberrant. Ils jouent contre eux-mêmes. Qui voudra venir dans ces villages défigurés par ces nouvelles habitations sans électricité, ni eau, ni système d’assainissement ? » À Tamaouanza, le terrain destiné à la création d’un nouveau collège se couvrirait de constructions sauvages, pendant que le projet de gendarmerie serait mis à mal par l’apparition de nouvelles maisons.

Ici, les actes de propriété sont une denrée rare. « Le tremblement de terre de 1960 a tué plus de 12 000 personnes dans la région d’Agadir. Beaucoup de survivants ont été déplacés et ont dû abandonner leurs terrains qui sont donc restés sans propriétaire, poursuit Kenza. Des murs improbables se montent à la va-vite. Le tracé des rues, sans cesse mouvant, disparaît puis réapparaît ailleurs. Des maisons existantes se voient d’un coup privées d’accès et de lumière. Les lits et les bords des oueds erratiques et dangereux s’emplissent d’habitations. Ceux qui s’affirment propriétaires d’un terrain, où s’activent dorénavant des maçons travaillant jour et nuit, exhibent de vagues documents sans valeur. Et quand il n’y a plus d’argument, les gens se tapent dessus. Les familles s’en mêlent. Les jeunes rappliquent… »

Le 18 juillet, les autorités d’Aourir, encadrées par des forces de police, décident de détruire pour l’exemple trois constructions réalisées par… des conseillers municipaux ! La résistance se transforme en émeute et, le soir même, le bâtiment du Caïdat est en partie saccagé.



Folie collective ? Le roi ne s’est-il pas adressé au peuple en affirmant qu’il considérait avec attention ses revendications ? Pris pour argent comptant, ses propos semblent avoir libéré la pression imposée par la corruption, jusqu’à donner à de paisibles villages l’air de ces camps où les réfugiés occupent chaque mètre carré. La ville est le lieu d’une identité collective, dit-on. Ici, c’est plutôt la course à l’acquisition d’espaces privés… Une anomie, caricature et copie des pratiques et calculs que subit la population.

Source : paru dans CQFD n°92 (septembre 2011), par Gilles Lucas, illustré par Mric

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