S'il ne s'agissait d’évènements survenus en France, on pourrait croire qu'on parle de l'Etat grec ! Dans un rapport publié le 5 juillet, la Cour des comptes accable l'Etat aussi bien dans l'application de la législation de l'urbanisme en matière de risques naturels que dans sa gestion des effets des inondations de 2010. Un exemple : la surveillance de l'entretien des digues de protection. Sur 95% du linéaire en Charente-Maritime, l'Etat n'a pas été en mesure d'identifier le responsable de la digue ! Quant aux moyens engagés par les collectivités et l'Etat, ils étaient notoirement insuffisants. Même chose dans le Var : les quatre cours d'eau à l'origine des inondations sont toutes non domaniales. Leur lit appartient aux propriétaires des deux rives, en principe tenus à leur entretien. Dans les faits, le rapport note que les rivières n'ont été entretenues ni par les riverains ni par les collectivités, qui auraient pu se substituer aux propriétaires défaillants.
On rappellera le bilan humain de la tempête Xynthia - qui avait frappé le littoral atlantique le 27 février 2010 - et des inondations qui, le 15 juin de la même année, avaient submergé les communes du Var : 64 personnes décédées, deux disparues, des centaines de blessés et de familles sans toit. Le bilan financier est aussi calamiteux ! Xynthia et les inondations du Var ont coûté 658 millions d'euros à l'Etat et aux collectivités locales et 1,3 milliard d'euros aux compagnies d'assurances, dont 640 millions d'euros pris en charge par le système de garantie "catastrophes naturelles".
L'incurie commence dès la prévention : la Cour des comptes dénonce un "Etat faible" et un urbanisme incontrôlé ; elle souligne les "insuffisances persistantes" qui ont conduit les collectivités locales, sous la pression des promoteurs, à ignorer les risques naturels : dans les trois départements concernés - la Vendée, la Charente-Maritime et le Var -, les préfets avaient établi un dossier départemental sur les risques majeurs (DDRM) trop "général" et non "actualisé". De leur côté, seule une minorité de communes avaient élaboré un "document d'information communal sur les risques majeurs" (DICRIM). Et depuis la catastrophe, il n'y a pas eu de progrès : dans le Var, seules 32 communes sur 153 ont transmis un DICRIM à la préfecture. Autre défaillance cette foie des préfets : les "atlas des zones inondables" - une cartographie des risques qui, en l'absence d'autres documents, peut empêcher des constructions dans les zones inondables - n'avaient pas, dans le Var, été transmis aux maires concernés ! En Vendée, les documents avaient bien été envoyés, mais ils sous-estimaient les risques de submersions.
Défaillance d'Etat enfin : le rapport souligne que les plans de prévention du risque inondation (PPRI), qui permettent de maîtriser l'urbanisme, n'ont pas été prescrits dans toutes les zones à risques, et que là où ils l'ont été, ces plans avaient fait l'objet de trop de négociations pour être encore contraignants. "L'Etat, à travers ses représentants les préfets, n'a pas toujours su résister aux pressions des élus", dénoncent les auteurs du rapport. Et ne sait toujours pas : la Cour des compte estime que "les oppositions locales, tant des habitants que des élus, n'ont pas disparu"...
La situation est d'autant plus grave qu'à cette défaillance s'ajoute selon les enquêteurs la faiblesse du contrôle des actes d'urbanisme exercé par les préfets !
La Cour des comptes dresse aussi un bilan calamiteux des systèmes d'alerte et de secours, dont les carences n'ont été que partiellement corrigées. "Il reste beaucoup à faire pour disposer d'un réseau d'alerte de la population performant", indique le rapport. Plusieurs casernes de pompiers avaient été construites en zones inondables et envahies par l'eau, comme à l'Aiguillon-sur-Mer, compétente pour intervenir à la Faute-sur-Mer, en Vendée, là où le bilan humain a été le plus lourd avec vingt-neuf morts. Et la situation était connue des autorités ! Egalement inondé en 1999, puis en 2010, le centre de Rochefort est toujours sous étude en vue de sa reconstruction. A Draguignan, dans le Var, l'inondation du centre de secours avait noyé les installations téléphoniques et informatiques, rendant toute communication impossible.
Par ailleurs, la Vendée est le seul département de l'Ouest à ne pas disposer d'hélicoptères publics et obligé d'attendre ceux de Charente-Maritime. Et, lorsqu'ils sont arrivés, des difficultés de transmission entre les hélicoptères et les sauveteurs au sol ont encore entravé les secours.
Gabegie enfin dans les indemnisations : la réaction du gouvernement de François Fillon et sa politique de rachat du bâti est très sévèrement dénoncée par la Cour des comptes : "précipitation excessive" après la tempête Xynthia, concertation insuffisante, délimitation improvisée des zones de rachat amiable, dites de " solidarité ", avant d'opter finalement, après avis d'experts, pour la définition de zones d'expropriation beaucoup plus restreintes. Résultat, on a racheté inutilement dans les deux départements atlantiques au prix fort des maisons pour 316 millions d'euros, permettant aux propriétaires de faire des confortables plus-values en exonération d'impôt, comme dans un cas cité d'un bien immobilier à la Faute-sur-Mer racheté 602.776 euros alors qu'il avait été acquis pour 300.000 euros en 2007 !
Alors que le Code de l'environnement prescrit que de telles opérations, ne soient engagées que sous réserve que le prix "s'avère moins coûteux que les moyens de sauvegarde et de protection des populations", aucune comparaison n'a été faite par les services de Jean-Louis Borloo pour les indemnisations suita à Xynthia. La situation de chaque habitation n'a pas été analysée. De même qu'aucun contrôle n'a été effectué sur l'existence d'un permis de construire ou de contrat d'assurance !
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