C'est devenu une routine : chaque année, la Fondation Abbé Pierre tire la sonnette d'alarme un peu plus fort. Dans la 18e édition de son rapport sur le mal logement, elle chiffre à 0,685 million le nombre de personnes privées de domicile personnel, à 2,78 millions celles vivant dans des conditions de logement très difficile (privation de confort, surpeuplement grave), et à 5,1 millions celles en situation de réelle fragilité à court terme, dont 1,22 millions de locataires en impayé, et 3,22 millions en situation de surpeuplement au sens large. Ainsi 8,2 millions de Français vivent en situation de difficulté plus ou moins grave liée au logement.
Même si ces chiffres n'ont pratiquement pas bougé depuis 2011, le mal-logement atteint à présent les classes moyennes. L'accélération de la progression du chômage et de la précarité en 2012 risque malheureusement d'augmenter encore le nombre de mal-logés dans les deux ou trois années qui viennent, au fur et à mesure que les demandeurs d'emploi longue durée d'aujourd'hui deviendront des chômeurs en fin de droit...
La Fondation Abbé Pierre reprend le chiffre communément admis de 900.000 logements manquants par rapport aux besoins de la population française. Elle attend que les décisions politiques s'inspirent du "Contrat social pour une nouvelle politique du Logement", signé par le président de la République le 1er février 2012 alors qu'il était en campagne électorale, contrat qui constitue désormais pour la Fondation Abbé Pierre "la grille d'analyse et d'évaluation des mesures adoptées (ou qui doivent l'être) par le nouveau gouvernement".
Pour les quelques 150.000 personnes sans domicile, les dispositifs d'hébergement d'urgence sont saturés. Le principe fondamental de l'accueil inconditionnel n'est toujours pas effectif en 2012. Les demandes d'hébergement reçues au 1156 ont augmenté de 37 % en novembre 2012 (par rapport à novembre 2011), de 52% chez les jeunes de 18 à 24 ans et de 60% chez les familles avec enfants, désormais majoritaires. Faute de places disponibles, plus de 3 personnes sur 4 n'obtiennent pas de prise en charge. L'augmentation des appels au 115 se manifeste dans des territoires
qui étaient jusqu'à présent épargnés, y compris en zone rurale, sachant que de nombreuses personnes n'appellent plus par découragement...
La hausse des prix augmente la part du logement dans le budget des ménages sans que les aides au logement ne parviennent à la compenser ; la fondation cite le rapport de l'IGAS 2012 selon lequel "certains ménages supportent aujourd'hui, malgré le bénéfice de l'aide, des taux d'effort prohibitifs et des restes à vivre particulièrement faibles".
La fondation rappelle également que les impayés progressent et tous les indicateurs disponibles soulignent une inquiétante dégradation de la situation. En 2012, selon un bilan effectué par l'UNCCAS, les difficultés quotidiennes liées au paiement du loyer ou des factures d'énergie sont devenues le premier élément déclencheur des nouvelles demandes d'aides adressées aux CCAS. Le Secours Catholique signale dans son dernier rapport que sur 60% des 1,422 millions de personnes accueillies en 2011 confrontées à des impayés, 40% des cas concernent le loyer et l'énergie.
Difficultés également pour les familles : "si tant de pères passent si peu de temps avec leurs enfants, c'est aussi un problème de logement", avait lancé la Fondation Abbé Pierre dans le cadre de la mobilisation générale pour le logement en 2012. Elle souhaitait attirer l'attention sur les difficultés que peuvent avoir des pères séparés pour accueillir leurs enfants quand ils ne disposent pas d'un logement suffisamment grand ! En se transformant, la famille s'expose davantage aux difficultés de logement. "La source principale de fragilité réside dans la constitution de ménages où il n'y a plus qu'un seul adulte, et donc qu'une seule source de revenu dont ni le niveau, ni la permanence ne sont assurés en période de crise économique. La transformation de la famille s'accompagne alors bien souvent d'une précarité accrue, et de l'entrée dans l'incertitude de ménages qui précédemment arrivaient à faire face aux dépenses de la vie quotidienne", indique la fondation.
En attirant l'attention sur les "familles fragiles", elle souhaite mettre en lumière deux évolutions distinctes mais également préoccupantes. La première est due à la crise du logement qui déstabilise les familles ; la seconde est liée à la profonde mutation des structures familiales, qui élargit le cercle des ménages exposés au mal-logement. La crise du logement contraint les familles à s'éloigner, ou à vivre dans de mauvaises conditions. Elle compromet aussi les projets conjugaux et familiaux. Les CAF dénombrent de plus en plus de personnes déclarant vivre en couple bien qu'elles ne partagent pas le même logement que leur conjoint(e)...
Les médias ont également mis en évidence que la crise du logement contraint aussi d'autres couples à continuer de vivre ensemble alors qu'ils ont décidé de se séparer ! Elle contrecarre la politique familiale qui a jusqu'ici dynamisé la démographie française : le nombre d'enfants par couple, peut à terme en être réduit. De manière générale, elle freine le développement personnel de nombreux jeunes et retardant leur autonomisation !
Enfin, les cohabitations subies au sein de la famille concernent également de nombreux adultes, d'âge plus avancé (voire d'âge mûr) qui, face à des accidents de la vie, sont contraints de revenir vivre chez leurs parents (ou leurs enfants). "C'est le cas de jeunes trentenaires, ceux que l'on appelle "la génération boomerang" qui n'ont pas d'autre choix que de revenir habiter avec leurs parents suite à une dégradation de leur situation professionnelle, une séparation de couple ou d'autres événements déstabilisants qui altèrent leurs ressources, et ne laissent pas d'autre choix que de renoncer (au moins provisoirement) à se loger par soi-même. C'est le cas également de certains seniors notamment lorsque le passage à la retraite provoque une diminution importante des ressources ; la situation est plus difficile encore quand ces personnes, principalement des femmes, n'ont pas eu de carrière complète ou se retrouvent seules après le décès de leur conjoint...
La Fondation Abbé Pierre souhaite ainsi une fois de plus attirer l'attention des responsables politiques sur quatre enjeux majeurs qu'il convient de ne pas éluder pour atteindre les objectifs du "Contrat social" : produire suffisamment de logements pour répondre aux besoins sociaux, maîtriser les loyers et améliorer la couverture des aides au logement, refonder la politique en faveur des sans-abri et des mal-logés, et enfin poursuivre la rénovation urbaine et relancer la politique de la ville.
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