Dans le cadre de sa difficile négociation avec les collectivités territoriales sur la répartition de l'effort de réduction des dotations de l'Etat, le gouvernement a annoncé avoir trouvé une nouvelle piste pour aider les départements à financer la solidarité nationale (RSA, personnes âgées, handicapés) : un accord signé le 16 juillet avec l'association des départements de France, dominée par des élus de gauche, donne la possibilité aux départements d'augmenter les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui constituent avec les émoluments des offices notariaux ce qu'on appelle communément les "frais de notaire" à la charge de chaque acquéreur immobilier. Le plafond maximum passerait à de 3,8 à 4,5% dans les lois de Finances de 2014 et 2015. L'ensemble des départements français appliquant aujourd'hui le taux maximum, et les communes percevant 1,2% supplémentaires, le taux des droits de mutation passerait ainsi de 5 à 5,7%.
Les réactions ont fusé immédiatement, reprochant au gouvernement de "déshabiller Pierre pour habiller Paul", comme le dit dans un communiqué virulent Jean-François Buet, le très remonté président de la FNAIM. "On savait que les départements peinaient à financer la solidarité nationale et qu'ils tiraient la manche de l'Etat pour les y aider. On n'aurait pas imaginé que l'Etat allait (...) [faire] simplement payer la facture aux acquéreurs de logements anciens", souligne-t-il, qualifiant la proposition qui sera ainsi faite au Parlement d' "indécente, inopportune et irresponsable".
La crainte est évidemment que cela nuise encore à l'activité du marché immobilier, en recul de près de 30% par rapport aux années fastes, ce qui met à la peine les promoteurs, les agents immobiliers, les notaires, et au delà les entreprises et artisans de la rénovation du bâtiment et même le commerce du bricolage et les activités de l'ameublement et de l'équipement de la maison. Les nouveaux acquéreurs, lorsqu'ils s'installent font en effet des travaux et investissent dans de nouveaux meubles, cuisines équipées, etc.
L'annonce a d'autant plus surpris qu'on entendait il y a peu évoquer la possibilité, pour relancer et fluidifier le marché immobilier, de supprimer les droits de mutation au profit d'une imposition de la détention des biens, plutôt que leur vente. Les droits de mutation, comme d'ailleurs les commissions des agents immobiliers, sont communément accusés de freiner la mobilité, nécessaire à la compétitivité et à l'amélioration de la situation de l'emploi. Mais cela supposerait une remise à plat de la fiscalité locale dont les délais de mise en oeuvre sont incompatibles avec l'urgence de réduire les déficits... Rappelons que les droits de mutation ont rapporté jusqu'à 8,6 milliards d'euros aux départements en 2011 - année record - et encore 8 milliards en 2012. Ils suivent bien entendu de près l'augmentation des prix de l'immobilier et ont gonflé avec la "bulle" : ils n'étaient que de 3,42 milliards en 2001, pour monter jusqu'à 7,84 milliards en 2007, puis descendre à 5,22 milliards en 2009, année noire pour les collectivités et les notaires...
Un rapport de la Cour des comptes de février 2013 soulignait qu'en 2011 et 2012, les DMTO représentaient 18,1 et 20,7% des recettes fiscales départementales.
Selon Claudy Lebreton, président de l'Association des départements de France, cela représente 1,3 milliard d'euros de recettes supplémentaires possibles pour les départements si tous décident une augmentation. Car c'est le département qui décidera s'il applique ou non le taux maximum. Mais peu de départements risquent de s'abstenir. Claudy Lebreton estime que ce surcoût "ne sera pas énorme comparé au budget global de l'achat d'un logement". Il a calculé que, pour une maison achetée 200.000 euros, le nouveau propriétaire devra payer 1.400 euros de plus. Le problème est que ce renchérissement se fait sur la part en principe non financée à crédit, et dont accroîtra l'effort d'apport personnel des acquéreurs.
Pour Denys Brunel, président de la Chambre des propriétaires de Paris, "le gouvernement ne cesse d'annoncer des mauvaises nouvelles et d'envoyer des signaux négatifs". D'autant qu'une mauvaise nouvelle n'arrive jamais seule : le gouvernement a également annoncé sa décision de relancer le vieux serpent de mer de la révision des valeurs locatives des particuliers. Celles-ci, fondant la taxe d'habitation et la taxe foncière, n'ont pas été révisées depuis trente ans, les majorités successives ayant chaque fois calé devant l'obstacle. Le texte signé le 16 juillet prévoit le lancement de la concertation avec les collectivités d'ici à octobre afin d'inscrire les premiers éléments dans la loi de finances 2014 ou dans une loi de finances rectificative. L'idée du ministère du budget est de lancer les premières expérimentation au niveau des départements. L'opération vient d'être menée pour les valeurs locatives des locaux commerciaux et professionnels. 3,3 millions de propriétaires ont en effet, après report du délai, jusqu'à fin juillet pour déclarer à l'Etat la surface et le montant du loyer, pour une révision effective en 2015. Une première échéance d'application en 2018 a été évoquée. En principe, cette révision des bases d'imposition devrait conduire au niveau de la pression fiscale à un résultat à somme nulle. Mais en sera-t-il ainsi ?
C'est plutôt de ce côté que propriétaires et locataires devraient le plus s'inquiéter. L'effet par contre de l'augmentation des droits de mutation sur un volume de transactions déjà à l'étiage devrait être minime. Il n'en constitue pas moins un motif supplémentaire de désespérance pour des professionnels déjà à cran après l'annonce fin juin d'une réforme, le projet de loi "ALUR", qui ébranle une partie de leur modèle économique...
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