Après son adoption en 1ère lecture par le Sénat le 26 octobre, le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové ("ALUR") est revenu à l'Assemblée nationale pour la 2ème lecture ; il a été débattu en commission des affaires économiques et adopté, avec d'importantes modifications, dont plusieurs, à l'initiative du gouvernement, qui constituent des reculades par rapport aux positions défendues initialement, notamment à l'égard des professionnels de l'immobilier. Celles-ci sont durement dénoncées par les associations de locataires et de copropriétaires.
Concernant les locations, les honoraires susceptibles d'être partagés par moitié entre bailleurs et locataires dans le cadre de la conclusion d'un bail sont élargis : en plus des honoraires de rédaction d'acte, les professionnels intervenant dans une location mandatés par le propriétaire pourront également partager les honoraires "pour effectuer la visite du preneur", et ceux pour "constituer son dossier". Seuls les honoraires pour la recherche du locataire restent à la charge exclusive du bailleur alors qu'aujourd'hui, l'ensemble des honoraires de location à l'exception de ceux relatifs à l'état des lieux étaient partageables.
Si cette mesure est dénoncée par les locataires et saluée par les professionnels, elle ne constitue pour eux qu'une demi-victoire : en effet, nombre d'entre eux ont habitué leurs clients propriétaires à leur faire remise de la part d'honoraires leur revenant, reportant la totalité de la facturation sur le locataire. S'ils continuent à procéder ainsi, leur chiffre d'affaires risque de s'en ressentir, notamment dans les secteurs tendus à loyers élevés où les commissions en pourcentage représentaient des montants appréciables, et où de surcroît les locations sont les plus faciles : un plafonnement de tous ces honoraires est prévu par décret, avec un montant à ne pas dépasser fixé "par mètre carré de surface habitable de la chose louée" révisable chaque année également par décret...
Autre grande reculade : la Garantie universelle des loyers (GUL) devient facultative, le bailleur restant libre de la remplacer par un cautionnement personnel. De surcroît, pour des raisons budgétaires - car financée intégralement sur fonds publics -, elle sera limitée dans le temps (18 mois ?) et ne couvrira les impayés de loyer qu'à hauteur du loyer médian de référence fixé dans le cadre du dispositif d'encadrement des loyers, plus les charges. Un Loca-pass bis en quelque sorte ! Pour le reste, et pour les détériorations immobilières, le propriétaire devra souscrire une garantie complémentaire auprès d'un assureur privé...
Explication de cette marche arrière qui risque de priver la GUL de la nécessaire mutualisation des risques - les propriétaires préférant dans les zones tendues - les locataires apportant de solides garanties personnelles à une sécurisation incomplète : l'interdiction du cautionnement personnel ferait peser sur le dispositif un risque d'inconstitutionnalité, car susceptible d'être considérée comme attentatoire à la liberté de contracter entre personnes majeures et responsables...
Le rapporteur du projet de loi à l'Assemblée nationale, le député Daniel Goldberg, interrogé à ce sujet par les journalistes de l'Ajibat, minimise l'impact de cette ouverture laissée aux propriétaires. Ceux- ci auront selon lui tout intérêt à préférer la GUL à la sécurité illusoire d'une caution personnelle, de la part d'un parent dont on ne sait s'il n'est pas surendetté, s'il ne s'est pas déjà porté dix fois caution par ailleurs, et s'il sera solvable le moment venu si un impayé survient après plusieurs années... Mais c'est oublier un peu vite qu'une grande majorité de propriétaires croit dur comme fer aux vertus de la caution personnelle, aussi gratuite que la GUL. Ces propriétaires auront toutes chances de se méfier de ce qui, à leurs yeux, aura l'allure d'une "usine à gaz" étatique...
L'association de copropriétaires ARC (association des responsables de copropriété) a un autre motif d'être furieuse : le rétablissement, pour les copropriétés jusqu'à 15 lots principaux, de la possibilité pour l'assemblée générale des copropriétaires de dispenser le syndic professionnel d'ouvrir un compte bancaire séparé au nom du syndicat. En fait, 70% des copropriétés sont concernées ! Pour l'ARC, même si les syndics ne disposeront plus de l'arme des honoraires pour faire pression sur les copropriétaires, il est à craindre qu'ils n'usent d'autres moyens pour obtenir la dispense, avec autant d'efficacité qu'ils l'obtiennent aujourd'hui.
Le plus étonnant est l'argument par lequel le ministère et les députés se sont laissés convaincre par les professionnels : dans les petites copropriétés, le compte séparé au nom du syndicat risquait d'entraîner une rigidité excessive dans la gestion des fonds, alors que la gestion sur compte unique ouvert au nom du syndic laisse la possibilité de payer des factures, même lorsque la trésorerie de l'immeuble est à sec... C'est oublier que dans ce cas, le syndic paye ces factures avec l'argent des autres copropriétés, ce qui est rigoureusement interdit !
Autre raison de se plaindre pour les associations : le "Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières" sera composé "majoritairement" de représentants des professionnels titulaires de la carte professionnelle, "choisis en veillant à assurer la représentativité de la profession sur proposition d'un syndicat professionnel ou d'une union de syndicats professionnels ; il comprendra également des "représentants des consommateurs mais choisis parmi les associations de défense des consommateurs oeuvrant dans le domaine du logement, agréées en application de l'article L411-1 du code de la consommation" (UFC Que Choisir et CLCV notamment, l'ARC n'en étant pas pour le moment). L'ARC dénonce la création de l' "Ordre", ou en tous cas de la structure d'auto-régulation que les professionnels appelaient de leurs voeux dans un Livre Blanc publié en 2010 !
Egalement, concernant les "commissions régionales ou interrégionales de contrôle", il pourra n'en être créée qu'une au démarrage, quitte à en accroître le nombre progressivement en fonction du volume d'activité et des conditionnements de fonctionnement constatées. Pour l'ARC, une Commission unique nationale sera trop éloignée des usagers, et risque d'être vite débordée. "On aurait voulu tuer le principe des commissions de contrôle qu'on ne se serait pas pris autrement", dénonce Bruno Dhont, directeur de l'ARC, avec véhémence...
Il aurait par contre deux motifs de se réjouir : les "fonds de travaux", à alimenter chaque année au minimum à hauteur de 5% du budget prévisionnel, deviennent obligatoires quel que soit la taille de la copropriété et pas seulement au dessus de 50 lots comme dans le projet initial, ou 10 lots dans celui adopté par le Sénat. Par contre, au grand regret du rapporteur, les immeubles de moins de 10 ans d'âge restent dispensés. Autre sujet qu'il faudra aborder concernant ces fonds de travaux : leur alimentation risque au bout de quelques années, si on laisse les choses en l'état, de doubler carrément la trésorerie à couvrir par la garantie financière des syndics. Ce qui représentera un coût qui sera nécessairement répercuté sur les copropriétaires. Il est donc urgent de prévoir des comptes réglementés, sur lesquels les sommes récoltées au titre des fonds de travaux puissent être sécurisées, se sorte que cette trésorerie puisse être sortie du périmètre de la garantie financière !
Le second motif de satisfaction est le retrait d'une disposition, insérée par les sénateurs, interdisant aux copropriétaires qui ne sont pas titulaires d'un lot d'habitation mais d'un box, garage, parking ou commerce, d'être élus syndic non professionnel ou coopératif...
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