Défaut grave d'information ou décision délibérée de passer outre ? Alors que le décret plafonnant les honoraires de location à la charge des locataires est entré en vigueur le 15 septembre, le site de l'Express Votre agent a testé des agences immobilières en zone tendue et relevé de nombreux manquements. Rappelons que depuis l'entrée en vigueur de la loi "ALUR" le 27 mars dernier, les professionnels intervenant dans une location ne peuvent percevoir d'honoraires de la part des locataires qu'au titre des visites, de l'étude de dossier, de la rédaction d'acte, et l'état des lieux. Depuis le 15 septembre, ces honoraires sont plafonnés en fonction de la taille du logement et de sa situation géographique : 12 euros du mètre carré TTC pour les trois premières prestations à Paris ainsi que dans certaines communes d'Ile-de-France où le marché est très tendu, 10 euros du mètre carré dans la plupart des grandes villes et 8 euros du mètre carré ailleurs. S'ajoutent 3 euros par mètre carré pour l'état des lieux où que ce soit. Et le tout à condition que le locataire ne soit pas plus facturé pour ces quatre prestations que le propriétaire, le principe étant le partage par moitié. Seuls les honoraires de recherche de locataire sont libres, mais intégralement à la charge du bailleur.
Dans la pratique, les enquêteurs de l'Express ont constaté dans un premier temps un certain nombre d'infractions sur les annonces mises en ligne sur le site internet Seloger.com. Le directeur des ventes et du marketing du site d'annonce les défend en émettant l'hypothèse que les annonces n'auraient pas été mises à jour...
Puis ils ont appelé les professionnels en faisant mine de vouloir louer un appartement et ont pu constater que, dans la pratique, la nouvelle règle n'était pas plus appliquée. Même explication : ils n'avaient pas encore pris le temps de modifier le montant des honoraires sur l'annonce. Mais d'autres ont joué la mauvaise foi, arguant que "la loi n'est pas très claire sur le sujet". Un autre aurait maintenu fermement que "le montant des honoraires pour l'état des lieux était fixe, à 150 euros".
Enfin certains, relate l'Express, ont réagi violemment à la remarque des enquêteurs insistant sur le fait que les honoraires étaient désormais plafonnés : l'un d'entre eux proposant un 14 mètres carrés à 550 euros de loyer et 580 euros d'honoraires de location, soit presque 3 fois plus que le montant maximum autorisé, aurait répondu qu'ils n'avaient pas à lui "donner de leçons" avant de leur raccrocher au nez. Un autre nous aurait proposé de discuter de tout cela "lors de la visite collective", sous-entendant que vu le nombre de candidats, il n'aurait pas de mal à trouver un locataire qui acceptera de payer. Ce qui est en fait un mauvais calcul : un locataire peut toujours accepter de payer pour avoir le logement, puis demander le remboursement du trop perçu, avec menace de plainte au pénal à la clé !
Notre propre enquête a révélé une application partielle de la loi sur 4 annonces sur 10, dont plusieurs erreurs de zone (application des tarifs de la zone Abis en zone A).
Cette situation n'est qu'à moitié surprenante : les professionnels ont très mal pris la prétention de la précédente ministre du logement, Cécile Duflot, à vouloir encadrer leurs honoraires ! Il est vrai que dans la première version de la loi, il était même question qu'ils ne puissent rien facturer aux locataires et que l'intégralité de leur prestation soit à la charge du propriétaire, ce qui avait été vécu comme une catastrophe potentielle. En effet, sous le régime précédent où toute la prestation (sauf l'état des lieux) était censée être partagée par moitié, la grande majorité d'entre eux s'étaient laissés convaincre par leurs mandants de leur faire remise de leur part, et de tout prélever sur les locataires, d'où les tarifs exorbitants pratiqués par certains avant le plafonnement ! Aujourd'hui, entendant ici et là parler de "détricotage" de la loi "ALUR", et prenant leurs désirs pour la réalité, beaucoup sont persuadés que le gouvernement va revenir sur l'ensemble des mesures, ce qui est peu probable, à moins d'une alternance politique anticipée, et encore...
A noter aussi l'avertissement de la CLCV (Confédération logement et cadre de vie), par la voix d'un de ses juristes, David Rodriguez, concernant les honoraires d'état des lieux : ils ne peuvent être facturés au locataire qu'une fois que la prestation a été effectuée, séparément des honoraires pour l'organisation des visites, la constitution du dossier et la rédaction du bail, et encore à la condition que le locataire et le propriétaire aient conjointement "mandaté" le professionnel pour le réaliser. Il est peu probable qu'une clause du bail puisse valablement établir ce mandat, le professionnel n'étant pas partie au bail. Il convient donc que le mandataire qui effectue l'état des lieux ait préalablement fait signer par le bailleur et le locataire un document autonome l'habilitant à effectuer l'état des lieux pour leur compte. A défaut, là encore, le locataire peut en demander le remboursement après les avoir payés et être entré dans les lieux...
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