Des 20 premières villes de plus de 148.000 habitants, seules 9 ont vu leurs loyers augmenter de plus que l'inflation en 2018 : Rennes, Angers, Bordeaux, Toulon et Paris entre +2,1 et +2,5%, Marseille, Grenoble et Dijon entre +3,2 et +3,7%, et une ville en rattrapage exceptionnel, Villeurbanne avec +6,1%. Et les loyers ont carrément baissé dans 5 autres : Nîmes, Lille, Nantes, Strasbourg et Montpellier : de -0,1 à -0,6 pour les 4 premières, -1,8% pour Montpellier. Enfin entre les deux, 6 villes ont vu leurs loyers augmenter légèrement, mais moins que de l'inflation. Et ce n'est pas un phénomène nouveau : depuis 2013, 70% de ces villes ont vu leurs loyers baisser ou augmenter de moins que l'inflation ! De surcroît, cette tendance touche presque indifféremment toutes les tailles de logement, du studio au 5 pièces et plus. Ces chiffres ont été révélés le 26 mars par l'Observatoire CLAMEUR (Connaître les Loyers et Analyser les Marchés sur les Espaces Urbains et Ruraux), qui grâce aux remontées de ses membres (1), couvre des territoires représentant 97% du marché locatif privé de la Métropole, et traite près de 30% des baux signés en France (28,4% du marché exactement).
Mais il y a plus spectaculaire : depuis une décennie, le "saut à la relocation" des époques de hausse continue des loyers a disparu, et depuis 2014, les loyers de relocation sont en baisse par rapport au précédent locataire. Les professionnels mettent ces chiffres en avant pour montrer qu'il n'y a plus lieu de rétablir des dispositifs d'encadrement par plafonnement, comme la loi "ELAN" du 23 novembre 2018 l'autorise à nouveau à titre expérimental pendant 5 ans, Paris, Lille, Grenoble et de nombreux EPCI de la région parisienne ayant manifesté leur intention d'en profiter... De fait, les loyers n'ont augmenté "que" de 2% à Paris, à peine plus que l'inflation, et ont baissé à Lille, alors que l'encadrement par plafonnement a cessé depuis plus d'un an. On pourrait incriminer bien entendu l'autre encadrement imposé depuis 2014 dans les zones tendues, celui en évolution entre deux locataires. Mais cet encadrement aurait permis une certaine augmentation à la relocation, il n'explique pas les baisses ! D'autant qu'un quasi plafonnement, voire des baisses sont également constatées dans les territoires où ne s'applique aucune restriction...
En fait, les données de cet observatoire national, le plus fiable à cette échelle, révèlent année après année une atonie de la demande. Pas de la demande globale, car les difficultés de logement n'ont hélas pas disparu en France, et auraient même tendance à s'aggraver, mais de de la demande solvable, éligible aux produits proposés dans le parc privé. Celui-ci se retrouve paradoxalement en excès d'offre, seule explication plausible aux baisses de loyer, y compris dans les zones tendues. Par demande éligible il faut entendre celle qui répond aux critères imposés par les propriétaires : emploi stable, revenus de 3 à 4 fois le montant du loyer et des charges, proposition d'une caution personnelle également solvable, etc. Lorsque les propriétaires privés s'assurent contre les loyers impayés, ce sont leurs assureurs qui exigent ces critères (caution personnelle en moins car le cumul est interdit, sauf pour les étudiants et apprentis), et dans ce cas, eux ou les administrateurs de biens à qui ils confient la gestion, sont enclins à un surcroît de prudence pour éviter un refus d'indemnisation en cas de sinistre...
Ce rétrécissement de la demande éligible, qui rejette une part croissante de la population dans la galère pour trouver un logement, est très clairement expliquée par Michel Mouillart, professeur d’Economie à l’Université de Paris Ouest et opérateur de l'Observatoire CLAMEUR, comme par ailleurs de ceux de LPI/SeLoger pour les prix de l'immobilier et Crédit Logement/CSA pour les crédits immobiliers, et donc au coeur de la donnée statistique en matière de logement et d'immobilier : d'un côté la stagnation voire la baisse de nombreux revenus qui empêche de réunir les 3 à 4 fois le montant des loyers, et la part importante prise par les contrats de travail courts, l'intérim et l'auto-entrepreneuriat (uberisation de nombreuses activités) ; de l'autre, la sortie des plus aisés des éligibles au logement privé vers l'accession à la propriété. A preuve la coïncidence des périodes de stagnation des loyers avec celles de croissance de la primo-accession, et inversement... Du coup, comme l'ont montré de nombreuses études que nous avons déjà rapportées ici, la population des locataires se paupérise et se précarise, ce qui la rend inéligible au logement privé et la pousse vers le logement social, déjà fortement déficitaire, notamment dans les zones tendues.
D'une certaine manière, le marché essaie de s'auto-réguler : confrontés à des prix d'achat des logements en constante augmentation ces dernières années, et des loyers leur assurant une rentabilité très limitée, de nombreux propriétaires se tournent vers le meublé et notamment le meublé de courte durée, dont la location a été considérablement facilitée par l'émergence des plateformes. Mais cela est loin de suffire, d'autant que ceux qui font ce choix se heurtent à l'hostilité et dans certaines villes comme Paris à la répression, l'affectation des logements à cette activité, considérée comme para-hôtelière et donc commerciale, étant sévèrement réglementée.
Dans ce contexte, doit-on encore aider l'accroissement de l'offre de logement privé alors que celle-ci s'avère déjà excédentaire ? Certes, il serait possible de solvabiliser une partie de la clientèle aujourd'hui exclue par une augmentation des aides personnelles au logement (APL). C'est ce qu'on a fait pendant des décennies. Mais ce n'est ni dans le sens de l'Histoire, ni une bonne idée ! On pourrait aussi proposer aux bailleurs privés un système de sécurisation généralisé leur permettant d'ouvrir leurs locations à des publics plus fragiles. Mais une coalition du lobby des propriétaires, des assureurs et des professionnels a, pour des motifs assez largement idéologiques (dénonciation de prétendu "aléa moral"), tué la Garantie universelle des loyers (GUL), pourtant votée dans la loi ALUR et jamais appliquée. La garantie Visale n'en est que le pâle substitut. Il faut aussi prendre en compte le tropisme des bailleurs privés, très attachés à la caution personnelle, qu'ils préfèrent majoritairement aux dispositifs publics ou assurantiels...
Du coup, quitte à investir des fonds publics, mieux vaudrait recycler les milliards que coûte la défiscalisation (tous les régimes d'incitation à l'investissement locatif : Scellier, Duflot, Pinel, etc.) et ceux que coûterait une GUL et l'augmentation des APL, afin de financer le développement de l'offre de logement social et très social, seul aujourd'hui à même de répondre au besoin de logement d'une part croissante des Français que le marché libre ne peut satisfaire. Les promoteurs privés et l'industrie du bâtiment ne devraient pas avoir trop de mal à s'adapter...
(1) CLAMEUR (Connaître les Loyers et Analyser les Marchés sur les Espaces Urbains et Ruraux) – conférence de presse 26 mars 2019 – diaporama de la conférence
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