Après le drame de la rue d'Aubagne à Marseille en décembre 2018, le gouvernement a missionné le député Guillaume Vuilletet sur les mesures à mettre en œuvre pour simplifier les procédures visant à lutter contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil. Le rapport de cette mission a été rendu le 8 octobre 2019.
Faute de données suffisamment précises, l’Etat parle de 420.000 logements potentiellement indignes, la Fondation abbé Pierre de 600.000, alors que les exploitations des données de l’INSEE indiquent 800.000 logements dégradés. En conséquence, le rapport préconise de donner une définition juridique de l’habitat indigne et de cerner l’ensemble des formes de « mal-logement », de les qualifier et les quantifier afin d’élaborer des solutions.
Le rapport comprend cinq axes principaux et préconise 30 recommandations :
Sortir de l’hygiénisme et de l’approche sectorielle, basculer de l’indignité vers l’habitabilité
Le rapport recommande de prendre en compte la santé globale de l’occupant et considérer le bâtiment comme un système. Il préconise aussi d'inverser les fondements de la politique publique : abandonner la notion d’habitat indigne (stigmatisante et peu mobilisatrice), proposer la définition d’un logement qui répond aux normes minimales d’habitabilité pour garantir la sécurité, la santé et le confort de l’occupant. En somme faire de l’habitabilité une action d’intérêt général et le pilier de la politique préventive et curative, incitative et coercitive de l’amélioration du logement (dont énergétique).
Il faut également instaurer et partager un référentiel national unique sur les normes minimales d’habitabilité (santé, sécurité, confort). Pour l’élaborer, faudra réunir un groupe d’experts (compétences techniques/ architecturales /juridiques/ médicales/ sociales), d’agents de l’état et des collectivités sous pilotage interministériel. A partir du référentiel national, il faudra créer un outil / modèle de diagnostic du logement permettant d’évaluer l’habitabilité à partir de l’ampleur des désordres, la gravité du risque et l’usage du logement, d’établir les mesures à prendre et de choisir la procédure à déclencher. Mettre en place des formations sur le bâti ancien et l’utilisation de l’outil (inspecteurs…). Le diagnostic « habitabilité » devra être le document à transmettre à la CAF pour l’octroi / conservation des allocations, et le document technique à exiger pour une location (voire permis de louer) et une vente d’un logement, en remplacement (au moins partiellement) des plusieurs autres diagnostics exigés actuellement. A terme, il faudra selon l'auteur centraliser et consolider les diagnostics « habitabilité » dans un registre national du logement.
Simplifier les polices spéciales de l’habitat indigne : une police unique, inscrite dans le CCH et confiée à une autorité unique
Le rapport recommande de créer une procédure pour les locaux impropres à l’habitation, une procédure pour la réalisation de travaux d’habitabilité et de sécurité et une procédure de l’urgence. La faisabilité des travaux à prescrire devra être étudiée sans se préoccuper de leur coût.
Il faut maintenir la police générale du Maire, mais faire émerger une autorité unique de la police « habitabilité » (autorité disposant de la compétence habitat), à adapter selon les contextes locaux. Il faut aussi organiser le contrôle et la substitution par l’Etat en cas de défaillance de la collectivité. Egalement consolider, voire créer les passerelles entre le monde de la santé et les collectivités, notamment en matière de prévention, de signalement et de suivi des situations médico-sociales infantiles et des personnes présentant des troubles comportementaux.
Le rapport recommande de doter les collectivités des moyens humains (en nombre et compétence) pour assurer l’instruction des dossiers (avec une expertise nationale / régionale en appui), notamment pour prévenir le contentieux. Créer des services locaux « habitabilité » et valoriser les métiers et professions pour attirer des experts.
Harmoniser le droit des occupants, les sanctions et les modalités de substitution
Le droit des occupants doit être renforcé : le droit à l’hébergement et au relogement doit être garanti et les modalités de suspension des baux et loyers comme les modalités de conservation de l’allocation doivent être adaptées. Le champ des sanctions doit être élargi : le rapport recommande d'adapter le régime des astreintes, de créer un régime d’amende dès constat de l’infraction, de renforcer la taxe sur les logements vacants dans les zones tendues, et d'élargir le champ des sanctions pénales (inéligibilité pour les élus). Egalement, adapter les modalités de substitution publique : privilégier l’exécution d’office en cas de non réalisation des travaux par le propriétaire si les travaux sont inférieurs à la valeur vénale.
Mais il peut aussi être envisagé, en lieu et place des travaux d’office, d'engager l’acquisition en privilégiant la négociation à l’amiable dans certaines situations, de permettre l’expropriation avec une indemnisation minorée dans les cas de « carence immobilière », et d'adapter les modalités de confiscation de l’indemnité pour les « marchands de sommeil ». Plus globalement, il convient d'engager un chantier sur les situations justifiant l’expropriation, et d'adapter le code de l’urbanisme et le code de l’expropriation pour intégrer l’enjeu d’habitabilité.
Optimiser les processus et outils opérationnels : favoriser l’émergence de dispositifs innovants
Il est indispensable d'améliorer la connaissance des situations : centraliser les signalements et les procédures dans un outil de gestion national, envisager à terme un registre national des logements, et mieux partager l’information sur les procédures avec les différentes instances. Il faut aussi donner aux propriétaires les moyens de faire les travaux : systématiser l’offre d’accompagnement, organiser la maîtrise d’ouvrage privée, renforcer et adapter les financements (dont ceux liés à l’accession) en s’appuyant sur les agences nationales et les partenaires professionnels privés et associatifs.
La gestion des copropriétés en difficulté doit être améliorée, il faut instaurer un fonds d’avance pour les administrateurs provisoires et créer des prêts collectifs adaptés pour le financement des travaux en parties communes. Dans les centres anciens, il faut permettre la maîtrise d’ouvrage collective d’initiative privée pour requalifier les immeubles mitoyens et imbriqués.
Il faut organiser la substitution publique par la professionnalisation de l’exécution d’office : permettre la délégation de maîtrise d’ouvrage des travaux d’office aux opérateurs publics (dont EPF, avec compétence de recouvrement), et sécuriser les modèles d’appropriation publique : élargir le champ d’action des EPF, notamment dans les centres anciens et en site détendu pour favoriser la requalification de l’habitat et du territoire, voire la désartificialisation des sols, homogénéiser les pratiques d’estimation des biens par les Domaines.
Enfin, il faut encourager les modes démembrés d’appropriation dans certaines situations : démocratiser le bail à réhabilitation (expérimenter le bail à réhabilitation d’office), inciter à la mobilisation des OFS (organismes de foncier solidaire). Il faut aussi agir sur l’offre de relogement et d’hébergement : élargir la possibilité de déplafonner la part de réservation de logements aux cas des personnes « mal logées », expérimenter la production d’une offre d’hébergement temporaire sous forme de modulaires, programmer une offre d’hébergement pour les migrants, en lien avec l’Union Européenne et les organisations humanitaires.
Déployer des plans territoriaux, intervenir dans les secteurs prioritaires
Le rapport recommande de faire du PLH (Plan local de l'habitat) le document de programmation de l’action sur la prévention et sur l’habitabilité et d'identifier les secteurs prioritaires. Pour ceux-là, créer un « package » opérationnel favorisant l’habitabilité résidentielle et environnementale (OCTHAVE : outils coordonnés de transformation de l’habitabilité, du cadre de vie et de l’environnement) et établir un plan décennal. Instaurer une instance de pilotage régionale et nationale des programmes sur les secteurs prioritaires.
Il préconise de rationaliser l’expertise nationale pour soutenir les territoires (compétence juridique, technique…), notamment sur le contentieux : créer une cellule d’expertise nationale dédiée au traitement des ilots dégradés en centres anciens, poursuivre l’action des PDLHI pour coordonner l’action locale et accompagner la transition, et suivre les arrêtés échus non levés.
Enfin, il faut coordonner et simplifier le régime des aides des différents financeurs nationaux : adapter les financements aux nouvelles procédures créées, reconduire le FARU pour le relogement et l’hébergement d’urgence et l’élargir aux propriétaires occupants (le FARU est destiné à disparaitre à l’échéance de 2020). Egalement établir des conventions régionales entre l’ANAH, l’ANRU, Action Logement et l’Etat (FARU et BOP 135) pour coordonner et optimiser les financements, en lien avec les projets territoriaux.
Ces propositions ne sont pas chiffrées et doivent servir à éclairer les travaux interministériels devantt aboutir à la rédaction d’une l’ordonnance prévue par l’article 198 de la loi ELAN permettant de simplifier les procédures pour obtenir l’exécution des travaux ou des condamnations et lever les handicaps pour lutter efficacement contre l’habitat indigne. Un "enjeu atteignable", conclut le rapport. Cette ordonnance est attendue avant fin mai 2020...
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