Pendant un mois, onze étudiants-journalistes confinés du Centre universitaire d’enseignement du journalisme (CUEJ) de l'Université de Strasbourg ont enquêté sur l’efficacité du programme Action cœur de ville, mis en place par l’Etat en 2018 pour revitaliser les centres des villes moyennes. ils ont démontré que les surfaces commerciales en périphérie ont continué à s’étendre dans 81% des communes bénéficiaires du dispositif parmi les plus touchées par la dévitalisation de leur centre-ville. Une contradiction dont les responsabilités incombent tour à tour aux élus locaux, à l’administration d’État et aux préfets.
D’Aurillac à Calais en passant par Thionville et Cholet, les centres des villes moyennes françaises se sont inexorablement vidés de leurs habitants, passants et commerçants en l’espace de deux décennies. En décembre 2017, pour juguler l’hémorragie, le gouvernement annonce son nouveau programme, Action cœur de ville. Cinq milliards d’euros alloués sur cinq ans à 222 communes pour mettre sous perfusion leur cœur commerçant proche de l’infarctus. Avec ses cinq axes d’action — l’habitat, la mobilité, le patrimoine, l’offre de services publics et le développement économique — les municipalités ont de quoi être attirées. Depuis, 1,2 milliard d’euros ont été injectés pour mener à bien une première salve de projets.
Problème : l'équipe du CUEJ s'est intéressée aux 80 communes du programme Action cœur de ville où plus de 10% des locaux commerciaux du centre-ville étaient vides en 2016, d’après le rapport sur la revitalisation des centres-villes de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD). Or depuis la mise en place d’Action cœur de ville, des surfaces commerciales en périphérie ont continué à s’étendre dans 81% de ces communes !
Les élus sont pointés en tant que premiers responsables. Plusieurs municipalités utilisent les fonds publics et les outils mis à leur disposition par le dispositif gouvernemental pour mener des projets dans leur centre-ville, tout en portant en parallèle des projets d’extension commerciale en périphérie. Entre les promesses de création d’emplois et la peur de voir les habitants de son territoire aller consommer chez le voisin, un autre argument revient sans cesse dans la bouche des élus : la “complémentarité de l’offre”. Comme à Calais, où la maire, Natacha Bouchard (Les Républicains), assure que l’arrivée d’un hypermarché Leclerc, qu’elle défend farouchement depuis plusieurs années, “amènera un dynamisme entre les enseignes”. Et lorsque la municipalité veut préserver son cœur commerçant, c’est l’intercommunalité qui s’y met. Comme à Saint-Brieuc, où une bataille juridique s’est engagée entre la Ville, soucieuse de protéger ses boutiques de prêt-à-porter, et l’agglomération, favorable à l’implantation d’un Intersport dans une commune limitrophe...
Autres responsables : les Commissions départementales d'aménagement commercial, qui face à l’appétit des élus, les CDAC, sous l’autorité des préfectures, utilisent peu leur pouvoir contraignant pour protéger les centres-villes dévitalisés.
Enfin, alors que l’État leur demande de participer à la préservation des centres-villes, les préfets n’exploitent pas les outils en leur possession pour s’opposer à des projets allant à l’encontre d’Action cœur de ville, comme le révèle l'enquête. En effet, les représentants de l’État ont la possibilité de déposer un recours devant la CNAC s’ils considèrent qu’un projet commercial menace les actions menées en centre-ville. Mais sur les 33 projets retoqués par la CNAC depuis 2018 au motif de la contradiction avec le programme, seuls trois recours avaient été déposés par un préfet.
Source : CUEJ de l'Université de Strasbourg - 29 mai 2020 - Enquête : Centre-ville : le coeur n'y est plus
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