I. Préambule
Dans
ce domaine la question essentielle est :
" Comment parvenir à faire faire 40
% d'économies dans les 500.000 copropriétés
que compte le pays d'ici 2020, et 75 % d'économies
d'ici 2050 ? ".
Donc,
comment réussir le double pari suivant :
-
rénover en masse ;
- rénover de façon ambitieuse ".
Aujourd'hui
la réponse publique repose sur cinq piliers :
-
l'incitation financière via le PTZ, les subventions
ou le crédit d'impôt ;
- l'obligation d'affichage du DPE à la vente
ou à la location, mesure censée inciter
les propriétaires à faire des travaux
pour éviter la dévalorisation des biens
mal classés ;
- l'obligation de réaliser un DPE-collectif ou
un audit énergétique dans les immeubles
avec chauffage collectif, ce qui est censée déboucher
sur des votes de plans de travaux d'amélioration
énergétique ;
- la promotion des contrats de Performance Energétique
présentés comme une façon simple
de financer les travaux grâce aux économies
réalisées, ceci sans avance de fonds,
donc là encore une mesure censée entraîner
des travaux ;
- enfin l'augmentation des prix de l'énergie
qui, à terme, aura un effet " levier ".
Néanmoins
nous pensons que les Pouvoirs publics sont trop optimistes
et que les blocages dans les copropriétés
sont tels qu'aucune de ces dispositions ne permettra
d'atteindre les deux objectifs fixés (rénovation
de masse ; rénovation ambitieuse).
Plus
préoccupant : non seulement ces dispositifs
ne sont pas, pour les raisons que nous allons examiner,
de nature à déclencher des rénovations
ambitieuses mais ils risquent - là où
ils vont fonctionner (c'est-à-dire dans 25 %
à 30 % des immeubles au grand maximum, selon
nous) - de générer des rénovations
partielles et " faciles " qui ont une double
particularité :
- ne pas permettre en elles-mêmes d'atteindre
le facteur 4 ;
- mais surtout d'empêcher à terme de l'atteindre,
ceci en " tuant le gisement ", comme on dit
familièrement.
C'est
ce que nous allons tenter de démontrer, avant
de proposer des solutions alternatives pour une rénovation
massive et ambitieuse.
II. Les
cinq piliers actuels de la rénovation : qu'en
penser ?
1.
Les incitations financières
Celles-ci
sont, de notre point de vue, à la fois insuffisantes
et, en partie inadaptées.
D'un
côté le PTZ individuel fonctionne très
difficilement en copropriété (trop lourd,
pas assez intéressant pour les banques) et de
l'autre l'Etat se refuse à instituer un prêt
collectif à taux zéro, par peur sans doute
que cela marche trop bien et ne coûte trop cher
aux finances publiques.
Par
ailleurs, les subventions octroyées sont en baisse
constante et touchent de moins en moins les couches
moyennes (voire les nouvelles orientations des subventions
de l'ANAH).
Enfin
les crédits d'impôts mobilisables diminuent
d'année en année.
2.
Le DPE à la vente ou à la location
L'"
affichage " énergétique
désormais obligatoire dès la mise en vente
ou en location n'aura, d'après notre expérience,
qu'un effet limité où ce qui est plus
préoccupant - pourra avoir un effet " pervers
".
Un
propriétaire possède un logement classé
en classe F. Certes cela est a priori pénalisant
et le sera peut-être de plus en plus. Alors que
fait-il ? il va tenter :
-
de faire les travaux les plus " faciles
" et efficaces pour remonter de deux classes ;
- au besoin (et surtout s'il passe par une agence immobilière
indélicate) il va rechercher un diagnostiqueur
complaisant qui classera son logement de façon
plus avantageux.
Ainsi
ce propriétaire va faire ce qui est le plus facile,
le moins cher, le plus " efficace
", ceci au détriment des travaux les plus
difficiles, les plus coûteux, les moins "
rentables " et qu'il faudrait pouvoir
programmer dans le temps.
Par
ailleurs, il y a fort à parier que l'effet d'entraînement
partiel de l'affichage ou ce qu'on appelle aussi la
valorisation " verte " (green
value) ne concernera que les copropriétaires
qui ont déjà des moyens financiers et
ne se vérifiera que très peu dans les
copropriétés modestes.
Plus
grave : il est probable que la " green
value " accentue les différences
et entraîne non pas une valorisation des biens
performants, mais surtout une dévalorisation
physique et sociale des biens non performants.
3.
Les DPE-collectifs et les audits énergétiques
Même
si les DPE-collectifs et les audits énergétiques
sont nécessaires, ils restent très insuffisants
pour déclencher des campagnes de travaux de rénovation
ambitieuse permettant de respecter les objectifs du
Grenelle.
Les
audits énergétiques n'ont, en effet, jamais
(et ce depuis tente ans) déclenché que
des travaux basiques, ceci pour diverses raisons :
- "
ces audits restent strictement énergétiques
;
- "
ils ne tiennent pas compte des autres problèmes
de l'immeuble (vieillissement) ni des problèmes
vécus par les habitants (acoustique, accessibilité,
sécurité...) ;
- "
ils ne sont pas articulés avec un plan de rénovation
globale ;
- "
ils ne mettent en évidence aucun plan de financement
viable ni ne permettent de mobiliser les subventions.
Là
encore les responsables publics ont du mal à
entendre cette réalité et refusent donc
de chercher à comprendre pourquoi ces diagnostics
ou audits sont si inefficaces et n'aboutissent - la
plupart du temps - qu'à changer les chaudières
vétustes...
4.
Les contrats de performance énergétique
(C.P.E.)
Autre
pilier : les CPE. A priori très intéressants,
ces contrat vont avoir tendance - eux aussi - à
aller au plus simple et au moins efficace. Voyons pourquoi.
Le
CPE est en soi une bonne idée : "
Nous réalisons des travaux d'économies
; nous vous garantissons des économies et nous
nous payons, pendant quelques années, sur ces
économies (éventuellement en vous laissant
une petite part des économies). Ensuite, vous
bénéficiez à 100 % des économies
". A priori le système paraît
très intéressant et évite aux copropriétaires
d'avoir à débourser de l'argent tout en
leur promettant des gains à terme (après
un contrat de cinq ans par exemple).
En
fait ce système génère les mêmes
effets que ce qu'on a déjà vu plus haut
: le prestataire va être de tenté de favoriser
les travaux les plus faciles, les plus rentables, ce
qui est une façon de " tuer le gisement
" puisque le jour où il faudra passer de
30 % à 60 % d'économies les investissements
seront trop forts et les gains trop faibles.
Ceci
sans parler du fait que les sociétés concernées
sont souvent des filiales de fournisseurs d'énergie
qui sont, comme on sait, peu enclines à scier
la branche sur laquelle elles sont assises.
5. L'augmentation du prix des énergies
Dernier
pilier : le prix de l'énergie. Certains croient,
en effet, que ce facteur sera décisif. Malheureusement,
là encore, rien de moins sûr. Cette augmentation
n'aura d'effet efficace que dans une petite partie des
copropriétés où les gens auront
les moyens et les capacités suffisantes. Dans
le reste des cas nous aurons :
-
l'engagement des travaux les plus efficients (maximum
de résultats pour un minimum de financement)
;
- et /ou le développement de la précarité
énergétique.
III. Les
deux fondations préalables, avant les cinq piliers
1.
Fonds travaux et plans pluriannuels
On
répondra que nous sommes pessimistes en pensant
que les cinq piliers actuels de la réponse publique
ne sont pas suffisants. Au contraire, nous partons des
blocages de la copropriété et des difficultés
qu'il y a à engager des programmes de travaux
cohérents et efficaces. En continuant comme nous
avons commencé à le faire, non seulement
nous n'arriverons ni moins à 40 % en 2020, ni,
a fortiori, à moins 75 % en 2050.
Il
semble même - ce qui est très inquiétant
- que les systèmes d'incitation actuels vont
finir par fonctionner mais uniquement sur une partie
du parc en copropriété - le plus riche
- et que la plus grande partie du parc restera à
l'écart de ce mouvement, entraînant des
effets économiques et sociaux désastreux
(accroissement de la précarité énergétique).
Pourtant
il y a une solution relativement simple qui passe par
une remise en question des méthodes et règles
qui s'appliquent à la Copropriété.
Tous
ceux qui ont les yeux ouverts et les pieds dans les
immeubles connaissent bien, cette solution ; c'est ce
qu'on peut appeler la " solution québécoise
". Celle-ci part de deux constats simples :
"
Si l'on n'oblige pas une copropriété à
mettre en place un plan de gros entretien sur plusieurs
années, elle va se contenter de " laisser
venir " et d'agir au coup par coup et dans
l'urgence.
"
De même, si l'on n'oblige pas une copropriété
à provisionner pour les travaux d'entretien,
elle va - le jour venu et face aux dépenses importantes
- se retrouver dans l'incapacité de financer
un programme complet et le réduira au strict
minimum.
Conséquence si l'on veut mettre en place une
dynamique " Facteur 4 " en copropriété,
il faut :
-
obliger à penser " rénovation
importante " via un plan pluriannuel obligatoire
de gros travaux, plan adapté à chaque
copropriété, à la solvabilité
des copropriétaires, aux aides mobilisables et
dont la rénovation thermique sera un des volets
;
- obliger les copropriétés à
provisionner les sommes nécessaires via des "
fonds travaux " attachés aux
lots ; même si, évidemment, cet argent
ne suffira pas le moment venu à financer la totalité
des travaux, il permettra :
- d'atténuer
les premiers efforts ;
- d'amorcer
la dynamique de rénovation.
2.
La peur légitime des responsables politiques
et administratifs : pourquoi et comment la surmonter
?
Naturellement
cette double exigence qui renvoie à l'instauration
de deux nouvelles obligations fait frémir
les responsables politiques et administratifs qui se
voient déjà balayés par les tempêtes
de protestations émanant des huit millions de
copropriétaires concernés.
Ces
responsables politiques (traumatisés par l'affaire
des ascenseurs) nous opposent régulièrement
deux principaux arguments :
-
le fait qu'une majorité de copropriétaires
semblent s'opposer farouchement à un tel dispositif
;
- le fait que les copropriétaires parmi les plus
modestes ne pourraient tout simplement pas abonder un
tel fonds.
Ces
objections appellent deux types de réponses :
1.
Nous rappelons tout d'abord que toutes les organisations
représentatives des copropriétaires occupants
modestes (en particulier l'UNAF, l'ARC, l'UNARC, la
CLCV, L'UFC Que Choisir) adhérent au fait qu'il
faut instaurer cette double obligation, car celle-ci
constitue le seul moyen de protéger efficacement
l'avenir de ces copropriétaires modestes.
2.
Nous proposons ensuite - pour aider à surmonter
les fortes réticences des copropriétaires
- que la mise en place de cette double obligation s'accompagne
de trois mesures qui vont permettre à la fois
de les justifier et à la fois de compenser -
aux yeux des copropriétaires - ses aspects apparemment
négatifs.
Ces
trois mesures (ou types de mesures) sont les suivantes
:
a)
instauration dans les copropriétés du
compte séparé sans dérogation possible
;
b) mise en place d'une fiscalité adaptée
au placement des fonds d'un syndicat (rien n'existe
aujourd'hui hors le Livret A !) ;
c) mise en place de dispositions permettant de rendre
financièrement " intéressants
" les fonds travaux obligatoires et de faciliter
leur abondement par les ménages modestes ; exemples
:
- crédit
d'impôt pour les plus modestes (comme au Québec)
;
- prime
de sortie comme avec les P.E.L. individuels (Plan
d'Epargne Logement) ou prêt de sortie de type
: " prêt collectif à taux zéro
".
Ainsi
l'instauration des fonds travaux obligatoires pourrait
être présentée et surtout vécue
comme une mesure positive pour tous :
- préparant l'avenir en facilitant le financement
des gros travaux inéluctables ;
- entraînant - via les comptes séparés
- la transparence financière des copropriétés
réclamée par tous les copropriétaires
;
- entraînant enfin la mise en place de dispositions
fiscales et financières favorables aux copropriétaires
et aux copropriétés.
Insistons
encore une fois sur l'adhésion à ce dispositif
- apparemment impopulaire - des grandes associations
de consommateurs ou d'usagers (ARC, UNARC, UNAF, CLCV,
Que Choisir...), adhésion qui représente
un atout formidable et inespéré dont il
faut profiter et qui doit non seulement rassurer les
responsables, mais les amener à prendre les mesures
nécessaires, y compris les mesures compensatoires.
Important
: SI en 2004 on nous avait écouté en ce
qui concerne les ascenseurs, SI on avait prévu
des aides pour les copropriétaires modestes,
SI la DGCCRF était mieux intervenue pour favoriser
une réelle concurrence en matière de travaux,
SI les abus dénoncés dès 2004 avaient
été pris en considération et traités,
la mise en uvre de la " mise en sécurité
" des ascenseurs n'aurait jamais constitué
le traumatisme que chacun déplore aujourd'hui.
Ceci
pour dire que l'expérience malheureuse des ascenseurs
ne doit pas être utilisée sans discernement
pour refuser aujourd'hui les solutions nécessaires
et courageuses concernant la rénovation énergétique
et technique des copropriétés.
Conclusion
:
Il
faut que tous ceux qui sont conscients des enjeux liés
à la rénovation énergétique
et technique des copropriétés se mobilisent
:
a)
pour aider le maximum de copropriétaires à
comprendre que ces deux obligations (plan pluriannuel
et fonds travaux) sont efficaces et bonnes pour tous
;
b)
pour obtenir que la mise en place de ces deux obligations
se fassent en même temps que l'instauration :
- du
compte séparé obligatoire ;
- d'une
fiscalité adaptée ;
-
d'avantages financiers pour les plus modestes.
Ainsi,
ce qui aujourd'hui est compris comme une intolérable
contrainte, sera perçu de façon positive
et prospective.
Tant
que les responsables politiques n'accepteront pas d'aller
dans ce sens, aucune - nous disons bien aucune - rénovation
de masse ambitieuse ne pourra être engagée
en France dans les copropriétés, surtout
les plus modestes d'entre elles qui nous préoccupent
autant pour des raisons sociales qu'écologiques.
Ainsi
aucune lutte vraiment efficace contre la précarité
énergétique, d'une part, les émissions
de gaz à effet de serre d'autre part, ne sera
possible à partir du parc des copropriétés.
Par
contre dès que ces deux fondations seront posées,
il sera possible de bâtir sur elles des programmes
ambitieux, progressifs, finançables, associant
rénovation technique et énergétique.
C'est
dans ces conditions que les cinq " piliers
" pourront alors jouer pleinement leur rôle,
sans effet " pervers ".
Par
Bruno Dhont et Fernand Champavier
Directeur et Président de l'Association
des Responsables de copropriété (ARC)
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