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TRIBUNE LIBRE
Rénovation énergétique et copropriété

Le 15/4/2011

 

Bruno Dhont et Fernand Champavier

"Comment parvenir à faire faire 40 % d'économies dans les 500.000 copropriétés que compte le pays d'ici 2020, et 75 % d'économies d'ici 2050 ?"

Par Bruno Dhont et Fernand Champavier
Directeur et Président de l'Association des Responsables de copropriété (ARC).

 

I. Préambule

Dans ce domaine la question essentielle est :

" Comment parvenir à faire faire 40 % d'économies dans les 500.000 copropriétés que compte le pays d'ici 2020, et 75 % d'économies d'ici 2050 ? ".

Donc, comment réussir le double pari suivant :

- rénover en masse ;
- rénover de façon ambitieuse ".

Aujourd'hui la réponse publique repose sur cinq piliers :

- l'incitation financière via le PTZ, les subventions ou le crédit d'impôt ;
- l'obligation d'affichage du DPE à la vente ou à la location, mesure censée inciter les propriétaires à faire des travaux pour éviter la dévalorisation des biens mal classés ;
- l'obligation de réaliser un DPE-collectif ou un audit énergétique dans les immeubles avec chauffage collectif, ce qui est censée déboucher sur des votes de plans de travaux d'amélioration énergétique ;
- la promotion des contrats de Performance Energétique présentés comme une façon simple de financer les travaux grâce aux économies réalisées, ceci sans avance de fonds, donc là encore une mesure censée entraîner des travaux ;
- enfin l'augmentation des prix de l'énergie qui, à terme, aura un effet " levier ".

Néanmoins nous pensons que les Pouvoirs publics sont trop optimistes et que les blocages dans les copropriétés sont tels qu'aucune de ces dispositions ne permettra d'atteindre les deux objectifs fixés (rénovation de masse ; rénovation ambitieuse).

Plus préoccupant : non seulement ces dispositifs ne sont pas, pour les raisons que nous allons examiner, de nature à déclencher des rénovations ambitieuses mais ils risquent - là où ils vont fonctionner (c'est-à-dire dans 25 % à 30 % des immeubles au grand maximum, selon nous) - de générer des rénovations partielles et " faciles " qui ont une double particularité :


- ne pas permettre en elles-mêmes d'atteindre le facteur 4 ;
- mais surtout d'empêcher à terme de l'atteindre, ceci en " tuant le gisement ", comme on dit familièrement.

C'est ce que nous allons tenter de démontrer, avant de proposer des solutions alternatives pour une rénovation massive et ambitieuse.

 

II. Les cinq piliers actuels de la rénovation : qu'en penser ?

1. Les incitations financières

Celles-ci sont, de notre point de vue, à la fois insuffisantes et, en partie inadaptées.

D'un côté le PTZ individuel fonctionne très difficilement en copropriété (trop lourd, pas assez intéressant pour les banques) et de l'autre l'Etat se refuse à instituer un prêt collectif à taux zéro, par peur sans doute que cela marche trop bien et ne coûte trop cher aux finances publiques.

Par ailleurs, les subventions octroyées sont en baisse constante et touchent de moins en moins les couches moyennes (voire les nouvelles orientations des subventions de l'ANAH).

Enfin les crédits d'impôts mobilisables diminuent d'année en année.

2. Le DPE à la vente ou à la location

L'" affichage " énergétique désormais obligatoire dès la mise en vente ou en location n'aura, d'après notre expérience, qu'un effet limité où ce qui est plus préoccupant - pourra avoir un effet " pervers ".

Un propriétaire possède un logement classé en classe F. Certes cela est a priori pénalisant et le sera peut-être de plus en plus. Alors que fait-il ? il va tenter :

- de faire les travaux les plus " faciles " et efficaces pour remonter de deux classes ;
- au besoin (et surtout s'il passe par une agence immobilière indélicate) il va rechercher un diagnostiqueur complaisant qui classera son logement de façon plus avantageux.

Ainsi ce propriétaire va faire ce qui est le plus facile, le moins cher, le plus " efficace ", ceci au détriment des travaux les plus difficiles, les plus coûteux, les moins " rentables " et qu'il faudrait pouvoir programmer dans le temps.

Par ailleurs, il y a fort à parier que l'effet d'entraînement partiel de l'affichage ou ce qu'on appelle aussi la valorisation " verte " (green value) ne concernera que les copropriétaires qui ont déjà des moyens financiers et ne se vérifiera que très peu dans les copropriétés modestes.

Plus grave : il est probable que la " green value " accentue les différences et entraîne non pas une valorisation des biens performants, mais surtout une dévalorisation physique et sociale des biens non performants.

3. Les DPE-collectifs et les audits énergétiques

Même si les DPE-collectifs et les audits énergétiques sont nécessaires, ils restent très insuffisants pour déclencher des campagnes de travaux de rénovation ambitieuse permettant de respecter les objectifs du Grenelle.

Les audits énergétiques n'ont, en effet, jamais (et ce depuis tente ans) déclenché que des travaux basiques, ceci pour diverses raisons :

  • " ces audits restent strictement énergétiques ;
  • " ils ne tiennent pas compte des autres problèmes de l'immeuble (vieillissement) ni des problèmes vécus par les habitants (acoustique, accessibilité, sécurité...) ;
  • " ils ne sont pas articulés avec un plan de rénovation globale ;
  • " ils ne mettent en évidence aucun plan de financement viable ni ne permettent de mobiliser les subventions.

Là encore les responsables publics ont du mal à entendre cette réalité et refusent donc de chercher à comprendre pourquoi ces diagnostics ou audits sont si inefficaces et n'aboutissent - la plupart du temps - qu'à changer les chaudières vétustes...

4. Les contrats de performance énergétique (C.P.E.)

Autre pilier : les CPE. A priori très intéressants, ces contrat vont avoir tendance - eux aussi - à aller au plus simple et au moins efficace. Voyons pourquoi.

Le CPE est en soi une bonne idée : " Nous réalisons des travaux d'économies ; nous vous garantissons des économies et nous nous payons, pendant quelques années, sur ces économies (éventuellement en vous laissant une petite part des économies). Ensuite, vous bénéficiez à 100 % des économies ". A priori le système paraît très intéressant et évite aux copropriétaires d'avoir à débourser de l'argent tout en leur promettant des gains à terme (après un contrat de cinq ans par exemple).

En fait ce système génère les mêmes effets que ce qu'on a déjà vu plus haut : le prestataire va être de tenté de favoriser les travaux les plus faciles, les plus rentables, ce qui est une façon de " tuer le gisement " puisque le jour où il faudra passer de 30 % à 60 % d'économies les investissements seront trop forts et les gains trop faibles.

Ceci sans parler du fait que les sociétés concernées sont souvent des filiales de fournisseurs d'énergie qui sont, comme on sait, peu enclines à scier la branche sur laquelle elles sont assises.


5. L'augmentation du prix des énergies

Dernier pilier : le prix de l'énergie. Certains croient, en effet, que ce facteur sera décisif. Malheureusement, là encore, rien de moins sûr. Cette augmentation n'aura d'effet efficace que dans une petite partie des copropriétés où les gens auront les moyens et les capacités suffisantes. Dans le reste des cas nous aurons :

- l'engagement des travaux les plus efficients (maximum de résultats pour un minimum de financement) ;
- et /ou le développement de la précarité énergétique.

 

III. Les deux fondations préalables, avant les cinq piliers

1. Fonds travaux et plans pluriannuels

On répondra que nous sommes pessimistes en pensant que les cinq piliers actuels de la réponse publique ne sont pas suffisants. Au contraire, nous partons des blocages de la copropriété et des difficultés qu'il y a à engager des programmes de travaux cohérents et efficaces. En continuant comme nous avons commencé à le faire, non seulement nous n'arriverons ni moins à 40 % en 2020, ni, a fortiori, à moins 75 % en 2050.

Il semble même - ce qui est très inquiétant - que les systèmes d'incitation actuels vont finir par fonctionner mais uniquement sur une partie du parc en copropriété - le plus riche - et que la plus grande partie du parc restera à l'écart de ce mouvement, entraînant des effets économiques et sociaux désastreux (accroissement de la précarité énergétique).

Pourtant il y a une solution relativement simple qui passe par une remise en question des méthodes et règles qui s'appliquent à la Copropriété.

Tous ceux qui ont les yeux ouverts et les pieds dans les immeubles connaissent bien, cette solution ; c'est ce qu'on peut appeler la " solution québécoise ". Celle-ci part de deux constats simples :

" Si l'on n'oblige pas une copropriété à mettre en place un plan de gros entretien sur plusieurs années, elle va se contenter de " laisser venir " et d'agir au coup par coup et dans l'urgence.

" De même, si l'on n'oblige pas une copropriété à provisionner pour les travaux d'entretien, elle va - le jour venu et face aux dépenses importantes - se retrouver dans l'incapacité de financer un programme complet et le réduira au strict minimum.


Conséquence si l'on veut mettre en place une dynamique " Facteur 4 " en copropriété, il faut :

- obliger à penser " rénovation importante " via un plan pluriannuel obligatoire de gros travaux, plan adapté à chaque copropriété, à la solvabilité des copropriétaires, aux aides mobilisables et dont la rénovation thermique sera un des volets ;
- obliger les copropriétés à provisionner les sommes nécessaires via des " fonds travaux " attachés aux lots ; même si, évidemment, cet argent ne suffira pas le moment venu à financer la totalité des travaux, il permettra :

  • d'atténuer les premiers efforts ;
  • d'amorcer la dynamique de rénovation.

2. La peur légitime des responsables politiques et administratifs : pourquoi et comment la surmonter ?

Naturellement cette double exigence qui renvoie à l'instauration de deux nouvelles obligations fait frémir les responsables politiques et administratifs qui se voient déjà balayés par les tempêtes de protestations émanant des huit millions de copropriétaires concernés.

Ces responsables politiques (traumatisés par l'affaire des ascenseurs) nous opposent régulièrement deux principaux arguments :

- le fait qu'une majorité de copropriétaires semblent s'opposer farouchement à un tel dispositif ;
- le fait que les copropriétaires parmi les plus modestes ne pourraient tout simplement pas abonder un tel fonds.

Ces objections appellent deux types de réponses :

1. Nous rappelons tout d'abord que toutes les organisations représentatives des copropriétaires occupants modestes (en particulier l'UNAF, l'ARC, l'UNARC, la CLCV, L'UFC Que Choisir) adhérent au fait qu'il faut instaurer cette double obligation, car celle-ci constitue le seul moyen de protéger efficacement l'avenir de ces copropriétaires modestes.

2. Nous proposons ensuite - pour aider à surmonter les fortes réticences des copropriétaires - que la mise en place de cette double obligation s'accompagne de trois mesures qui vont permettre à la fois de les justifier et à la fois de compenser - aux yeux des copropriétaires - ses aspects apparemment négatifs.

Ces trois mesures (ou types de mesures) sont les suivantes :

a) instauration dans les copropriétés du compte séparé sans dérogation possible ;
b) mise en place d'une fiscalité adaptée au placement des fonds d'un syndicat (rien n'existe aujourd'hui hors le Livret A !) ;
c) mise en place de dispositions permettant de rendre financièrement " intéressants " les fonds travaux obligatoires et de faciliter leur abondement par les ménages modestes ; exemples :

  • crédit d'impôt pour les plus modestes (comme au Québec) ;
  • prime de sortie comme avec les P.E.L. individuels (Plan d'Epargne Logement) ou prêt de sortie de type : " prêt collectif à taux zéro ".

Ainsi l'instauration des fonds travaux obligatoires pourrait être présentée et surtout vécue comme une mesure positive pour tous :
- préparant l'avenir en facilitant le financement des gros travaux inéluctables ;
- entraînant - via les comptes séparés - la transparence financière des copropriétés réclamée par tous les copropriétaires ;
- entraînant enfin la mise en place de dispositions fiscales et financières favorables aux copropriétaires et aux copropriétés.

Insistons encore une fois sur l'adhésion à ce dispositif - apparemment impopulaire - des grandes associations de consommateurs ou d'usagers (ARC, UNARC, UNAF, CLCV, Que Choisir...), adhésion qui représente un atout formidable et inespéré dont il faut profiter et qui doit non seulement rassurer les responsables, mais les amener à prendre les mesures nécessaires, y compris les mesures compensatoires.

Important : SI en 2004 on nous avait écouté en ce qui concerne les ascenseurs, SI on avait prévu des aides pour les copropriétaires modestes, SI la DGCCRF était mieux intervenue pour favoriser une réelle concurrence en matière de travaux, SI les abus dénoncés dès 2004 avaient été pris en considération et traités, la mise en œuvre de la " mise en sécurité " des ascenseurs n'aurait jamais constitué le traumatisme que chacun déplore aujourd'hui.

Ceci pour dire que l'expérience malheureuse des ascenseurs ne doit pas être utilisée sans discernement pour refuser aujourd'hui les solutions nécessaires et courageuses concernant la rénovation énergétique et technique des copropriétés.

 

Conclusion :

Il faut que tous ceux qui sont conscients des enjeux liés à la rénovation énergétique et technique des copropriétés se mobilisent :

a) pour aider le maximum de copropriétaires à comprendre que ces deux obligations (plan pluriannuel et fonds travaux) sont efficaces et bonnes pour tous ;

b) pour obtenir que la mise en place de ces deux obligations se fassent en même temps que l'instauration :

  • du compte séparé obligatoire ;
  • d'une fiscalité adaptée ;
  • d'avantages financiers pour les plus modestes.

Ainsi, ce qui aujourd'hui est compris comme une intolérable contrainte, sera perçu de façon positive et prospective.

Tant que les responsables politiques n'accepteront pas d'aller dans ce sens, aucune - nous disons bien aucune - rénovation de masse ambitieuse ne pourra être engagée en France dans les copropriétés, surtout les plus modestes d'entre elles qui nous préoccupent autant pour des raisons sociales qu'écologiques.

Ainsi aucune lutte vraiment efficace contre la précarité énergétique, d'une part, les émissions de gaz à effet de serre d'autre part, ne sera possible à partir du parc des copropriétés.

Par contre dès que ces deux fondations seront posées, il sera possible de bâtir sur elles des programmes ambitieux, progressifs, finançables, associant rénovation technique et énergétique.

C'est dans ces conditions que les cinq " piliers " pourront alors jouer pleinement leur rôle, sans effet " pervers ".

 

Par Bruno Dhont et Fernand Champavier
Directeur et Président de l'Association des Responsables de copropriété (ARC)

Avertissement : les articles publiés dans cette section sont sous la responsabilité exclusive de leur auteur. Leur contenu n'engage en aucune façon la rédaction du site Universimmo.com.

 

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