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TRIBUNE LIBRE
Les professions immobilières ne peuvent s'opposer à leur contrôle, mais doivent demander à en être le principal acteur !

Le 4/2/2011

 

Henry Buzy-Cazaux - président de l'Institut du Management des Services Immobiliers (groupe IGS) et président d'honneur de l'ESPI

Les professions immobilières ont mauvaise image et sont régulièrement sur la sellette. Elles en souffrent et vivent mal la nouvelle charge que prépare contre elles le gouvernement avec le projet de loi d'encadrement des activités d'"entremise" et de gestion immobilières. Elles préparent une contre-attaque en organisant des Etats Généraux des professions immobilières. Henry Buzy-Cazaux est depuis longtemps un observateur avisé et souvent iconoclaste de ces professions, qu'il a connues en tant que conseiller puis délégué général du plus grand syndicat professionnel, la FNAIM, mais aussi comme membre de la direction générale de grands groupes d'administration de biens, et président d'établissements d'enseignement spécialisés. Nous lui avons demandé son avis, et comme toujours il s'exprime en toute liberté...

 

Entretien avec Henry Buzy-Cazaux
Président de l'Institut du Management des Services Immobiliers (groupe IGS) et président d'honneur de l'ESPI (Ecole supérieure des professions immobilières)

Universimmo.com - Controverse sur les pratiques en matière d'honoraires, affaire Urbania, depuis plusieurs années, les syndics de copropriété sont sur la sellette ; vous qui avez bien connu cette profession lorsque vous avez exercé des fonctions de direction générale chez Foncia puis Tagerim, pensez-vous que le gouvernement n'avait pas d'autre choix que de légiférer alors que la copropriété a déjà fait l'objet d'un nombre impressionnant de textes ?

Henry Buzy-Cazaux - Je crois que la question n'est pas là. Il est clair que les agents immobiliers et les administrateurs de biens sont déjà strictement encadrés par de nombreux textes, qu'ils ressortissent au contrôle de l'activité elle-même - tels que la loi du 2 janvier 1970 -, à l'organisation des relations juridiques - par la loi du 1er juillet 1965 ou celle du 6 juillet 1989 - ou encore à la protection du consommateur. A mes yeux, cette longue liste de textes signifie seulement deux choses : que les enjeux sont considérables et que le législateur veut de longue date maîtriser les acteurs et le marché, et en outre que les pouvoirs publics regardent depuis longtemps les professionnels d'un œil suspicieux.

N'oublions pas à cet égard que la loi Hoguet venait remédier à une situation chaotique, avec des scandales liés à des détournements d'argent au détriment de clients déposants auprès d'agents immobiliers. C'est une authentique loi de police. Depuis, d'autres initiatives législatives ou règlementaires ont révélé la même attitude, notamment vis-à-vis des syndics, avec un contrat-type contraignant, mais aussi avec des lignes d'honoraires devenues illicites, comme envers les gestionnaires locatifs, sur qui la commission des clauses abusives et le législateur se penchent régulièrement.

A ce stade, ce que je propose est une véritable refondation des professions d'administrateur de biens et d'agent immobilier, histoire de mettre fin justement à ce mouvement permanent de réglementation et de surèglementation. Pour cela, le moment est venu de donner aux activités de service au logement un statut, fort, exigeant, noble. D'ailleurs, en 1970, les professionnels et l'organisation majeure qui les représentait, la FNAIM, n'avaient rien voulu d'autre que cette respectabilité : le législateur a fait d'eux des mandataires, c'est-à-dire les a dotés d'une honorabilité supérieure à celle des simples prestataires. Il n'est que temps d'aller plus loin.

UI.com - L'avant-projet de loi diffusé en novembre par le ministère de la justice aux fédérations professionnelles et aux associations de consommateurs a surpris en étendant aux agents immobiliers et aux administrateurs de biens ce qui était au départ un projet d'encadrement des syndics de copropriété, et en créant un "Conseil de l'entremise et de la gestion immobilières", "établissement d'utilité publique" qui tiendra un annuaire de tous les titulaires de carte professionnelle et qui percevra cotisation. Vous-même avez milité depuis plusieurs années et vous êtes exprimé à plusieurs reprises dans les médias en faveur d'un " ordre " professionnel : ça y ressemble, et qu'en pensez-vous ?

HBC - Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux dans le précédent Gouvernement, avait acquis la conviction qu'il fallait un geste législatif fort pour ces professions. Elle avait d'abord uniquement travaillé sur le métier de syndic de copropriété, et j'avais à l'époque manifesté mon regret qu'on stigmatise l'activité de gestion de copropriété. Le législateur de 1970 avait vu juste en règlementant de la même manière les deux grands métiers, l'administrateur de biens et l'agent immobilier : le consommateur qui entre chez un professionnel exerçant - dans la plupart des cas - la vente, la location, la gestion locative et la gestion collective doit avoir le même degré de sécurité et de garantie quel que soit le service auquel il prétend. Le nouveau projet de loi intègre cette réalité.

Je pense en outre que ce texte prend en compte tous les aspects de ce que j'appellerai la dignité professionnelle : l'éthique et la déontologie, la discipline et l'appareil de sanction, le traitement extra-judiciaire des litiges, la formation continue, la transparence économique et financière.

Là où le bât blesse, c'est que pour faire fonctionner tout cela, le Gouvernement désigne dans le projet de loi l'Etat comme grand ordonnateur. Il ne s'agit donc pas de la création d'un ordre, mais d'un établissement public, doté de la personnalité morale, piloté par des fonctionnaires et des représentants de l'Etat. Les professions sont mises sous tutelle, purement et simplement. Je désapprouve totalement ce choix, et je m'en suis ouvert au Gouvernement. Depuis cinq ans, je demande l'instauration d'un ordre, qu'on pourrait nommer " Conseil Supérieur de la gestion et de la transaction immobilières ", c'est-à-dire que les pouvoirs publics délèguent aux professionnels la responsabilité de s'organiser, sous contrôle de l'Etat. La différence est radicale avec le projet actuel du Gouvernement.

UI.com - Les fédérations professionnelles ont commencé par pratiquer la politique de la chaise vide en demandant le retrait pur et simple du projet, puis annoncent vouloir organiser des Etats Généraux des professions immobilières ; ont-ils des chances selon vous d'infléchir le cours de l'histoire ?

HBC - Le projet de loi est en préparation depuis la rentrée 2009 ! C'est dire que le chantier est avancé. Le texte est sur le point de partir au Conseil d'Etat, phase formelle préalable à la présentation au conseil des ministres. Le projet de loi sera inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée Nationale et du Sénat à la fin du premier trimestre ou au début du deuxième trimestre 2011. Il restera deux ou trois semaines dans les mains du Parlement. En clair, même si je juge que la mobilisation de la profession a été insuffisante jusqu'à présent, tout est possible.

Cela dit, c'est la nature de ce que veut la profession qui va compter, plus que la méthode de conviction des pouvoirs publics. Refuser le texte du Gouvernement en bloc, sans proposition alternative, constitue une grave erreur. C'est une voie sans issue. Vouloir l'amender dans le détail ne mènera à rien, par exemple pour obtenir une meilleure représentation de la profession dans les commissions régionales de contrôle, ou encore pour le pilotage du conseil national de l'entremise et de la gestion. Ce seront cautères sur jambe de bois. Ce qu'il faut, c'est que la profession demande que tout ce qui a été prévu lui soit confié, et que l'édifice ne soit pas étatique mais ordinal. Il faut inverser la logique du texte, sans concession. L'opportunité est historique.

Je vais même vous révéler un épisode privé : j'ai écrit une lettre personnelle au président de la FNAIM pour l'exhorter à prendre cette posture politique et à sortir de l'opposition stricte. Quels qu'aient été mes différends stratégiques, nous sommes également attachés à la profession. Il m'a répondu et je dois dire que sa réponse témoigne d'un haut degré de conscience. Sur un point, je souhaite qu'il évolue, ainsi que ses homologues Serge Ivars et Alain Dufoux : la Chancellerie a marqué son opposition à un ordre … sans jamais la motiver intelligemment, et je suis convaincu que si l'une des fédérations formule l'exigence d'un ordre, elle aura gain de cause. C'est parce qu'aucune requête dans ce sens n'a été exprimée qu'elle n'a pas été satisfaite ! Le Gouvernement ne va pas supplier la profession d'accepter une responsabilité dont elle ne voudrait pas …

UI.com - Pour les copropriétés, les associations de consommateurs demandent depuis plus de 20 ans que la possibilité de dispenser le syndic de l'ouverture d'un compte séparé au nom du syndicat de copropriétaires soit supprimée. Dans le premier projet elles avaient été entendues, mais le gouvernement semble avoir reculé sous la pression des professionnels ; est-ce si important pour eux et comment comprendre cette résistance à une demande qui paraît légitime à un grand nombre de copropriétaires ?

HBC - Le projet de loi comporte à ce jour deux obligations nouvelles dans l'ordre de la transparence : l'une relative aux comptes des copropriétés, l'autre relative aux garants. La première, que vous évoquez, n'interdit pas le compte unique, et crée seulement la contrainte d'une comptabilité clairement séparée. Sa rédaction me paraît complexe et fragile, et je suis certain que la demande du compte séparé à proprement parler reviendra au Parlement. L'ARC y travaille déjà activement, et en fait une grande partie de la profession est favorable à cette pratique, considérant qu'elle est gage de confiance de la part des clients et coupe court à la suspicion. Je pourrais citer de grands professionnels qui sont acquis à cette idée.

A ce jour, le Gouvernement n'a pas voulu tuer les intérêts financiers générés par les comptes uniques, de peur de fragiliser les cabinets. Cet argument, pour fondé qu'il soit, ne résistera pas à la volonté d'une transparence accrue … et de vous à moi, il est dangereux que les entreprises de gestion conditionnent leur rentabilité à la rémunération des fonds mandants …

J'en viens à la seconde disposition imaginée par le ministère de la justice lors de la rédaction du projet de loi : rendre impossible qu'un administrateur de biens détenu majoritairement par un établissement financier détenant aussi une caisse de garantie puisse être garanti pour les fonds déposés en ses mains pour cette caisse de garantie. Au moment où je vous parle, le lobbying - légitime - des rares banques concernées a porté ses fruits et Matignon ne veut pas maintenir une disposition qui soulève l'opposition d'enseignes importantes de l'univers bancaire. Surtout, le Gouvernement, à la réflexion, considère que le risque de collusion entre un garant et un garanti détenus par un même actionnaire est nul.

En théorie, et la loi est là pour prévoir et prévenir, le risque existe. Le règlement définitif de l'affaire Urbania pourrait bien nous apprendre douloureusement que lorsque des déposants sont lésés et que le garant de l'administrateur de biens a avec lui un actionnaire commun (avant qu'Urbania ne soit repris par le fond d'investissement IPE, tout porte à croire que le GFC, garant du groupe, avait un actionnaire majoritaire commun avec Urbania), le règlement des sinistres est plus difficile que lorsque garant et garanti sont indépendants l'un et l'autre.

J'ajoute que, de façon symbolique, politique, la séparation des genres est aujourd'hui attendue par l'opinion. Matignon sous-estime selon moi ce point, auquel les parlementaires seront sûrement plus sensibles.

UI.com - On présente l' " affaire Urbania " comme le facteur déclencheur de ce " tour de vis " sur les professions immobilières ; selon vous cette affaire est symptomatique de pratiques répandues ou un simple " accident " atypique dont la page est désormais tournée ?

HBC - Dans toutes les activités économiques, tout particulièrement quand le risque est majoré par la détention de fonds considérables, on peut assister à des pratiques condamnables. Aucune loi, aussi sévère soit-elle, ne pourra éviter cela. D'autant que la malice des acteurs se développe au gré du renforcement de la réglementation ! C'est l'éternelle histoire des microbes et des antibiotiques … Partant de ce théorème, je ne crois qu'à deux assurances : l'éthique et le contrôle par la profession elle-même.

L'éthique, la morale en chacun de nous et son adaptation aux situations de vie, s'apprend à tout âge et, naguère président d'une école bien connue de l'immobilier, j'avais voulu que nous insistions sur les enseignements relatifs à l'éthique. La formation, notamment spécialisée, a un rôle majeur à jouer pour éradiquer les mauvais réflexes, qui compromettent au bout du compte l'intégrité et la réputation d'un homme et d'une entreprise.

Et puis justement il y a l'ordre : les pouvoirs publics n'ont pas les moyens de faire régner l'orthodoxie des pratiques de quelque 40 000 professionnels. Je ne crois qu'à la discipline observée par la profession sous contrôle de la profession. Je prétends que les notaires ou les médecins, sans que les pouvoirs publics aient besoin d'intervenir, parviennent à se réguler et à mettre au ban les membres indélicats ou incompétents. D'ailleurs, on rejoint la thématique de la formation puisque, traditionnellement, un ordre veille à ce que ses membres soient correctement formés.

UI.com - Pensez-vous que les Etats Généraux organisés par la FNAIM, l'UNIS et le SNPI en réaction à l'intention du Gouvernement apporteront quelque chose ?

HBC - Je suis très réservé. S'il s'agit de sonder ce que veut le public, ce que souhaitent les élus de tous niveaux ou les associations de consommateurs, ces Etats Généraux sont inutiles. Croyez-vous qu'une seule personne puisse être opposée à plus d'éthique, plus de rigueur, plus de transparence financière, plus de formation, plus de facilité à régler les conflits ? Franchement, chaque professionnel, en son âme et conscience, connaît les attentes de l'opinion. Quant aux attentes des agents immobiliers et des administrateurs de biens, elles sont claires : ils aspirent de toutes leurs forces à la respectabilité, et voudraient même que les mauvais professionnels soient disqualifiés et exclus du jeu. Et ils ne croient pas que l'Etat puisse faire ce travail, qui sinon serait déjà fait ! On en revient à l'ordre : l'idée passe très bien sur le terrain, loin des Etats Majors de syndicat.

Les pouvoirs publics ont vraiment le sentiment que ces Etats Généraux sont dilatoires, et en tout cas ils viennent bien tard puisque le texte est stabilisé dans sa phase gouvernementale. Pour moi, je leur prête néanmoins une vertu didactique : s'ils doivent finir de convaincre de la nécessité d'un Conseil Supérieur piloté par la profession, alors ils auront fait œuvre utile.

Enfin, je constate que la belle unité des organisations professionnelles est déjà fissurée, et je le regrette : le SNPI a quitté le navire des Etats Généraux, qui leur paraissaient faire une place aux grandes enseignes de la profession, réunies dans l'association Plurience. Voilà qui accrédite la thèse d'un ordre, qui rassemblera la profession sans arrière pensée et remédiera à la dispersion des forces en présence.


Propos recueillis auprès d'Henry Buzy-Cazaux
Président de l'Institut du Management des Services Immobiliers (groupe IGS) et président d'honneur de l'ESPI (Ecole supérieure des professions immobilières)


VOS REACTIONS :

1. (Contribution reçue le 22 février 2011 à 15h35)

Syndics : Mais pourquoi veulent-ils à tout prix un ORDRE ?

Ça y est. Les professions immobilières remontent aux créneaux :

- "Oui, les syndics posent problèmes et - au-delà - les professions immobilières.
- "Oui, on peut déplorer de nombreux manquements aux lois et à la déontologie chez les professionnels.
- "MAIS nous ne voulons pas que l'Etat vienne nous dire quoi faire ni ne prétende traiter les problèmes que posent les professionnels.
- "L'Etat est incapable d'assurer la "police" et ce n'est pas à lui (mais aux professionnels) à définir le code de déontologie et à le faire respecter.
- "Pour cela, une seule solution : l'ORDRE ".


Voici donc le discours qu'on entend depuis des années maintenant et qui - aujourd'hui - revient en force : "L'Etat est faible ; l'Etat est incapable de régler les problèmes ; laissez nous faire la loi et la police chez nous".

Il s'agit de ce qu'on pourrait appeler un "populisme professionnel" qui joue sur une faillite de l'Etat d'autant plus réelle qu'elle a été en partie organisée par ces professionnels (exemple : ce sont eux qui ont tout fait pour que la carte annuelle de gestion deviennent une carte décennale - oui, valable dix ans ! - empêchant par là tout contrôle des professionnels par les Préfectures).

C'est vrai, l'Etat est faible (nous nous en apercevons tous les jours, par exemple, avec la DGCCRF qui ne peut régler aucun des abus liés aux contrats de syndic).

Mais ce qu'oublient les syndics, c'est qu'entre l'Etat et les professionnels, il y a les usagers ("ah ! oui, c'est vrai, les clients....") et leurs associations.

Or qui dit Etat + usagers + professionnels dit : "instance paritaire de définition des règles et de règlements des conflits" et non "Ordre".(Un Ordre dont chacun sait qu'il ne traitera QUE les gros cas et laissera passer dans ses filets à maille très large la quasi-majorité des manquements quotidiens aux règles déontologiques, lois et règlements).

C'est une instance paritaire que nous voulons et que redoutent les syndics : d'abord la mise en place concertée d'un Code de déontologie, puis des Commissions régionales paritaires pouvant examiner et traiter les mille et un manquements à ce code et - au-delà - à la loi et aux règlements. C'est cette instance que nous voulons et non pas une "police des syndics par les syndics" en laquelle PERSONNE n'aurait confiance et qui depuis dix ans a montré (avec, par exemple, les commissions de déontologie professionnelles, type CNAB ou FNAIM), sa totale impuissance.

C'est d'ailleurs cette instance paritaire que prévoit le projet de loi que les syndics font tout pour retarder, espérant que "retarder" ce sera "enterrer".

Fernand Champavier

Le Président de l'Arc.

 

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