Entretien
avec Henry Buzy-Cazaux
Président de l'Institut du Management des Services
Immobiliers (groupe IGS) et président d'honneur
de l'ESPI (Ecole supérieure des professions immobilières)
Universimmo.com
- Controverse sur les pratiques en matière
d'honoraires, affaire Urbania, depuis plusieurs années,
les syndics de copropriété sont sur la
sellette ; vous qui avez bien connu cette profession
lorsque vous avez exercé des fonctions de direction
générale chez Foncia puis Tagerim, pensez-vous
que le gouvernement n'avait pas d'autre choix que de
légiférer alors que la copropriété
a déjà fait l'objet d'un nombre impressionnant
de textes ?
Henry
Buzy-Cazaux - Je crois que la question n'est pas
là. Il est clair que les agents immobiliers et
les administrateurs de biens sont déjà
strictement encadrés par de nombreux textes,
qu'ils ressortissent au contrôle de l'activité
elle-même - tels que la loi du 2 janvier 1970
-, à l'organisation des relations juridiques
- par la loi du 1er juillet 1965 ou celle du 6 juillet
1989 - ou encore à la protection du consommateur.
A mes yeux, cette longue liste de textes signifie seulement
deux choses : que les enjeux sont considérables
et que le législateur veut de longue date maîtriser
les acteurs et le marché, et en outre que les
pouvoirs publics regardent depuis longtemps les professionnels
d'un il suspicieux.
N'oublions pas à cet égard que la loi
Hoguet venait remédier à une situation
chaotique, avec des scandales liés à des
détournements d'argent au détriment de
clients déposants auprès d'agents immobiliers.
C'est une authentique loi de police. Depuis, d'autres
initiatives législatives ou règlementaires
ont révélé la même attitude,
notamment vis-à-vis des syndics, avec un contrat-type
contraignant, mais aussi avec des lignes d'honoraires
devenues illicites, comme envers les gestionnaires locatifs,
sur qui la commission des clauses abusives et le législateur
se penchent régulièrement.
A ce stade, ce que je propose est une véritable
refondation des professions d'administrateur de biens
et d'agent immobilier, histoire de mettre fin justement
à ce mouvement permanent de réglementation
et de surèglementation. Pour cela, le moment
est venu de donner aux activités de service au
logement un statut, fort, exigeant, noble. D'ailleurs,
en 1970, les professionnels et l'organisation majeure
qui les représentait, la FNAIM, n'avaient rien
voulu d'autre que cette respectabilité : le législateur
a fait d'eux des mandataires, c'est-à-dire les
a dotés d'une honorabilité supérieure
à celle des simples prestataires. Il n'est que
temps d'aller plus loin.
UI.com
- L'avant-projet de loi diffusé en novembre
par le ministère de la justice aux fédérations
professionnelles et aux associations de consommateurs
a surpris en étendant aux agents immobiliers et
aux administrateurs de biens ce qui était au départ
un projet d'encadrement des syndics de copropriété,
et en créant un "Conseil de l'entremise et
de la gestion immobilières", "établissement
d'utilité publique" qui tiendra un annuaire
de tous les titulaires de carte professionnelle et qui
percevra cotisation. Vous-même avez milité
depuis plusieurs années et vous êtes exprimé
à plusieurs reprises dans les médias en
faveur d'un " ordre " professionnel : ça
y ressemble, et qu'en pensez-vous ?
HBC
- Michèle Alliot-Marie, garde des sceaux
dans le précédent Gouvernement, avait
acquis la conviction qu'il fallait un geste législatif
fort pour ces professions. Elle avait d'abord uniquement
travaillé sur le métier de syndic de copropriété,
et j'avais à l'époque manifesté
mon regret qu'on stigmatise l'activité de gestion
de copropriété. Le législateur
de 1970 avait vu juste en règlementant de la
même manière les deux grands métiers,
l'administrateur de biens et l'agent immobilier : le
consommateur qui entre chez un professionnel exerçant
- dans la plupart des cas - la vente, la location, la
gestion locative et la gestion collective doit avoir
le même degré de sécurité
et de garantie quel que soit le service auquel il prétend.
Le nouveau projet de loi intègre cette réalité.
Je pense en outre que ce texte prend en compte tous
les aspects de ce que j'appellerai la dignité
professionnelle : l'éthique et la déontologie,
la discipline et l'appareil de sanction, le traitement
extra-judiciaire des litiges, la formation continue,
la transparence économique et financière.
Là où le bât blesse, c'est que pour
faire fonctionner tout cela, le Gouvernement désigne
dans le projet de loi l'Etat comme grand ordonnateur.
Il ne s'agit donc pas de la création d'un ordre,
mais d'un établissement public, doté de
la personnalité morale, piloté par des
fonctionnaires et des représentants de l'Etat.
Les professions sont mises sous tutelle, purement et
simplement. Je désapprouve totalement ce choix,
et je m'en suis ouvert au Gouvernement. Depuis cinq
ans, je demande l'instauration d'un ordre, qu'on pourrait
nommer " Conseil Supérieur de la gestion
et de la transaction immobilières ", c'est-à-dire
que les pouvoirs publics délèguent aux
professionnels la responsabilité de s'organiser,
sous contrôle de l'Etat. La différence
est radicale avec le projet actuel du Gouvernement.
UI.com
- Les fédérations professionnelles
ont commencé par pratiquer la politique de la
chaise vide en demandant le retrait pur et simple du
projet, puis annoncent vouloir organiser des Etats Généraux
des professions immobilières ; ont-ils des chances
selon vous d'infléchir le cours de l'histoire
?
HBC
- Le projet de loi est en préparation depuis
la rentrée 2009 ! C'est dire que le chantier
est avancé. Le texte est sur le point de partir
au Conseil d'Etat, phase formelle préalable à
la présentation au conseil des ministres. Le
projet de loi sera inscrit à l'ordre du jour
de l'Assemblée Nationale et du Sénat à
la fin du premier trimestre ou au début du deuxième
trimestre 2011. Il restera deux ou trois semaines dans
les mains du Parlement. En clair, même si je juge
que la mobilisation de la profession a été
insuffisante jusqu'à présent, tout est
possible.
Cela dit, c'est la nature de ce que veut la profession
qui va compter, plus que la méthode de conviction
des pouvoirs publics. Refuser le texte du Gouvernement
en bloc, sans proposition alternative, constitue une
grave erreur. C'est une voie sans issue. Vouloir l'amender
dans le détail ne mènera à rien,
par exemple pour obtenir une meilleure représentation
de la profession dans les commissions régionales
de contrôle, ou encore pour le pilotage du conseil
national de l'entremise et de la gestion. Ce seront
cautères sur jambe de bois. Ce qu'il faut, c'est
que la profession demande que tout ce qui a été
prévu lui soit confié, et que l'édifice
ne soit pas étatique mais ordinal. Il faut inverser
la logique du texte, sans concession. L'opportunité
est historique.
Je
vais même vous révéler un épisode
privé : j'ai écrit une lettre personnelle
au président de la FNAIM pour l'exhorter à
prendre cette posture politique et à sortir de
l'opposition stricte. Quels qu'aient été
mes différends stratégiques, nous sommes
également attachés à la profession.
Il m'a répondu et je dois dire que sa réponse
témoigne d'un haut degré de conscience.
Sur un point, je souhaite qu'il évolue, ainsi
que ses homologues Serge Ivars et Alain Dufoux : la
Chancellerie a marqué son opposition à
un ordre
sans jamais la motiver intelligemment,
et je suis convaincu que si l'une des fédérations
formule l'exigence d'un ordre, elle aura gain de cause.
C'est parce qu'aucune requête dans ce sens n'a
été exprimée qu'elle n'a pas été
satisfaite ! Le Gouvernement ne va pas supplier la profession
d'accepter une responsabilité dont elle ne voudrait
pas
UI.com
- Pour les copropriétés, les associations
de consommateurs demandent depuis plus de 20 ans que
la possibilité de dispenser le syndic de l'ouverture
d'un compte séparé au nom du syndicat
de copropriétaires soit supprimée. Dans
le premier projet elles avaient été entendues,
mais le gouvernement semble avoir reculé sous
la pression des professionnels ; est-ce si important
pour eux et comment comprendre cette résistance
à une demande qui paraît légitime
à un grand nombre de copropriétaires ?
HBC
- Le projet de loi comporte à ce jour deux
obligations nouvelles dans l'ordre de la transparence
: l'une relative aux comptes des copropriétés,
l'autre relative aux garants. La première, que
vous évoquez, n'interdit pas le compte unique,
et crée seulement la contrainte d'une comptabilité
clairement séparée. Sa rédaction
me paraît complexe et fragile, et je suis certain
que la demande du compte séparé à
proprement parler reviendra au Parlement. L'ARC y travaille
déjà activement, et en fait une grande
partie de la profession est favorable à cette
pratique, considérant qu'elle est gage de confiance
de la part des clients et coupe court à la suspicion.
Je pourrais citer de grands professionnels qui sont
acquis à cette idée.
A ce jour, le Gouvernement n'a pas voulu tuer les intérêts
financiers générés par les comptes
uniques, de peur de fragiliser les cabinets. Cet argument,
pour fondé qu'il soit, ne résistera pas
à la volonté d'une transparence accrue
et de vous à moi, il est dangereux que
les entreprises de gestion conditionnent leur rentabilité
à la rémunération des fonds mandants
J'en
viens à la seconde disposition imaginée
par le ministère de la justice lors de la rédaction
du projet de loi : rendre impossible qu'un administrateur
de biens détenu majoritairement par un établissement
financier détenant aussi une caisse de garantie
puisse être garanti pour les fonds déposés
en ses mains pour cette caisse de garantie. Au moment
où je vous parle, le lobbying - légitime
- des rares banques concernées a porté
ses fruits et Matignon ne veut pas maintenir une disposition
qui soulève l'opposition d'enseignes importantes
de l'univers bancaire. Surtout, le Gouvernement, à
la réflexion, considère que le risque
de collusion entre un garant et un garanti détenus
par un même actionnaire est nul.
En
théorie, et la loi est là pour prévoir
et prévenir, le risque existe. Le règlement
définitif de l'affaire Urbania pourrait bien
nous apprendre douloureusement que lorsque des déposants
sont lésés et que le garant de l'administrateur
de biens a avec lui un actionnaire commun (avant qu'Urbania
ne soit repris par le fond d'investissement IPE, tout
porte à croire que le GFC, garant du groupe,
avait un actionnaire majoritaire commun avec Urbania),
le règlement des sinistres est plus difficile
que lorsque garant et garanti sont indépendants
l'un et l'autre.
J'ajoute
que, de façon symbolique, politique, la séparation
des genres est aujourd'hui attendue par l'opinion. Matignon
sous-estime selon moi ce point, auquel les parlementaires
seront sûrement plus sensibles.
UI.com
- On présente l' " affaire Urbania "
comme le facteur déclencheur de ce " tour
de vis " sur les professions immobilières
; selon vous cette affaire est symptomatique de pratiques
répandues ou un simple " accident "
atypique dont la page est désormais tournée
?
HBC
- Dans toutes les activités économiques,
tout particulièrement quand le risque est majoré
par la détention de fonds considérables,
on peut assister à des pratiques condamnables.
Aucune loi, aussi sévère soit-elle, ne
pourra éviter cela. D'autant que la malice des
acteurs se développe au gré du renforcement
de la réglementation ! C'est l'éternelle
histoire des microbes et des antibiotiques
Partant
de ce théorème, je ne crois qu'à
deux assurances : l'éthique et le contrôle
par la profession elle-même.
L'éthique,
la morale en chacun de nous et son adaptation aux situations
de vie, s'apprend à tout âge et, naguère
président d'une école bien connue de l'immobilier,
j'avais voulu que nous insistions sur les enseignements
relatifs à l'éthique. La formation, notamment
spécialisée, a un rôle majeur à
jouer pour éradiquer les mauvais réflexes,
qui compromettent au bout du compte l'intégrité
et la réputation d'un homme et d'une entreprise.
Et
puis justement il y a l'ordre : les pouvoirs publics
n'ont pas les moyens de faire régner l'orthodoxie
des pratiques de quelque 40 000 professionnels. Je ne
crois qu'à la discipline observée par
la profession sous contrôle de la profession.
Je prétends que les notaires ou les médecins,
sans que les pouvoirs publics aient besoin d'intervenir,
parviennent à se réguler et à mettre
au ban les membres indélicats ou incompétents.
D'ailleurs, on rejoint la thématique de la formation
puisque, traditionnellement, un ordre veille à
ce que ses membres soient correctement formés.
UI.com
- Pensez-vous que les Etats Généraux
organisés par la FNAIM, l'UNIS et le SNPI en
réaction à l'intention du Gouvernement
apporteront quelque chose ?
HBC
- Je suis très réservé. S'il
s'agit de sonder ce que veut le public, ce que souhaitent
les élus de tous niveaux ou les associations
de consommateurs, ces Etats Généraux sont
inutiles. Croyez-vous qu'une seule personne puisse être
opposée à plus d'éthique, plus
de rigueur, plus de transparence financière,
plus de formation, plus de facilité à
régler les conflits ? Franchement, chaque professionnel,
en son âme et conscience, connaît les attentes
de l'opinion. Quant aux attentes des agents immobiliers
et des administrateurs de biens, elles sont claires
: ils aspirent de toutes leurs forces à la respectabilité,
et voudraient même que les mauvais professionnels
soient disqualifiés et exclus du jeu. Et ils
ne croient pas que l'Etat puisse faire ce travail, qui
sinon serait déjà fait ! On en revient
à l'ordre : l'idée passe très bien
sur le terrain, loin des Etats Majors de syndicat.
Les pouvoirs publics ont vraiment le sentiment que ces
Etats Généraux sont dilatoires, et en
tout cas ils viennent bien tard puisque le texte est
stabilisé dans sa phase gouvernementale. Pour
moi, je leur prête néanmoins une vertu
didactique : s'ils doivent finir de convaincre de la
nécessité d'un Conseil Supérieur
piloté par la profession, alors ils auront fait
uvre utile.
Enfin,
je constate que la belle unité des organisations
professionnelles est déjà fissurée,
et je le regrette : le SNPI a quitté le navire
des Etats Généraux, qui leur paraissaient
faire une place aux grandes enseignes de la profession,
réunies dans l'association Plurience. Voilà
qui accrédite la thèse d'un ordre, qui
rassemblera la profession sans arrière pensée
et remédiera à la dispersion des forces
en présence.
Propos
recueillis auprès d'Henry Buzy-Cazaux
Président de l'Institut du Management des Services
Immobiliers (groupe IGS) et président d'honneur
de l'ESPI (Ecole supérieure des professions immobilières)
VOS
REACTIONS :
1.
(Contribution reçue le 22 février 2011
à 15h35)
Syndics
: Mais pourquoi veulent-ils à tout prix un ORDRE
?
Ça
y est. Les professions immobilières remontent
aux créneaux :
-
"Oui, les syndics posent problèmes et -
au-delà - les professions immobilières.
- "Oui, on peut déplorer de nombreux manquements
aux lois et à la déontologie chez les
professionnels.
- "MAIS nous ne voulons pas que l'Etat vienne nous
dire quoi faire ni ne prétende traiter les problèmes
que posent les professionnels.
- "L'Etat est incapable d'assurer la "police"
et ce n'est pas à lui (mais aux professionnels)
à définir le code de déontologie
et à le faire respecter.
- "Pour cela, une seule solution : l'ORDRE ".
Voici donc le discours qu'on entend depuis des années
maintenant et qui - aujourd'hui - revient en force :
"L'Etat est faible ; l'Etat est incapable de régler
les problèmes ; laissez nous faire la loi et
la police chez nous".
Il
s'agit de ce qu'on pourrait appeler un "populisme
professionnel" qui joue sur une faillite de l'Etat
d'autant plus réelle qu'elle a été
en partie organisée par ces professionnels (exemple
: ce sont eux qui ont tout fait pour que la carte annuelle
de gestion deviennent une carte décennale - oui,
valable dix ans ! - empêchant par là tout
contrôle des professionnels par les Préfectures).
C'est vrai, l'Etat est faible (nous nous en apercevons
tous les jours, par exemple, avec la DGCCRF qui ne peut
régler aucun des abus liés aux contrats
de syndic).
Mais
ce qu'oublient les syndics, c'est qu'entre l'Etat et
les professionnels, il y a les usagers ("ah ! oui,
c'est vrai, les clients....") et leurs associations.
Or
qui dit Etat + usagers + professionnels dit : "instance
paritaire de définition des règles et
de règlements des conflits" et non "Ordre".(Un
Ordre dont chacun sait qu'il ne traitera QUE les gros
cas et laissera passer dans ses filets à maille
très large la quasi-majorité des manquements
quotidiens aux règles déontologiques,
lois et règlements).
C'est
une instance paritaire que nous voulons et que redoutent
les syndics : d'abord la mise en place concertée
d'un Code de déontologie, puis des Commissions
régionales paritaires pouvant examiner et traiter
les mille et un manquements à ce code et - au-delà
- à la loi et aux règlements. C'est cette
instance que nous voulons et non pas une "police
des syndics par les syndics" en laquelle PERSONNE
n'aurait confiance et qui depuis dix ans a montré
(avec, par exemple, les commissions de déontologie
professionnelles, type CNAB ou FNAIM), sa totale impuissance.
C'est
d'ailleurs cette instance paritaire que prévoit
le projet de loi que les syndics font tout pour retarder,
espérant que "retarder" ce sera "enterrer".
Fernand
Champavier
Le
Président de l'Arc.
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