Ainsi commence la synthèse du rapport 2008 sur l'état du mal-logement en France, présenté début février par la Fondation Abbé Pierre (1). "La mobilité et le choix de son logement deviennent un privilège, une source d'inégalité. Il y a une ligne de fracture entre ceux qui peuvent choisir leur logement (sa taille, sa localisation) et ceux qui ne le peuvent pas", met notamment en évidence le rapport.
Le 1er janvier 2008, le droit au logement opposable a été institué dans le contexte d'une crise du logement sans précédent : alors que 600.000 ménages bénéficiaires potentiels sont d'ores et déjà identifiés au travers des cinq catégories prioritaires, le parc mobilisable n'est sans doute que de 60.000 logements par an !
Pire : la grande majorité des ménages qui veulent changer de logement ou simplement accéder à un premier habitat autonome doivent affronter aujourd'hui un marché de plus en plus sélectif, se résoudre à y consacrer des budgets parfois exorbitants et bien souvent réviser à la baisse leurs aspirations, souligne le rapport. "Les taux d'effort grimpent à des niveaux alarmants", indique le rapport : une personne seule, gagnant 1 smic, louant un studio verra son taux d'effort culminer à 49,7% dans le parc privé où il paiera un loyer de 421 euros et baisser à 27,6% dans le social (loyer: 181 euros), charges comprises et déduction faite des aides au logement. Un couple à 1,5 smic avec deux enfants, logé dans un 3 pièces, consacrera 54,3% de son revenu au logement dans le privé et 28,6% dans le public !
En comptabilisant tous ceux qui trouvent un logement et les candidats au parc HLM qui n'y accèdent pas, ce sont au minimum 4 millions de ménages qui cherchent chaque année un logement, indique la Fondation Abbé Pierre. Parmi ces ménages, 800.000 ont accédé à la propriété en 2007, tandis que les 3,2 millions restants ont fait appel au parc locatif; parmi ceux-ci, plus d'1,2 million de demandeurs de logements sociaux, dont seuls 430.000 ont eu accès au parc social en 2006 (contre 500.000 en 1999). En cause dans cette diminution : la diminution constante des logements remis en location chaque année, en raison de la faiblesse de la construction annuelle, du poids des démolitions, conjugués à la baisse de la mobilité résidentielle !
Le logement social constitue donc aujourd'hui une "porte de plus en plus difficile à ouvrir" même pour les ménages modestes qui viennent grossir les rangs des candidats au logement locatif privé, amené à jouer une fonction sociale de plus en plus indispensable, alors même que l'augmentation des loyers l'en éloigne chaque année davantage !
Cette rigidité croissante des conditions de mobilité résidentielle et les surcoûts qu'il faut supporter pour se loger sont cause de grandes difficultés, d'autant que, rappelle le rapport, la recherche d'un logement correspond souvent davantage à une contrainte qu'à un choix : perte subite de revenus, séparation, la possibilité d'obtenir un emploi ou une formation éloignés mais aussi agrandissement de la famille ou recherche de l'autonomie sont autant de motifs qui peuvent contraindre des ménages à se retrouver dans des situations de mal-logement caractérisées. Certains devront faire face à des phénomènes de sur-occupation critique, mais aussi à des impayés de loyers, tandis que l'impératif de trouver malgré tout un toit en amènera d'autres à accepter des conditions de logement indignes...
Les associations et collectivités locales constatent une tendance à la recrudescence des formes dégradées d'habitat et à un retour des taudis, notamment dans le parc privé. "Occupation, sans bail ni quittance, de garages ou de parties de pavillons, de locaux commerciaux dépourvus des éléments de confort de base (ni sanitaire, ni chauffage), de soussols, ou encore d'appartements situés dans des co-propriétés dégradées loués à la chambre par des marchands de sommeil… toutes ces formes de mal-logement touchent les ménages les plus fragiles" indique la Fondation, estimant à un million le nombre de personnes qui vivent dans 600.000 logements indignes.
Le rapport souligne aussi que la crise de l'accès au logement et le manque d'offre à loyers accessibles conduit également à la concentration des ménages défavorisés dans des quartiers d'habitat social ou des copropriétés dégradées, notamment dans les Zones Urbaines Sensibles (ZUS). "Le mouvement de fragilisation sociale des ménages semble s'être cristallisé dans ces quartiers qui apparaissent aujourd'hui comme de véritables territoires de relégation", autant de "nasses" dont jeunes couples ou ménages en difficulté passagère ont du mal à sortir... Alors qu'ils devraient être un tremplin, la plupart des quartiers populaires s'appauvrissent et deviennent des pièges pour les plus défavorisés...
La fondation Abbé Pierre dénonce aussi les faux semblants de l'effort public en faveur du logement : le "Robien recentré" ou le "Borloo populaire" "apparaissent toujours trop chers à la plupart des ménages, y compris parmi ceux qui appartiennent aux classes moyennes", indique le rapport. "Quant à l'offre sociale, elle se renouvelle mais
essentiellement à travers des produits à loyers intermédiaires (le PLS, dont les niveaux de loyers sont hors de portée des ménages modestes), tandis que la production de "véritables logements sociaux" (financés en PLUS et PLAI) ne représente que 9 % des constructions en
2007", rappelle la fondation...
La Fondation Abbé Pierre s'inquiète au demeurant des "attaques" dont fait actuellement l'objet le logement social : "ventes de logements sociaux, rapport Attali, remise en cause du livret A et du bail à durée indéterminée…Il y a toute une logique de fléchage sur le logement social. On prépare les élus et l'opinion publique à avoir un changement radical" sur ce sujet, dénonçait Patrick Doutreligne, le délégué de la Fondation.
(1) Rapport 2008 sur l'état du mal-logement en France
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