Immédiatement appelé "amendement Numéricable", du nom de l'opérateur dominant de la télévision par câble en France, né de la fusion de la quasi totalité des réseaux créés dans les années 90, tels que France Télécom câble ou Noos, représentant 9,5 millions de logements desservis dans 1.200 communes et 4,5 millions de clients, un amendement à la loi de modernisation de l'économie (LME) suscite la colère des fournisseurs d'accès Internet qui se sont lancés dans la fibre optique pour la distribution des services "triple play" : télévision, internet très haut débit et téléphonie en quasi illimité !
Il permet aux "opérateurs de réseaux de communications électroniques" ayant, dans le cadre d'une convention conclue avec un propriétaire d'immeuble collectif locatif ou un syndicat de copropriétaires avant la promulgation de la loi LME, "installé un réseau de communications électroniques à haut débit à l'intérieur d'un immeuble de logements et desservant un ou plusieurs utilisateurs finals" - donc essentiellement à Numéricable - de transformer "de droit" les lignes de ce réseau en lignes en fibre optique, à leurs frais, "sous réserve de notifier préalablement cette transformation au propriétaire de l'immeuble ou au syndicat de copropriétaires".
Autrement dit, Numéricable, qui annonce déjà "près de 2 millions de prises déjà distribuées en fibre optique", va pouvoir rattraper et dépasser rapidement les fournisseurs d'accès comme Free ou Orange et autres Neuf Cegetel, venus à la télévision par Internet (au lieu de Numéricable qui est venu à Internet par la télévision), qui se battent pour obtenir le droit de "fibrer" les immeubles, mais qui doivent, dans les copropriétés, en passer par le syndic et l'assemblée générale.
Or ces derniers sont pour le moment sur la défensive, en attendant que les règles de mutualisation des réseaux entre opérateurs soient stabilisées, de manière à préserver la possibilité, pour chacun des résidants d'un immeuble, de contracter un abonnement avec l'opérateur de son choix, et donc pas forcément, commé c'était le cas pour le câble classique, avec celui qui avait équipé le secteur de situation de l'immeuble...
Numéricable, dans les quelque 200.000 immeubles où il est présent avec le câble, pourra ainsi remplacer son installation par un réseau de fibre optique sans devoir en passer par l'autorisation du propriétaire unique ou des copropriétaires, avantage décisif dans la course au "fibrage" ! Certes, il devra respecter la règle édictée par le projet de loi, selon laquelle "toute personne ayant établi dans un immeuble bâti ou exploitant une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique permettant de desservir un utilisateur final fait droit aux demandes "raisonnables" d'accès à ladite ligne émanant d'opérateurs, en vue de fournir des services de communications électroniques à cet utilisateur final", cet accès devant être "fourni dans des conditions transparentes et non discriminatoires en un point situé hors des limites de propriété privée et permettant le raccordement effectif d'opérateurs tiers, à des conditions économiques, techniques et d'accessibilité "raisonnables"".
Le mot "raisonnable", décidément à la mode, devra être précisé par voie réglementaire, l'AECEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) étant chargée de traiter les différends entre opérateurs. Il n'en reste pas moins que Numéricable se voit ainsi faire par les députés, avec l'assentiment (ou à l'instigation ?) du gouvernement un cadeau aussi inestimable qu'imprévu, et qui laisse les autres opérateurs sans voix, les mettant dans près de 40% du parc immobilier collectif dans l'obligation pour vendre des abonnements d'en passer par ses conditions !
Autres mécontents, les consommateurs : "le gouvernement arme Numéricable pour tuer la concurrence", dénonce en termes provocateurs l'UFC-Que Choisir dans un communiqué commun avec l'ARC (Association des Responsables de Copropriété).
Les députés se défendent quant à eux de fausser la concurrence : "l'objectif de cet amendement est de dire que les opérateurs déjà installés avec un réseau haut débit peuvent le transformer en réseau de fibre optique", explique Corinne Erhel, députée des Côtes-d'Armor qui a présenté l'amendement 576 pour le groupe PS à l'Assemblée. Et le secrétaire d'Etat chargé de la prospective et de l'économie numérique, Eric Besson, d'ajouter qu' "avec l'amendement 576 sous-amendé, la dérogation ne concerne que la règle de convocation de l'assemblée générale. La mutualisation continue bien sûr à s'appliquer pour tout le monde."
Quant à Numéricable, aux mains de fonds d'investissement internationaux, cet amendement, voté au demeurant à l'unanimité, n'est qu'un moyen de conserver une capacité de rénovation de ses installations "sans travaux ni nuisances, sur la base des accords d'installation initiaux"...
Reste à savoir ce que feront les sénateurs devant l'émotion soulevée par cette affaire : l'UFC et l'ARC mobilisent et appellent les sénateurs à faire valoir leur droit d'amendement pour corriger ce qui est selon elles une "bourde monumentale". L'amendement n'est pas sans poser quelques problèmes juridiques, notamment en copropriété : il a pour effet de conférer à l'opérateur en place dans un immeuble pour le réseau câblé le droit opposable au propriétaire, et "prioritaire" à l'égard des autres opérateurs, d'étendre l'objet de la convention initiale à l'installation de la fibre optique...
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