Cela fait maintenant plusieurs années que l'UNPI (Union nationale de la propriété immobilière, fédération de chambres départementales ou régionales de propriétaires, revendiquant plus de 200.000 adhérents, principalement propriétaires bailleurs) défend l'idée que le logement social est un gouffre de fonds publics et devrait être restreint aux locataires les plus pauvres, l'Etat devant réorienter l'allocation des fonds publics à aider le secteur privé à augmenter son offre de logements à loyers accessibles. Cette fois, à l'appui de sa démonstration, l'UNPI a commandé un rapport à l'IREF (Institut de recherches économiques et fiscales, présenté comme un "think tank" européen fondé en 2002 dans le but de développer la recherche indépendante sur des sujets économiques et fiscaux) sur le coût du logement social public et privé. Conclusion prévisible de l'étude, sous le titre "la vérité sur le logement social" : le parc public remplit de moins en moins son rôle initial à savoir loger les plus démunis à des loyers accessibles.
L'IREF chiffre à 35,5 milliards d'euros les fonds consacrés chaque année aux aides officielles au logement, soit les 2/3 du montant de l'impôt sur le revenu, comparaison martelée parce que frappante. Bien entendu, il y a dans ce chiffre plusieurs allocations de fonds publics très différentes : les aides aux locataires par les régimes sociaux type allocation logement ou APL, les aides à l'accession par le prêt à taux zéro (PTZ et maintenant PTZ+), les aides à l'investissement locatif via les défiscalisations type "Scellier", les aides aux bailleurs sociaux par les collectivités territoriales, l'exonération d'imposition sur les bénéfices et de taxe foncière dont jouissent les bailleurs sociaux, ou les financements à taux réduit pour le logement social issus des dépôts sur le Livret A...
L'IREF estime à 17,2 milliards les aides à la personne, dont 15,7 milliards de versements financiers (l'AL et l'APL) et 1,5 milliards d'avantages fiscaux, et à 18,3 milliards les aides à la pierre, dont 2,1 de versements financiers, 13 milliards d'avantages fiscaux, et 3,2 de réductions de taux.
Concernant les aides à la personne (15,7 milliards), les locataires du parc privé (6 millions) se taillent la part du lion avec 7,1 milliards contre 6 milliards pour ceux du parc social (5 millions), les propriétaires privés accédants recevant quant à eux 1 milliard d'allocation logement et APL, ce qui est moins connu...
Par contre, sur les aides directes à la pierre (7,1 milliards), 3,8 milliards vont aux bailleurs publics sociaux, 700 millions aux bailleurs privés, et 2,4 milliards aux propriétaires occupants. Et malgré cela, dit l'UNPI, les crises du logement persistent...
Quant aux avantages fiscaux (14,5 milliards), le locatif privé n'en reçoit que 3 milliards, le public 9,1 et les propriétaires occupants 2,4.
Ce que reproche l'UNPI, c'est la concurrence déloyale que fait selon elle le secteur public aux propriétaires privés, alors que les conditions économiques ne sont pas équitables. "Depuis 1945, les pouvoirs publics ont fait main basse sur le logement social au prétexte qu'ils seraient seuls en mesure de résoudre la crise du logement", indique la synthèse de l'étude présentée. Or, alors que le logement social avait, selon l'UNPI, vocation à être destiné aux 20 % de Français les plus pauvres, compte tenu
des plafonds des revenus fixés et des allocations et aides sociales, 60% de
la population française peut aujourd'hui prétendre à un logement social.
"Cette appropriation du logement social s'est faite au détriment du marché libre du logement, faussé puis étouffé d'abord par la concurrence déloyale de la part du secteur public et ensuite par un encadrement strict et une législation omniprésente et instable", poursuit le document. "Pire, le secteur privé du logement, à qui l'on reproche de ne pas répondre aux besoins des gens les moins aisés est doublement pénalisé : par une fiscalité rude et décourageante et par une discrimination au niveau des dizaines d'aides consacrées au logement, dont il ne reçoit qu'une infime partie" (ce qui n'est que partiellement exact)... Alors même, dit l'UNPI, que le secteur privé loge tout de même 42% des locataires les plus pauvres.
L'UNPI dénonce les "déperditions liées à l'organisation" et considère que si on recentrait les aides sur les personnes qui en ont besoin, en supprimant les aides à la pierre, chaque locataire bénéficiant, à ce jour, d'une aide au logement, pourrait percevoir en moyenne : 40 milliards répartis entre 6 millions d'ayant droits actuellement, soit 6.666 euros par an, qui correspondent au loyer moyen payé par les personnes aidées à ce jour.
D'inspiration très libérale, le rapport de l'IREF cherche à montrer que d'autres pays privilégient la privatisation et la concurrence au détriment de l'intervention publique et des aides, avec de meilleurs résultats. Il oublie au passage que d'autres n'ont pas fait ce choix et s'en portent très bien aussi comme les allemands. "Le moment n'est-il pas venu de changer de cap en France aussi ?" demande l'IREF, qui propose de mettre en oeuvre deux principes fondamentaux : instaurer transparence, souplesse et
contrôle dans le logement public, et débloquer le marché du logement, en
allégeant la fiscalité et la réglementation qui pénalisent le secteur privé.
Là, l'UNPI rejoint ses combats récurrents contre une règlementation selon elle trop protectrice des locataires, et pénalisant le rendement de l'investissement, et dénonce pèle mêle la loi de 1989, les diagnostics, les normes de décence, la règlementation thermique, etc.
Et de formuler 8 propositions, parmi lesquelles :
- subordonner le droit au maintien dans les lieux des locataires HLM au strict respect de conditions de ressources ;
- accélérer la privatisation des HLM, par la vente aux locataires ;
- améliorer l'information et la fluidité du marché par le biais d'agences immobilières à vocation sociale ;
- normaliser la concurrence parc public, parc privé ;
- concentrer les moyens publics au logement exclusivement dans l'aide aux personnes.
L'UNPI demande aussi la suppression de l'article 55 de la loi SRU imposant
aux communes de plus de 3.500 habitants un quota de logements publics lorsqu'elles sont touchées par la vacance.
Ces propositions ont-elles des chances d'être entendues ? Pas sûr en période de crise économique et de pouvoir d'achat, en même temps que de flambée immobilière dans les zones tendues, qui mettent à mal une part croissante, non seulement des plus pauvres mais aussi des classes moyennes. Si la situation justement dénoncée de maquis et de milles-feuilles de statuts, de financements, de régimes fiscaux et de règlementations mériterait effectivement une réforme en profondeur, les propositions sont trop marquées idéologiquement pour ne pas susciter défiance et opposition, condamnant les politiques - même de droite - à du rafistolage d'urgence plutôt qu'à une remise à plat. Dommage car une réflexion sur les vocations respectives du privé et du public, à laquelle appelle cette étude très fouillée, permettrait sans nul doute une rationalisation salutaire de l'"usine à gaz" qu'est aujourd'hui la politique du logement...
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