Le sénateur Dominique Braye, président de l'ANAH, a remis le 19 janvier à Benoist Apparu, secrétaire d'Etat au logement, le rapport de la mission qui lui avait été confiée en juin 2011, de constituer et de piloter un groupe de travail sur l'amélioration des politiques préventives, des actions incitatives ou coercitives vis-à-vis des copropriétés en difficulté.
De nombreuses voix s'élèvent depuis quelque temps pour alerter les pouvoirs publics et les acteurs concernés par la copropriété (560.000 immeubles ou ensembles immobilier sous ce statut, logeant plus de 6 millions de ménages) sur le fait que le phénomène des "copropriétés en difficulté" prend de l'ampleur. "Les besoins croissants en travaux conjugués à une certaine paupérisation font apparaître de nouveaux enjeux. Or, le système de gestion actuel des copropriétés, s'il permet de traiter correctement les affaires courantes quand tout va bien, n'est pas des plus efficaces pour piloter la gestion patrimoniale à moyen ou long terme de l'ensemble collectif, ou pour agir quand de sérieuses difficultés surviennent", indique le communiqué de l'ANAH. Or, selon elle pratiquement, toutes les copropriétés seront un jour où l'autre confrontées à des enjeux de réinvestissement lourd, et dès maintenant, 15% du parc de copropriétés pourrait être concerné par un processus de déqualification, dont le stade plus ou moins avancé laisse apparaitre trois types de situations appelant des réponses très différentes :
- des copropriétés présentant des signes de fragilité sans gravité qui relèvent d'une approche préventive,
- des copropriétés en difficulté sur les plans technique, social et de gestion qui présentent un potentiel de redressement et peuvent faire l'objet d'une action incitative,
- des copropriétés en situation très critique qui requièrent des dispositifs exceptionnels dont la caractéristique est une transformation importante de la structure de propriété ou l'acquisition publique en vue d'une démolition ou la transformation en logement social, le portage de lots...
La quantification des copropriétés potentiellement fragiles ou en difficulté reste assez largement déficiente, rendant nécessaire une amélioration des sources statistiques ; l'ANAH estime à 300 000 le nombre de logements de résidence principale situés dans des copropriétés rencontrant des difficultés financières ou de fonctionnement ; ce chiffre atteint 800.000 à 1 million, soit environ 15% du parc des 6,2 millions de résidences principales en copropriété, si l'on se réfère à des critères portant sur la dégradation du bâti ou l'occupation sociale. Par contre, le nombre de logements dans des copropriétés identifiées et suivies comme en difficulté est estimé à 50 à 60.000, ce qui fait dire que "le problème semble donc encore largement devant nous" ! "Le coût de l'intervention en copropriété en difficulté, les conséquences humaines et urbaines de ces situations, l'amplification très probable du phénomène doivent conduire à retenir une approche résolument transversale et anticipatrice des difficultés", conclut le rapport.
L'ANAH a déjà consacré 471 millions dans le traitement des copropriétés dégradées de 2006 à 2010, et 91 millions dans la seule année 2011. "Le problème, indique le sénateur Braye, est que les interventions des pouvoirs publics et des collectivités est trop tardif". Or plusieurs phénomènes se conjuguent qui sont de nature à faire basculer bon nombre de copropriétés dans les difficultés à plus ou moins brève échéance. En premier lieu les besoins importants en travaux dans les années à venir, et un risque accru de dégradation et de dépréciation d'ensembles immobiliers qui ne parviendraient pas à se mettre à niveau : les copropriétés construites entre les années 50 à 80 (un peu moins de la moitié du parc) nécessitent aujourd'hui des réinvestissements lourds et des travaux
d'amélioration énergétique (40 à 70 milliards de travaux, selon une étude de l'ANAH pour les 10 ans à venir), cependant que les copropriétés plus anciennes rencontrent elles aussi des problèmes d'obsolescence technique.
S'ajoutent des enjeux sociaux, notamment dans ces copropriétés fragiles les plus concernées par les enjeux techniques : "les anciens copropriétaires sont remplacés par de nouveaux dont les moyens sont moindres, notamment des accédants dont le niveau d'endettement est à la limite du supportable, qui peuvent peiner à s'acquitter des charges courantes, et seront d'autant plus dans l'incapacité de faire face à des dépenses de travaux. Les divergences d'intérêts entre copropriétaires, dotés de plus ou moins de moyens, projetant à plus ou moins long terme leur avenir dans la copropriété, risquent alors de s'exacerber lorsque des décisions importantes seront à prendre", indique le rapport.
Il faut donc déplacer les actions publiques et les moyens d'intervention davantage vers la détection et la prévention, puis dans un traitement précoce et efficace des premières difficultés, avant que la situation ne dégénère. A cet égard, l'administration provisoire des copropriétés justifiant des mesures de redressement doit être évaluée car semblant présenter de nombreux défauts actuellement.
Le "rapport Braye" propose pas moins qu'un "plan national copropriétés",
afin que soit engagée une action d'ensemble visant autant que possible à prévenir le développement des copropriétés en difficulté et de traiter de manière cohérente et complémentaire les différents stades de leur
déqualification. Il préconise aussi une implication plus importante des collectivités territoriales, qui ont tout à gagner à éviter les phénomènes de dégradation urbaine qui accompagne celle des copropriétés qui tombent dans la difficulté sur leur territoire.
Pour le président de l'ANAH, ce plan doit avoir un volet législatif - pas une nouvelle loi sur la copropriété mais un toilettage sérieux de la loi du 10 juillet 1965 -, comportant trois mesures emblématiques :
- une meilleure information des copropriétaires au moment de leur acquisition, grâce à l'affichage des charges courantes et le coût prévisionnel des travaux dans les annonces immobilières,
- l'obligation de soumettre les immeubles à un diagnostic technique global tous les 10 ans, d'établir et mettre à jour un plan pluriannuel de travaux permettant de prévoir un échelonnement cohérent des travaux à entreprendre, et de faire alimenter par les copropriétaires un fonds de travaux, en vue de faciliter le financement et la prise de décision des travaux,
- l'obligation en vue de rétablir la confiance entre copropriétaires et syndics d'ouvrir un compte séparé dans chaque copropriété, ou à défaut "l'instauration de sous-comptes dans le compte unique", ce compte bancaire étant selon le groupe de travail "un puissant moyen de prévention
des impayés qui offre une plus grande transparence".
Cette dernière préconisation fait partie au demeurant d'une série de mesures d'encadrement de la profession de syndic, de déontologie et de discipline, et d'obligations de formation faisant l'objet d'un avant-projet de loi lancé par le ministère de la justice en 2010 et temporairement remisé après une confrontation houleuse avec les professionnels.
Les copropriétés dites "en coma dépassé" doivent faire l'objet de dispositifs spécifiques : Dominique Braye souhaite notamment "à tout prix empêcher les copropriétaires indélicats (marchands de sommeil) d'acquérir de nouveaux lots dans des copropriétés en situation très critique".
L'ANAH est appelée à partager son expérience et son savoir-faire en matière de redressement des copropriétés dans le cadre de "dispositifs opérationnels partenariaux de prévention et de traitement des copropriétés en difficulté". Elle est également invitée à créer en son sein un "pôle de connaissance et d'expertise", ainsi qu'une instance nationale partenariale de suivi, impliquant activement les collectivités. Pas moins de 18 à 20 "observatoires" existent, mais ne sont pas cohérents les uns avec les autres ; il faut impérativement les compléter et en faire un outil opérationnel. Il faut peut-être aussi immatriculer les copropriétés afin de mieux les suivre...
Rappelons que ces mesures phares recommandées par le rapport sont réclamées depuis plusieurs années par les associations de consommateurs tels l'ARC (Association des responsables de copropriété), pour une fois d'accord avec les fédérations de syndics professionnels. Ces dernières n'ont pas tardé à réagir positivement : l'UNIS (Union des syndicats de l'immobilier) dans un communiqué du même jour se "réjouit qu'une des propositions qu'elle soutient depuis longtemps concernant les fonds de travaux obligatoires en copropriété, figure dans le rapport du sénateur Braye"...
A noter aussi que pour la première fois, les ministères du logement et de la justice - ce dernier était représenté par le directeur de cabinet du ministre -, reçoivent positivement cette recommandation, le secrétaire d'Etat insistant même sur le fait que le provisionnement obligatoire des travaux futurs ne doit pas être vu comme une action d'épargne, à laquelle il est difficile d'obliger les copropriétaires, mais comme le fait de leur imputer au fur et à mesure le coût de l'usure de l'immeuble, en quelque sorte une mesure d'équité évitant au nouveau copropriétaire, qui arrive dans un immeuble vieilli, d'avoir à payer à la place de ceux qui ont habité l'immeuble à sa place pendant tout le temps où ce vieillissement est intervenu.
Cette approche nouvelle implique cependant que les sommes versées par les copropriétaires au fonds de travaux ne leur soient pas remboursées lorsqu'ils vendent, contrairement à ce que prévoit la règlementation actuellement...
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