Le rapport 2012 sur l'état du mal-logement en France de la Fondation Abbé Pierre, présenté le 1er février, prend un relief particulier en raison de la proximité de l'élection présidentielle, et du fait que les principaux candidats, voyant les difficultés que rencontrent les Français, en arrivent à faire du logement un thème central de leur campagne, y compris le candidat pas encore déclaré - Nicolas Sarkozy, qui vient aussi de s'en emparer en fanfare...
Une fois de plus la Fondation alerte l'opinion sur l'urgence d'inverser radicalement la tendance qui est à l'aggravation du mal-logement : les données globales sur la crise du logement qu'elle actualise chaque année soulignent l'importance d'un phénomène qui concerne aujourd'hui plusieurs millions de personnes, même s'il n'a pas la même intensité pour toutes celles qui y sont confrontées : 3,6 millions de personnes sont non ou très mal logées, mais si l'on y adjoint tous ceux qui se trouvent en situation de fragilité de logement à court ou moyen terme, ce sont au total 10 millions de personnes selon elle qui sont touchées par la crise du logement.
D'intensité variable, le mal-logement concerne de façon spécifique les différentes catégories sociales. Les plus vulnérables ont vu ces dernières années leurs difficultés s'approfondir alors que le périmètre du mal-logement s'élargissait aux salariés modestes et aux couches intermédiaires. Ainsi, depuis plus de dix ans, la crise du logement fragilise une société déjà déstabilisée. "Avec les témoignages recueillis dans le cadre de la préparation de ce rapport - ceux des personnes privées de domicile personnel, comme ceux des ménages appartenant aux couches moyennes confrontés à des arbitrages difficiles pour gérer leur budget face au coût grandissant du logement - c'est en définitive toute une vision de la société française d'aujourd'hui qui surgit. Une vision très inquiétante qui n'est plus celle d'il y a 30 ans (la génération précédente), ni celle d'il y a 10 ou 12 ans quand la crise du logement n'avait pas la même intensité qu'aujourd'hui et qu'elle ne se doublait pas d'une crise économique particulièrement destructrice", peut-on lire dans la synthèse du rapport.
Pour 3 Français sur 4, il est désormais difficile de se loger. "La crise apparue en 2008 n'a fait bien souvent qu'accélérer et exacerber ce que vivaient déjà nombre de ménages, dont une part non négligeable était déjà entrée dans une logique de survie" concède le rapport, qui souligne que "la nouveauté réside plutôt dans un élargissement des publics concernés et dans un nivellement par le bas de la situation de catégories de personnes aux destinées jusqu'alors distinctes". Parfois, l'accès au logement se fait au prix d'une acceptation de situations intolérables qui se traduisent par un surpeuplement ou des conditions de confort dégradées.
Plus généralement, dans le contexte d'incertitude et de précarité qui augmente, les préoccupations se déplacent du domaine de l'emploi vers d'autres secteurs de la vie quotidienne, et notamment vers celui du logement. "Cela génère une nouvelle forme d'insécurité sociale liée au logement qui vient renforcer l'insécurité engendrée par les évolutions de l'emploi au cours des dernières décennies.
Du coup, "comme la bataille de l'emploi a été perdue, celle du logement est en voie de l'être, à moins que les responsables politiques n'en fassent une priorité nationale, pour redonner au logement un rôle d'ancrage social et de protection". D'où l'idée de la Fondation Abbé Pierre de proposer aux candidats à l'élection présidentielle, sur le mode qui avait permis en 2007 à Nicolas Hulot d'obtenir l'adhésion de presque tous les candidats de l'époque à ses thèses, un "contrat social pour une nouvelle politique du logement". Quatre candidats l'ont signé sans hésiter : François Hollande, Jean-Luc Mélanchon, François Bayrou et Eva Joly.
Le contrat proposé comporte 10 grands engagements à souscrire par les candidats, avec pour objectifs la construction de 500.000 logements par an, dont 150.000 logements locatifs vraiment sociaux, le conventionnement de 100.000 logements à loyers accessibles par an dans le parc privé, et l'éradication des 600.000 logements indignes.
Côté moyens, les candidats sont appelés à déposer, dès 2012, un projet de loi foncière visant à maîtriser la valeur des sols et à libérer les terrains à bâtir, généraliser la taxe sur les logements vacants dans les zones de marché tendu et la rendre progressive dans le temps, imposer le retour des investisseurs institutionnels en réintroduisant des incitations ainsi qu'une obligation d'investissement dans l'immobilier locatif résidentiel, encadrer les loyers du parc privé, notamment à la relocation, et définir les conditions de leur baisse dans les secteurs de déséquilibre excessif, et maîtriser les prix de l'immobilier à toutes les étapes de la production (réduction des coûts de construction, limitation des effets inflationnistes liés à la rémunération des intermédiaires...).
Ils s'engagent aussi à améliorer la couverture des aides personnelles au logement, maintenir leur indexation sur l'inflation et en élargir le bénéfice aux catégories de personnes fragiles qui en sont aujourd'hui exclues, ainsi qu'à déployer un véritable "bouclier énergétique" pour les ménages modestes.
Afin de limiter les expulsions, ils s'engagent à généraliser le signalement précoce et obligatoire des impayés de loyers et à refuser, sans délai, l'expulsion avec le concours de la force publique sans solution adaptée, tout en dédommageant les propriétaires. Pour l'hébergement des sans-abri, créer rapidement les places d'hébergement nécessaires pour répondre aux besoins identifiés sur les territoires et mener à bien la transformation des structures en habitat individuel. Egalement dans les communes insuffisamment pourvues de logements sociaux, réserver une offre locative sociale dans le parc privé pour les ménages défavorisés (le différentiel entre le prix du marché et celui du social devant être pris en charge par la collectivité).
Pour l'éradication des logements indignes il faut soutenir les propriétaires dans la réalisation de leurs travaux et sanctionner plus fortement les bailleurs de mauvaise foi.
Ils s'engagent à renforcer l'article 55 de la "loi SRU" en imposant aux communes une part de 25% de logements sociaux et en adoptant des sanctions réellement dissuasives pour celles qui ne respectent pas leurs obligations de rattrapage, et à systématiser l'instauration de secteurs de mixité urbaine et sociale (programmation d'une part de logements sociaux, intermédiaires et en accession sociale à la propriété, obligatoire partout où il est nécessaire de diversifier l'habitat).
Ils s'engagent aussi à réformer la fiscalité immobilière (taxe foncière, revenus fonciers, plus-values immobilières) en instaurant une contribution de solidarité urbaine permettant de corriger, là où c'est nécessaire, les inégalités entre quartiers d'une agglomération ou d'une aire urbaine, et à relancer la rénovation urbaine dans les quartiers d'habitat populaire sur la base de nouvelles exigences : reconstruction hors site et hors ZUS de la majorité des logements démolis et renforcement de la dimension sociale des projets.
Afin de remédier aux problèmes rencontrés dans les copropriétés, ils s'engagent à faire évoluer la législation pour prévenir leurs fragilités et leur dégradation (référence au rapport "Braye" publié récemment).
Enfin, ils s'engagent à mettre en place des autorités organisatrices et régulatrices de l'habitat et du logement et des dispositifs d'observation à l'échelle des agglomérations et d'un périmètre plus large pour l'Ile-de-
France.
Quant à la tenue de ces engagements, les candidats signataires sont prévenus : "nous assurerons un suivi, notamment en publiant annuellement dans notre rapport le bilan de l'adoption des réformes et de leur application sur le terrain" a indiqué Christophe Robert, délégué général de la Fondation, à l'issue de la prise de parole à laquelle ils ont été invités lors de la présentation du rapport. "C'est en toute connaissance de cause que les candidats décideront d'approuver le document", poursuit Christophe Robert, ajoutant : "ils connaissent notre pugnacité et notre capacité d'interpellation" ! Et la devise de la Fondation: "ne lâchons rien"...
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