La CNIL a effectué en 2010 et 2011 de nombreux contrôles dans le secteur de l'immobilier afin de vérifier la correcte application de la loi "informatique et libertés", qui protège en principe les locataires en leur garantissant qu'aucune donnée excessive n'est collectée sur eux et en limitant la diffusion des informations les concernant. Cette protection est jugée d'autant plus nécessaire que l'insuffisance de l'offre de logements par rapport à la demande crée chez les bailleurs ou leurs mandataires une tentation de "sur-sélectivité", conduisant à recueillir et gérer des informations relatives à la vie privée ou à caractère discriminatoire.
La CNIL a effectué plus d'une quarantaine de contrôles auprès d'agences immobilières, de sociétés de services immobiliers, d'offices publics de l'habitat et d'un CROUS. Ils ont révélé que plusieurs agences immobilières exigeaient des candidats à la location qu'ils fournissent certaines pièces préalablement à la conclusion d'un bail alors que la loi exclut expressément ces pièces du dossier locatif ou qu'elles sont totalement inutiles pour le bailleur : numéro de sécurité sociale (la collecte de ce numéro est interdite en dehors de la sphère sociale), attestation de bonne tenue de compte bancaire, chèques de réservation, jugement de divorce, extrait du casier judiciaire ou du dossier médical, informations relatives au compagnon d'un candidat célibataire si ce compagnon n'est pas lui-même candidat, coordonnées de l'ancien bailleur, emprunts bancaires contractés, raisons ayant conduit au déménagement du candidat locataire, relevés bancaires, ou encore copie de la carte grise du véhicule du candidat...
Neuf mises en demeure ont été délivrées à l'encontre d'agences immobilières ou de sociétés spécialisées dans la gestion locative qui collectaient des informations excessives ou illégales. Elles leur enjoignent d'effacer ou de supprimer les données indument recueillies et de cesser à l'avenir la collecte de telles données. Tous se sont mis en conformité dans le délai imparti.
Par ailleurs, il est apparu que certaines agences ou bailleurs renseignaient une zone de commentaires libres sur les candidats à la location ou les locataires déjà en place. Des commentaires jugés excessifs voire insultants ont été relevés à plusieurs reprises.
Des agences appartenant à un grand groupe spécialisé dans les services immobiliers recensaient les biens disponibles sur le marché et enregistraient dans leurs fichiers des commentaires excessifs sur les personnes détenant ou recherchant un bien immobilier tels que "gros con", "cas social", "enquête du SRPJ en cours, problèmes d'alcool et expulsion d'un logement", "son mari est décédé, son enfant un mois plus tard… encore un peu sous le choc" ou "il sentait l'alcool lors de la visite". "De tels commentaires étaient bien sûr de nature à restreindre l'accès au logement des personnes auxquels ils se rapportaient", note malicieusement la CNIL...
En octobre 2011, la CNIL a prononcé une sanction publique à l'encontre de ce groupe. Celle-ci fait actuellement l'objet d'un recours devant le Conseil d'Etat, le nom du groupe immobilier ne peut être communiqué.
Certaines agences conservaient les données relatives aux candidats non retenus ou aux locataires ayant quitté le logement sans limitation de durée. Huit d'entre elles ont été mis en demeure de mettre en place une politique de conservation des données et se sont ensuite conformés à loi.
Enfin, ces contrôles ont démontré que l'information que ces organismes délivraient aux locataires ou aux candidats à la location était insuffisante. Dans bon nombre de cas, les locataires n'étaient pas informés de la finalité du traitement, ni des droits dont ils disposent tels que le droit de s'opposer à la collecte de leurs données ou de les faire rectifier.
Sept organismes ont été mis en demeure de procéder à une information complète des candidats à un logement et se sont conformés à la loi sur ce point.
Par contre, les contrôles des organismes HLM ont donné des résultats plus rassurants : ils avaient notamment pour but de vérifier que ces organismes ne mettaient pas en œuvre une politique de discrimination au logement et qu'ils ne répartissaient pas les logements en fonction des origines des locataires. Aucun manquement de cette nature n'a été constaté.
En revanche, les vérifications menées auprès de plusieurs offices publics d'HLM, à la suite de plaintes, ont permis de constater que plusieurs d'entre eux échangeaient des informations relatives aux locataires avec les services de police municipale ou de la police nationale. Il est notamment apparu qu'un office public avait été destinataire d'informations concernant un locataire contenues dans un fichier de la police nationale (fichier STIC). Ces informations avaient ensuite été utilisées par l'office pour demander en justice la résiliation du bail. La formation contentieuse de la Commission a prononcé une sanction non publique à l'encontre de l'office concerné.
La CNIL a également épinglé publiquement l'office HLM Paris Habitat pour atteinte à la vie privée de ses locataires. Elle avait en effet reçu des plaintes d'associations de locataires s'étonnant de l'accès, par certains gardiens de l'OPH à des données relatives à leur vie privée comme le compte locatif de tous les locataires de l'OPH, y compris ceux qui ne logeaient pas dans l'immeuble dont ils avaient la charge. Or, seules les personnes travaillant au sein du service chargé de la gestion locative peuvent avoir accès à ces informations personnelles. Ce contrôle a également mis en lumière la collecte de données subjectives ou la collecte de données d'infractions ("alcoolique", "violence conjugale", "ancien SDF addiction boisson", "n'est pas de nationalité française" ou encore "personne très difficile à vivre de tempérament agressif et violent très procédurier") voire relative à leur santé ("séropositif", "cancer", "personne cardiaque", "sous chimiothérapie", "alzeimer aveugle", "maladie de parkinson", "dépression hôpital psychiatrique", ou "fils cancer Mme malade des poumons", etc.).
C'est la première fois que la CNIL décide de rendre publique une mise en demeure, en raison de l'importance des manquements constatés, du statut de l'office HLM contrôlé et du nombre de locataires concernés. Elle souhaite informer l'ensemble des locataires des droits dont ils disposent et de rappeler aux offices HLM leurs obligations concernant le respect de la vie privée des personnes dont ils assurent l'hébergement. La direction de l'office s'est immédiatement engagée à remédier à cette anomalie...
Enfin, depuis 2003, la CNIL a été saisie à plusieurs reprises de demandes d'autorisation pour la mise en place, à l'échelle nationale, de fichiers destinés à recenser les impayés locatifs. Cette "liste noire", gérée par un organisme privé, serait ensuite accessible à tout propriétaire afin de vérifier le "passé locatif" d'un candidat à une location. En 2007, la CNIL, a refusé la mise en place de ce fichier dans la mesure où ce type de traitement n'était ni pertinent, ni conforme à la loi. En effet, un tel fichier ferait obstacle au relogement d'un locataire ayant dû faire face à des impayés par le passé. Il aboutirait à la stigmatisation générale des "mauvais payeurs", inscrits dans ce fichier sans distinction des motifs d'impayés. Par conséquent, un tel fichier aurait été contraire à la loi du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement et à l'article L300-1 du Code de la construction et de l'habitation.
Les contrôles effectués au cours des 2010 et 2011 ont permis de confirmer qu'aucun fichier de ce type n'était mis en œuvre.
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