L'agence de notation Moody's vient de s'inviter dans le débat sur l'utilité du relèvement du plafond des Livrets A envisagé par le gouvernement en vue de faciliter le financement de 150.000 logements sociaux par an (au lieu de 100.000 environ actuellement). Rappelons que sur la promesse de doublement de ce plafond, le premier ministre n'a annoncé le 22 août qu'une augmentation de 25% à court terme (à 19.125 euros) et 25% encore en fin d'année. L'agence avertit sur le caractère négatif qu'aura une telle mesure sur la note des banques françaises, car contrairement aux assureurs qui ne devraient être touchés que "marginalement" par une moindre collecte sur les contrats d'assurance-vie, les banques vont être fragilisées en voyant s'amoindrir leur capacité à augmenter leur financement par les dépôts. Ce relèvement "va inciter les épargnants à convertir des dépôts bancaires classiques en épargne défiscalisée", estime l'agence.
En réalité, deux livrets sont concernés par l'intention de relèvement des plafonds : le livret A et le livret "développement durable" (LDD), représentant ensemble une colllecte de 302 milliards d'euros, dont 230 pour le seul livret A. Montants dont les banques ne profitent pas vraiment puisqu'elles redirigent la majeure partie des encours de livrets A vers la Caisses des dépôts (CDC).
Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, avait déjà invité en mai dernier le gouvernement à faire preuve de "beaucoup de prudence" dans les modalités du relèvement du plafond du livret A "pour ne pas déstabiliser le financement des entreprises, le financement des ménages, le financement de la dette publique" en provoquant un flux de capitaux vers ces livrets.
Selon Moody's aujourd'hui, trois établissements, BPCE, Crédit Mutuel et Crédit Agricole, pourraient voir leur note abaissée car ils disposent "des encours les plus importants d'épargne défiscalisée". L'autre grand distributeur de livret A, la Banque Postale, n'est pas évoquée car elle n'est pas notée par l'agence. L'effet négatif du doublement du plafond du livret A devrait par contre être moindre pour les Caisses d'Epargne et le Crédit Mutuel car leur taux de centralisation des livrets A et LDD à la CDC baissera progressivement dans les dix prochaines années pour atteindre 65% au 1er mai 2022. A l'avenir, elles garderont donc proportionnellement de plus en plus d'épargne de ces livrets dans leur bilan. BNP Paribas et Société Générale seront pour leur part "affectées dans une moindre mesure", selon Moody's, "parce qu'elles ont des stocks plus faibles sur ces supports".
Au delà des préventions quant aux effets de la mesure sur l'équilibre du secteur bancaire et du financement de l'économie, se font entendre aussi des doutes sur l'utilité même de ce relèvement de plafond par rapport à l'objectif recherché. Si l'Union sociale pour l'habitat (USH) s'en félicite - elle est en grande partie à l'origine de la promesse du candidat Hollande -, son point de vue n'est pas partagé par tous.
L'USH rappelle dans un communiqué que des ressources croissantes sont nécessaires "pour faire face à des besoins croissants qui naîtront : d'une part de l'augmentation du rythme de la construction dans les zones où la demande est la plus forte, et qui sont donc les plus chères ; d'autre part des sollicitations dont fera l'objet la Caisse des dépôts en matière de financement des collectivités locales ou des emplois d'intérêt général (transports, plan Campus, plan Hôpitaux, eau et assainissement…) ; enfin de la volonté du Gouvernement de parvenir à un accroissement du nombre de logements très sociaux, ce qui implique une bonification des prêts, notamment à partir des résultats du Fonds d'Epargne."
L'USH rappelle également "la nécessité de réfléchir à une baisse des taux d'intérêt des prêts aux organismes HLM, seule à même de permettre la production de logements sociaux à des loyers plus bas qu'à l'heure actuelle. Or celle-ci n'est possible qu'à partir d'une baisse du coût de la ressource pour la Caisse des dépôts, en revoyant la rémunération du système bancaire dans la collecte de l'épargne réglementée".
D'autres font en revanche remarquer que l'augmentation de la collecte n'a pas attendu le relèvement du plafond : la collecte nette (dépôts moins retraits) sur le Livret A a encore nettement progressé en juillet, pour atteindre 13,29 milliards d'euros depuis le début de l'année, confirmant que 2012 est en lice pour devenir un crû historique pour ce produit d'épargne, indique l'AFP.
Entre janvier et juillet, la collecte nette est ressortie à un niveau supérieur à celui enregistré sur la même période en 2011 (12,14 milliards). L'année dernière avait été la deuxième meilleure de l'histoire du Livret A avec 17,38 milliards d'euros de collecte nette.
Le record historique date de 2008, année du déclenchement de la crise financière, avec 18,7 milliards d'euros, 2009 arrivant en troisième position avec 16,55 milliards. Hormis ces trois années exceptionnelles, le Livret A n'a jamais dépassé 7,05 milliards de collecte nette annuelle en 194 années d'existence.
De son côté, Benoist Apparu, député de la Marne, ex-Ministre du Logement, fait remarquer dans un communiqué qu'aujourd'hui les ressources issues du Livret A sont largement supérieures aux besoins du monde HLM : fin 2011, les encours disponibles représentaient près de 160 milliards d'euros pour 120 milliards d'euros utilisés ; "augmenter le plafond du livret A de 25% devrait permettre une collecte de 10 milliards supplémentaires... qui ne seront pas utilisés", conclut-il, ajoutant que "le lien entre le plafond du Livret A et construction de logements sociaux est quasi inexistant. Ces sommes d'argent ne permettent pas de subventionner les organismes HLM mais bien de leur prêter de l'argent : toucher aux taux d'intérêt aurait une utilité, mais augmenter les ressources disponibles - déjà sous-utilisées - est un non-sens".
L'ancien ministre fait également remarquer que "sur les 60 millions de Livrets A ouverts dans notre pays, moins de 10% atteignent le plafond de 15.300 euros". "Autrement dit, cette mesure permettra à la minorité des épargnants les plus aisés d'épargner plus encore", souligne-t-il non sans malice...
Il rejoint l'USH sur l'idée de baisser les taux d'intérêt des prêts de la CDC, ou plus exactement de les "moduler en fonction du lieu de production des logements et ce afin de faire baisser le cout de production des logements". Et d'annoncer le dépôt d'amendements en ce sens à l'occasion du projet de loi de finances pour 2013.
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