L'ARC (Association de responsables de copropriété), très en pointe en faveur de l’instauration obligatoire dans les copropriétés, à l'instar de ce qui se pratique au Québec ou aux Pays Bas, de fonds de travaux destinés à financer sur la durée les gros travaux prévisibles, ne décolère pas ! De concert pour une fois avec les fédérations de syndics, l'association de consommateurs milite depuis des années en ce sens et pouvait croire qu'une réforme de la loi sur la copropriété, annoncée par la ministre du logement, Cécile Duflot, pouvait inclure cette mesure. Intervenant en clôture des "Ateliers" de l'ANAH (Agence nationale de l'habitat), la ministre a salué la qualité du rapport réalisé sous l'égide de l'ANAH et remis par son président, Dominique Braye le 19 janvier, intitulé "Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés". Or, parmi les propositions visant à éviter que les copropriétés ne se fragilisent par la dégradation de leur bâti et de leurs équipements, figurent l'obligation de soumettre les immeubles à un diagnostic technique global tous les 10 ans et d'établir un plan pluriannuel de travaux, celle de faire alimenter par les copropriétaires, sur la base du plan pluriannuel, un fonds de travaux, et celle, pour une information enfin sérieuse des acquéreurs en copropriété, d'afficher les charges courantes et le coût prévisionnel des travaux dans les annonces immobilières.
Evoquant les copropriétés en difficulté, la ministre avait affirmé : "oui, la vision sur le long terme doit être valorisée. Oui, mieux vaut prévenir que guérir. La spirale destructrice de ces copropriétés dégradées doit être enrayée avant qu'on ne sache plus le faire une fois passé le point de non retour". Et d'annoncer en conséquence que les propositions du "rapport Braye" devraient figurer dans ce qui se dessine comme une "grande loi sur le logement", "élaborée en début d'année 2013", et qui "comportera un chapitre dédié à ce sujet"...
Ce n'est donc pas sans surprise que l'ARC a découvert une réponse ministérielle tournant le dos à cette approche et reprenant la position conservatrice du ministère de la justice, que l'on croyait convaincu aux propositions du rapport Braye. "10 ans de combat pour rien ?" se demande l'ARC. Répondant à une question du sénateur Jean-Pierre Sueur, le ministère de l'égalité des territoires et du logement indique que "le gouvernement n'est pas favorable à l'obligation de constitution d'un fonds de travaux sans vote préalable de l'assemblée générale des copropriétaires. En effet, imposer la constitution de fonds de travaux sans décision de l'assemblée générale reviendrait à porter atteinte au droit des copropriétaires sur leur épargne et à leur liberté d'en disposer et de la placer comme bon leur semble". Autrement dit, les copropriétaires doivent conserver la liberté de laisser leur immeuble se dégrader et de perdre leur patrimoine !
La réponse reprend l'antienne maintes fois entendue et dont on sait qu'elle constitue une argumentation trompeuse. "Au surplus, une telle mesure ne protégerait pas les copropriétaires, notamment ceux dont les revenus sont les plus modestes. "Au contraire, il s'agirait pour eux d'une charge supplémentaire de nature à aggraver leur situation, en particulier dans la période de fragilité économique globale actuelle", peut-on lire dans la réponse écrite. Quid de la fragilité des copropriétaires lorsqu'il s'agit de sortir en un ou deux trimestres l'équivalent de plusieurs années de charges pour des travaux devenus indispensables ? Soit les travaux sont alors votés et de nombreux copropriétaires se voient obligés de vendre leur bien en catastrophe, pouvant alors se retrouver en grande difficulté, soit les travaux ne sont pas votés et c'est toute la copropriété qui est entraînée dans la descente aux enfers de la dégradation et de la perte de valeur ! L'ARC pourrait ajouter "un rapport Braye pour rien", car c'est justement ce raisonnement que Dominique Braye a dénoncé avec vigueur dans son rapport...
On se voit revenus à la réforme de 1985, qui a instauré l'obligation de poser tous les 3 ans la question à l'assemblée des copropriétaires de constituer des "provisions spéciales" en vue des travaux susceptibles d'être nécessaires dans les trois ans à venir, mesure dont le rédacteur de la réponse - un stagiaire qui a consulté la Chancellerie ? - reconnaît l'inutilité. Seule petite concession : peut-être pourrait on envisager de favoriser la décision - facultative - "d'instaurer un fonds de travaux permettant d'anticiper les travaux à venir grâce à un encadrement garantissant une utilisation de ce dernier conforme à son objet". "Il conviendrait notamment de limiter la durée du fonds et le montant des provisions afin de permettre une évaluation périodique et les ajustements nécessaires, de rendre impossible son utilisation à d'autres fins que des travaux, de rendre obligatoire le placement des sommes au profit du syndicat des copropriétaires, de prévoir que les sommes versées sur ce fonds sont des provisions acquises au lot et non des avances attachées aux copropriétaires", est-il précisé, confirmant que ces propositions ont vocation à être approfondies et expertisées dans le cadre de la préparation de la loi-cadre sur l'urbanisme et le logement prévue pour le printemps prochain.
L'affaire n'est pas gagnée d'avance...
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