Dans la droite ligne du rapport "Braye" préconisant un "plan national" de prévention de la dégradation des copropriétés, le projet de loi "Duflot" pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) prévoit d'instaurer un registre d'immatriculation obligatoire des copropriétés comportant des immeubles à destination partielle ou totale d'habitation. Les copropriétés seront tenues de procéder aux formalités nécessaires avant le 31 décembre 2016 pour celles de plus de 200 lots, 2017 pour celles de plus de 50 lots et 2018 pour celles de moins de 50 lots, sous peine d'astreinte et d'amende à la charge du syndic, ou d'immatriculation d'office par un notaire à l'occasion d'une vente de lots. Comme pour le registre du commerce et des sociétés, les syndics devront, à l'immatriculation puis annuellement, y transmettre les états comptables et un certain nombre d'informations fixées par décret. Les changements de syndic et l'engagement de procédures de sauvegarde devront bien entendu y être signalés sans délai. Ce registre doit concourir à "adapter les politiques publiques en matière de logement visant, notamment à améliorer la qualité des logements et à prévenir la dégradation des copropriétés, et de faciliter leur mise en œuvre".
Cette disposition vient combler une lacune surprenante : alors que toutes les autres personnes morales - sociétés civiles ou commerciales, associations, etc. - n'ont d'existence juridique qu'à compter de leur inscription au registre du commerce ou leur déclaration en préfecture, les syndicats des copropriétaires échappent jusqu'ici à tout enregistrement. Du coup, identifier le syndic d'une copropriété oblige encore à se rendre à l'immeuble et interroger les occupants !
Les collectivités territoriales, qui connaissent très mal le parc immobilier en copropriété de leur ressort, se réjouissent particulièrement de cette mesure. Avoir des données financières sur les copropriétés permettra de déclencher les procédures d'alerte et de sauvegarde plus en amont en cas de problème, alors qu'elles ne sont actionnées aujourd'hui que lorsque la situation est devenue irrémédiable...
Mais le diable peut se cacher dans les détails, et notamment dans la nature et la quantité des informations qu'il sera demandé aux syndics de transmettre, mais aussi dans l'usage qui pourra être fait de ces informations : le projet de loi prévoit aussi en effet que les informations contenues puissent être communiquées à des tiers selon des conditions qui seront précisées par décret, c'est à dire à la discrétion de l'Administration.
Ayant eu connaissance de projets laissant craindre que les services en charge du dossier au ministre de l'égalité des territoires et du logement ne préparent une "usine à gaz", l'ARC (association des responsables de copropriété) alerte sur le caractère intrusif de nombreuses informations, sur les risques de manque de fiabilité de certaines d'entre elles, et le coût que représenterait leur collecte et leur maintenance, les syndics devant nécessairement le facturer, voire avoir recours à des prestataires extérieurs pour certains aspects. Rien que le relevé des surfaces des lots (quelle notion de surface alors qu'il en existe 9 différentes) par type de lots (quelle typologie ?) suppose une mission de géomètre pour chaque immeuble : ni les surfaces ne sont actuellement connues des syndics pour l'ensemble de leur parc (en dehors d'une surface dite "développée" mentionnée dans le contrat d'assurance dont tout le monde s'accorde à considérer comme non fiable, et du cas d'immeubles récents pour lesquels les documents de construction ne sont pas archivés ou perdus...), ni l'affectation exacte des lots, celle-ci pouvant différer de celle indiquée dans le règlement de copropriété...
L'ambition de vouloir tirer de ce fichier des informations aussi fines que le coût du chauffage collectif par m2 risque d'être illusoire non seulement du fait de l'imprécision des surfaces mais aussi parce que le coût apparaissant en comptabilité est affecté d'aléas de facturation ou de flou dans les pratiques comptables, ou encore inclut celui de la production de l'eau chaude, non isolable du chauffage... L'ARC, qui opère depuis deux ans un "observatoire des charges" sait qu'il est presque toujours nécessaire de procéder à des corrections et à des redressements avant de saisir ces données, ceci alors même que ces annexes ont déjà été contrôlées par des conseils syndicaux spécialement formés.
Faut-il pour autant jeter le bébé avec l'eau du bain ? Certes non. Un registre identifiant toutes les copropriétés est indispensable, ne serait-ce que pour remédier à l'existence de dizaines de milliers de petites copropriétés sans syndic, non gérées et surtout en général non assurées. Alimenter un tel fichier avec des informations de base et quelques agrégats financiers permettant de déclencher des alertes est nécessaire et éminemment utile. Mais vouloir en faire, en partant de rien et pour un parc de 600.000 copropriétés, une gigantesque base de données, source unique et générale pour toute les études et traitements statistiques ultérieurs, risque de s'avérer d'un coût à la fois disproportionné par rapport au résultat recherché, et dangereux quant aux utilisations induites possibles sous couvert d'intérêt général : les collectivités seront-elles ou pourront-elles s'abstenir d'ouvrir les données auxquelles elles auront accès aux concessionnaires de services publics (eau, distributeurs d'énergie, opérateurs de chauffage urbain) qui représentent aussi des intérêts industriels ? D'autant qu'un fichier à caractère administratif ne dispensera pas de mettre en place là où il le faut les "observatoires locaux des copropriétés" qu'a entrepris de mettre en place l'ANAH - de manière partenariale avec les collectivités et les représentants de copropriétaires.
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