Pour les adversaires du principe de la GUL (Garantie universelle des loyers), voté en première lecture par les députés et qui arrive en commission au Sénat cette semaine et en séance publique le 22 octobre, cette garantie va être un gouffre financier. Il s'agit en premier lieu des propriétaires, tout d'un coup soucieux des deniers publics, mais qui en fait ne veulent pas se voir imposer une assurance obligatoire, et qui préfèrent pour leur sécurité une sélection sévère des locataires et des cautions personnelles. Le fait que cette pratique laisse sur le carreau des cohortes de locataires n'est pas leur problème et après tout qui peut leur reprocher ? Sont également contre le projet les professionnels de l'immobilier, pour des raisons plus complexes : par réflexe idéologique - savoir que les propriétaires sont garantis va selon eux "déresponsabiliser" les locataires, qui s'arrêteront de payer leur loyer, comme ne cessent de répéter les grandes fédérations et réseaux d'agents immobiliers et administrateurs de biens, sans ce rendre compte de ce qu'une telle prédiction a d'insultant pour la grande masse des locataires -, par proximité et donc solidarité avec les propriétaires, et aussi parce que beaucoup d'entre eux font bénéficier leurs clients d'une garantie loyers impayés (GLI), prestation qui leur permet de facturer un petit surcroît d'honoraires ; le n°1 de l'administration de biens, Foncia, a même un intérêt encore plus direct dans le maintien du statu quo dans la mesure où il délivre une GLI en étant son propre assureur. La FNAIM a des raisons aussi d'être hostile au projet, du moins si la GUL ne se fait pas avec les assureurs, car elle a gardé une proximité avec Galian, ex CGAIM, qui est un des quelques grands assureurs en GRL (Garantie des risques locatifs), un essai de GUL monté avec les assureurs par Action Logement et l'Etat en 2006, revu et corrigé en 2009-2010, mais saboté par le gros des autres assureurs qui ont voulu préserver la GLI... Les assureurs, justement, qui ne veulent pas être évincés de la GLI ou de la GRL au profit d'un dispositif étatique, crient au loup, annonçant une catastrophe si la GUL se fait sans eux...
Il est vrai que le financement n'est pas arrêté, le texte voté par les députés le laissant à fixer plus tard - d'ici 2016 -, confiant la préfiguration du dispositif à une "Agence de la garantie universelle des loyers", et prévoyant qu'un décret précisera le montant minimal d'impayés ouvrant droit à la garantie, le montant maximal de la garantie accordée pour un même logement en fonction de la localisation du logement et de sa catégorie, et la durée des versements ; il définira également les modalités de recouvrement des impayés ainsi que les mesures d'accompagnement social en faveur des locataires dont les impayés de loyer sont couverts par la garantie...
Afin de contrer les critiques sur le coût, les ministres du logement, Cécile Duflot et du budget, Pierre Moscovici, ont commandé un rapport confidentiel à l'Inspection générale des finances, dont le Journal du dimanche (JDD) a dévoilé les grandes pistes. Une garantie universelle couvrant trente-six mois de loyers et dix-neuf mois d'impayés coûterait 736 millions d'euros par an. Un chiffre très nettement inférieur à celui qu'avancent les assureurs, chargeant quelque peu la facture. Selon eux, il faut compter 1,3 milliard d'euros lors des années de croissance économique et jusqu'à près de 3 milliards en période de récession lorsque les arriérés explosent sous l'effet du chômage.
Ces chiffres n'ont évidemment rien à voir avec la réalité actuelle des impayés dans le privé, et en particulier avec la sinistralité de la GLI ou de la GRL. Il est vrai que la GLI n'assure que des "bons" risques (des dossiers de locataires solides), même s'il n'est plus possible de cumuler la GLI avec une caution personnelle. "Le chiffrage est difficile", reconnaît Gilles Carrez, président UMP de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, cité par le JDD. Son seul argument : "toutes les aides sociales, de droite comme de gauche, coûtent en réalité 1 à 4 fois plus cher que les prévisions".
En réalité, le coût de la GUL dépend de deux facteurs : le degré d'ouverture de la garantie aux locataires très précaires et à ceux acceptant un taux d'effort frisant voire dépassant les 50%, et l'efficacité du recouvrement, car il n'est pas question que les locataires qui ne payent pas de mauvaise foi soient laissés tranquilles comme le prétendent les propriétaires, du moins ceux qui s'expriment par la voix de l'UNPI (Union nationale de la propriété immobilière).
Première question-clé : qui sera concerné par la garantie des loyers ? Appliquée aux ménages les plus modestes, dont le loyer pèse entre 40 et 50% des revenus, le surcoût serait de 140 millions d'euros selon l'Inspection des finances. Le rapport préconise de ne pas couvrir ces impayés, ce que refuserait pour le moment la ministre du logement. Egalement, pour éviter l'effet d'aubaine qui pourrait inciter certains à en profiter, des restrictions sont préconisées : par exemple obliger le propriétaire de s'assurer avant de louer que son locataire est éligible à la garantie et qu'il ne figure pas dans un "fichier de mauvais payeurs". Ce dernier enregistrera, pendant deux à cinq ans, les locataires qui, selon le ministère, ont déjà des arriérés de paiement et refusent tout relogement et plan d'apurement. Les impayés devront aussi être signalés dans un délai très court, permettant d'agir avant qu'un arriéré trop important ne se soit accumulé. Par ailleurs, les loyers garantis pourraient être plafonnés, façon d'encourager la modération. "L'idée n'est pas d'assurer le montant total des loyers les plus chers", dit-on au ministère selon le JDD. "La garantie n'est pas faite pour les loyers des stars du PSG"...
Seconde question clé : qui gèrera les impayés. Ce serai l'Etat apparemment. C'est ce que préconiserait le rapport. Faudra-t-il pour aitant une armée de fonctionnaires ? L'agence publique créée à cet effet devrait être une structure légère, s'appuyant sur les associations de réinsertion, les agents immobiliers et administrateurs de biens, et des courtiers agréés". Ces opérateurs devront traiter dans un premier temps les impayés de loyers, faire intervenir les services sociaux pour les locataires de bonne foi, et transférer les autres au fisc, ce qui devrait être dissuasif... Le rapport de l'Inspection des finances estime d'ailleurs que l'usage de prérogatives telles que les saisies sur les salaires, les allocations familiales ou les comptes bancaires est une condition sine qua non pour assurer la viabilité du dispositif.
Enfin, le financement évoqué sous forme d'une taxe sur les loyers à parts égales entre propriétaires et locataires fait l'objet d'un blackout. Le rapport de l'Inspection des finances évalue à 431,5 millions d'euros le rapport d'un prélèvement de 1%. Bercy n'aime pas vraiment l'idée d'une taxe, alors que le gouvernement rame pour faire croire à une "pause fiscale". pour limiter le prélèvement, le rapport estime que le "dispositif devrait être financé au moins en partie par des crédits budgétés pour la politique du logement"et "une subvention annuelle de 160 millions d'euros d'Action Logement". Voire de demander aux propriétaires un droit d'enregistrement de "5 euros par bail". Tel que le texte est pour le moment ficelé, il donne deux ans au gouvernement pour trouver la meilleure formule, et l'inclure dans la loi de finances pour 2016...
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