Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment Durable, a présenté le 31 janvier son 5ème rapport d'activité qui dresse un bilan plutôt positif pour l'année 2013, tant dans la construction neuve qu'existante. Il reconnaît néanmoins dans son éditorial d'introduction que tous les observateurs peuvent ne pas l'avoir forcément perçu ainsi. Dans les années 2009-2011, le Plan Bâtiment Grenelle, son ancienne appellation, a été au cœur de la préparation de la loi Grenelle II et de ses décrets d'application : RT 2012, rénovation des bâtiments de l'Etat, « bail vert » et préparation de l'obligation de rénovation énergétique du tertiaire, encouragement et accompagnement du parc privé et des copropriétés. Aujourd'hui, d'autres dynamiques ont pris le relais : programme « Habiter mieux », le débat national pour la transition énergétique, la conférence environnementale, le plan « objectifs 500.000 » et son volet « plan de rénovation énergétique de l'habitat », la préparation de la loi sur la transition écologique, etc. La cohérence des politiques impulsées et l'implication des acteurs sont devenues plus difficiles à appréhender. Le PBD joue-t-il toujours le rôle de terrain de rencontre et de dégagement de consensus qu'il a joué si utilement à ses débuts – rappelons notamment les « chantiers », dont celui de la copropriété que nous avons plus particulièrement suivi - ? Pour y voir plus clair, nous avons naturellement sollicité celui qui incarne le PBD depuis le début et en toutes occasions…
1. Philippe Pelletier, vous présidez le Plan Bâtiment Durable depuis sa création début 2009. Où en est-il aujourd'hui, et comment se positionne-t-il dans les différentes instances d'animation de la transition écologique et du « plan de rénovation énergétique de l'habitat » ? En d'autres termes, est-ce toujours le « lieu où ça se passe », alors que la préparation de la loi sur la transition écologique a été réaffirmée comme une priorité par le président de la République ?
L'action du Plan Bâtiment Durable s'inscrit dans la durée et notre mobilisation s'amplifie. Le Président de la République est particulièrement attentif à nos sujets : il a réaffirmé à de nombreuses reprises l'objectif de rénovation énergétique de 500 000 logements d'ici 2017 et a fait de la transition écologique et énergétique de notre pays une priorité de son quinquennat. Cette parole publique fixe le cap.
Dans ce cadre, le rôle et l'action du Plan Bâtiment ré-affirment toute leur place : nous sommes le maillon essentiel entre les pouvoirs publics, l'administration et les professionnels de l'ensemble de la filière. De nombreuses propositions des groupes de travail du Plan Bâtiment ont trouvé un écho dans les différentes instances de concertation institutionnelles de ces dernières semaines. Nous sommes plus que jamais ce lieu d'innovation et de préfiguration des axes structurants des futurs dispositifs.
2. Quels objectifs prioritaires vous fixez-vous dans le cadre du « plan de rénovation énergétique de l'habitat » ?
Le Plan de rénovation énergétique de l'habitat avec la création des « Points rénovation information services » constitue la première brique de l'édifice : celle de la sensibilisation et de l'information des ménages. Par la mise à disposition d'outils (le site Internet, le numéro de téléphone unique) et le rapprochement des trois agences ANAH, ADEME et ANIL, les ménages ont plus facilement accès à l'information et sont accompagnés dans les premières étapes de leur projet.
Il faut maintenant développer des structures plus complètes, qui permettront un accompagnement global du projet, une ingénierie technique et financière. C'est le sens des futures plates-formes développées par l'Ademe et les Conseils régionaux.
Nous allons veiller à accélérer cette déclinaison opérationnelle du programme de rénovation énergétique. Il faut pouvoir agir sur plusieurs leviers à la fois : l'accompagnement de la demande mais aussi la structuration de la filière, l'émergence d'une offre adaptée et de qualité. Le Plan Bâtiment Durable entend jouer ce rôle de catalyseur de l'action.
3. Le nerf de la guerre pour la rénovation énergétique de l'habitat privé est le financement. Dans le contexte budgétaire actuel, l'effort en termes d'aides et primes non remboursables (subventions ADEME, primes ménages modestes, CIDD) semblent avoir atteint un plafond. Restent les prêts. Or l'Eco-prêt à taux zéro individuel est en panne et sa version collective pour les copropriétés, votée en 2011, n'a pas encore vu le jour. Pensez-vous qu'il y a une réelle volonté de développer ces financements et ont-ils une chance de constituer un financement à grande échelle ?
Dès 2009, l'éco-prêt à taux zéro a été imaginé comme le principal dispositif de soutien à la rénovation énergétique des logements privés. Nous avons cependant commis l'erreur collective de confier l'instruction technique des demandes de prêts aux réseaux bancaires alors qu'il s'agit de compétences techniques. C'est pourquoi, une voie aujourd'hui semble faire consensus en confiant la responsabilité de cette instruction aux professionnels titulaires de la mention « Reconnu Garant de l'Environnement » - RGE. Je vais rapidement saisir les nouvelles équipes de ce dossier urgent.
Nous pouvons cependant imaginer qu'il existe certains blocages car faciliter la distribution de l'éco-prêt à taux zéro conduit à augmenter la dépense fiscale en raison du coût de la bonification de ces prêts. Mais ce raisonnement doit être combattu car il ignore l'effet levier du dispositif : en effet, en finançant des travaux d'efficacité énergétique, l'éco-prêt à taux zéro est à l'origine de recettes directes et indirectes sur notre économie. Cet effet levier est à l'origine du succès des prêts de la KfW en Allemagne : pour 1 euro public de soutien à la rénovation, entre 1,1 euro et 4,3 euros ont été générés en recettes publiques à court terme selon des hypothèses plus ou moins prudentes. Le soutien public à la rénovation énergétique est donc un investissement public à très forte rentabilité.
L'éco-prêt à taux zéro collectif, mis en place à l'égard des copropriétés, souffre des dernières discussions entre les réseaux bancaires et l'administration pour s'accorder sur les modalités de l'instruction fiscale et les avenants à la convention qui avait mis en place l'éco-prêt à taux zéro en 2009. Dès ces accords trouvés et les textes idoines signés, l'éco-prêt sera effectivement disponible en copropriété. Je suis particulièrement attentif à ce que le retard déjà pris ne s'aggrave pas.
4. Si on s'intéresse plus spécifiquement aux copropriétés, qui représentent pas moins de 8,5 millions de logements, les fonds de travaux vont conduire en 4 ou 5 ans à un doublement de la trésorerie gérée par les copropriétés. Cela va poser le problème de la fiscalité des produits de placement pour les copropriétaires, mais aussi celui du surcoût de la garantie financière. Ne serait-il pas envisageable de mobiliser la part de cette trésorerie appelée au titre des fonds de travaux, un peu sur le mode du Livret A, pour le financement à grande échelle de la rénovation énergétique ?
Il existe peut être des voies de financements complémentaires mais de premiers outils sont déjà là et à mon sens, il faut d'abord veiller à les faire fonctionner. Nous disposons de l'éco-prêt à taux zéro collectif, du fonds travaux. La récente possibilité de surélever l'immeuble constitue aussi une troisième voie de financement, la vente de la surface ainsi créée est de nature à financer la rénovation de l'immeuble.
Enfin, si tous les syndics de copropriétés nous disent qu'avoir de la visibilité sur les financements mobilisables est indispensable pour engager la décision de travaux, je rappelle que ce n'est pas la première étape. Avant le moment du financement, il faut engager l'audit de l'immeuble, décider d'un plan de travaux ou de CPE. C'est l'enjeu des toutes prochaines années et c'est sur celui-là qu'il faut collectivement se mobiliser.
5. On a pu voir dans la communication gouvernementale une référence croissante au tiers financement. Pensez-vous que ce mode de financement puisse être déployé à grande échelle, notamment dans les copropriétés (objectif prioritaire visé par exemple par la SEM Energie Posit'if) ? Le coût des ressources financières mobilisables n'est-il pas incompatible avec le niveau d'économies d'énergie susceptibles d'être produites par une rénovation énergétique eu égard à l'investissement nécessaire ? Ne risque-t-on pas par ailleurs de buter sur la problématique de la garantie de performance et la possibilité de mettre en place des solutions assurantielles fiables ?
Nous avons connu une période ou certains voulaient supprimer les dispositifs en place au profit d'un système unique de tiers-financement. Mon rôle a été d'expliquer que la montée en puissance du tiers-financement serait progressive et qu'il fallait que les outils puissent se développer simultanément. Pour preuve, l'opération parisienne de la SEM Energie Posit'IF est construite par la complémentarité de l'éco-prêt à taux zéro collectif et du tiers-financement. Ce dernier est particulièrement intéressant dans les opérations de rénovation énergétique du parc social ou des copropriétés, comme en témoignent les premières expérimentations.
Le développement du tiers-financement conduit dans le même temps à ce que les offres de garantie de performance se mettent en place. Là encore les choses progressent vite et de premiers opérateurs se positionnent sur ce marché innovant. Cela répond à une demande croissante des acteurs de voir leurs investissements garantis dans la durée. Cela nous conduit indirectement à travailler davantage sur le diagnostic, la mesure, l'usage et la compréhension des consommations énergétiques. C'est un chantier que nous allons ouvrir dans les prochaines semaines.
6. Malgré les conclusions plutôt défavorables du rapport rédigé dans le cadre du PBD sur l'obligation de rénovation énergétique dans le logement, on a pu déceler dans les propos de la précédente ministre du logement au moins l'intention de remettre le sujet sur la table. Pensez-vous qu'il soit possible d'aller dans ce sens, et que répondez-vous à ceux qui estiment qu'il n'y a pas d'autre moyen de mobiliser en masse les propriétaires et les copropriétaires pour la réalisation des objectifs de réduction de consommation et de réduction des GES ?
L'apport du rapport conduit par Jacques Chanut (FFB) et Raphael Claustre (CLER) est considérable. Il ne leur était pas demander de trancher en faveur ou en défaveur d'une obligation de rénovation énergétique dans le parc résidentiel mais d'explorer les différentes voies possibles, avec leurs forces et faiblesses. Ce travail riche, qui a rassemblé plus de 250 acteurs, fait pour la première fois l'inventaire de multiples possibilités d'action.
Parmi celles-ci, l'idée qu'il ne faudrait pas « rater » les grands travaux de la vie de l'immeuble et profiter de ceux-ci pour « embarquer » la performance énergétique a fait consensus. Cela revient à dire qu'au moment où une réfection de toiture ou un ravalement est programmé, il faut envisager d'y associer des travaux de performance énergétique. Ce sont classiquement des travaux qui se font tous les 10 ou 20 ans, il ne faut pas manquer cette occasion.
C'est une approche moins sévère qu'une obligation de travaux au sens strict. C'est d'ailleurs dans les termes exacts du rapport Chanut/Claustre que le Président de la République a annoncé ce principe de « l'embarquement » de la performance énergétique. Cette idée devrait être traduite dans la future loi pour la transition énergétique.
Pour engager, à grande échelle, la rénovation énergétique du parc résidentiel, il nous faut jouer sur l'ensemble des leviers : une information adaptée, un nécessaire accompagnement et des éléments de bon sens, comme le fait de profiter des moments pertinents de la vie de l'immeuble pour engager la rénovation énergétique.
7. La rénovation énergétique du bâtiment existant n'est-elle pas freinée par le retard du tissu français des entreprises du bâtiment et de l'ingénierie à développer des compétences dans ce domaine et une offre adaptée et sécurisée pour les propriétaires individuels et les copropriétaires ? Quel rôle le PBD peut-il jouer pour combler ce retard, qui apparaît par exemple de manière criante lorsqu'il s'agit pour les copropriétés de se lancer dans la réalisation de l'audit énergétique obligatoire avant fin 2016 ?
Nous ne pouvons pas tout imputer au retard souvent évoqué du tissu français des entreprises du bâtiment. La filière est maintenant mobilisée depuis de nombreuses années, mais les nouvelles exigences induites par nos sujets supposent plus qu'une vraie évolution des métiers : c'est une révolution dans les façons d'agir et de conduire les chantiers. C'est normal que cela prenne un peu de temps.
Notre rôle est d'accompagner ce changement, en favorisant les groupements d'entreprises, en aidant les professionnels à développer leur offre, en travaillant avec eux le « marketing de l'offre », en favorisant le développement de formations adaptées.
Sur le champ de la rénovation énergétique des copropriétés, la première étape indispensable est ainsi la formation massive des syndics de copropriété : il faut qu'ils puissent dès les prochaines assemblées générales de copropriété, proposer de façon experte et convaincue le vote de l'audit énergétique. C'est le début du processus de rénovation, il faut qu'il puisse s'engager au plus vite. Le Plan Bâtiment sera mobilisé en ce sens sur toute l'année 2014.
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