L'emballement médiatique et politique n'ont cessé de se nourrir en cette fin de semaine : le journal l'Opinion, repris par BFM, Europe 1 puis d'autres médias, citant des sources gouvernementales et des professionnels de l'immobilier, ont fait courir le bruit que le gouvernement reviendrait sur plusieurs mesures de la loi ALUR accusées de bloquer le marché immobilier et la construction. En cause notamment l'encadrement des loyers, qui serait du coup limité à l'Ile-de-France et la garantie universelle des loyers (GUL) pour certains carrément abandonnée, pour d'autres réétudiée pour trouver des alternatives. Même le plafonnement des honoraires de location des professionnels a été annoncé en hausse : Cécile Duflot avait, selon des sources non confirmées, prévu de limiter les frais d'agence à 12 euros par m² à Paris, à 10 euros dans les grandes villes (Marseille, Lyon, Lille) et à 8 euros dans le reste de la France ; désormais, selon une "fuite" d'une des fédérations professionnelle, ce serait plutôt 16, 14 et 11 euros.
Devant l'emballement, amplifié par les réseaux sociaux et visiblement pas calmé par le démenti du porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll à l'issue du conseil des ministres, le ministère du logement a convoqué les médias en urgence pour un "point" du cabinet ministériel. Le message : il n'y a pas de remise en cause de la mise en œuvre de la loi ALUR et le gouvernement travaille à la sortie des décrets d'application.
Il n'est pas exclu que des milieux gouvernementaux - Bercy est en ligne de mire, qui n'a jamais accepté la GUL, dont le coût est incertain (en fait elle doit être assez largement financée sur le budget qu'Action Logement consacre à la GRL, mais justement Bercy lorgne sur le "magot" d'Action Logement…) - aient oeuvré en sous-main et alimenté l'intense lobbying mené par les milieux de l'immobilier et les assureurs…
Au ministère du logement on affirmait que si une réflexion est en cours sur la GUL, ce n'est pas pour l'enterrer. "Nous cherchons à dégager des lignes de financement", dans le cadre du plan budgétaire triennal 2015-2017, assurait le 11 juin Emilie Piette, la directrice du cabinet de la ministre du logement, Sylvia Pinel, rappelant que des discussions sont en cours sur ce sujet et d'autres avec Action Logement. Quant à l'encadrement des loyers, le ministère maintient le calendrier réaffirmé par la ministre : Paris intra-muros à l'automne, toute l'Ile-de-France d'ici la fin de l'année, et 2015 en régions, où la difficulté est surtout de disposer d'observatoires fournissant des données fiables…
Mais patatras ! Le premier ministre, Manuel Valls, s'exprimant devant des maires lors des Assises des petites villes de France (APVF) à Annonay (Ardèche), entrait lui-même deux jours plus tard dans le débat, de manière visiblement improvisée vu l'imprécision de ses propos : "il faut une loi sur le logement, elle existe, mais si nous avons une loi sur le logement qui ne permet pas le redémarrage du logement, cela veut dire qu'il faut apporter un certain nombre de modifications", a-t-il déclaré. Et d'ajouter : "Il y a trop d'éléments qui entravent l'action. Nous avons besoin de libérer les énergies", évoquant notamment l'excès de normes. Dans le contexte médiatique anti "loi Duflot", on y voit surtout une occasion de rendre coup pour coup à l'ancienne ministre qui ne l'avait pas ménagé...
Il n'en fallait pas plus aux professionnels et leurs fédérations pour crier victoire contre cette loi aussi honnie que celle qui l'avait portée, Cécile Duflot. Festival de communiqués et de déclarations dans les médias dans le mode "on vous l'avait bien dit, cette loi est inapplicable et ne sera jamais appliquée", etc.
Qu'en est-il réellement ? Il n'y a que les journalistes économiques des grands médias, peu au fait de la mécanique des marchés immobiliers mais acquis à la pensée "mainstream" néo-libérale, et qui ne puisent leurs informations que d'un seul côté (les fédérations et réseaux d'agents immobilier, les promoteurs, les propriétaires, tous intéressés à un "détricotage" de l'encadrement des loyers et de la GUL), pour croire un instant que la loi ALUR a tué la construction, et que des lobbyistes amateurs pour imaginer que le gouvernement va d'un coup défaire une loi qui a mis un an à être votée. Que les décrets à paraître n'en rajoutent pas dans la contrainte et mettent dans l'application des dispositions légales un peu de souplesse, c'est probable. Que l'encadrement des loyers soit pendant quelque temps - et peut-être plus - limité à l'Ile-de-France, c'est quasi-sûr. Que le gouvernement mette en chantier un texte à passer au parlement est une autre affaire. D'autant qu'une partie de la majorité ne se laisserait sûrement pas faire : les rapporteurs de la loi qui ont travaillé dessus durant des mois, Daniel Goldberg et Christophe Caresche, des sénateurs comme Marie-Noëlle Lienemann, ou encore Europe Ecologie-Les verts. Cécile Duflot et Emmanuelle Cosse n'ont d'ailleurs pas tardé à se faire entendre, dénonçant une reculade sur la seule loi "de gauche" menée au bout par le gouvernement...
On attend avec impatience les 50 mesures de simplification, évoquées par le premier ministre sans plus de précision : elles seraient issues, selon le quotidien l'Opinion qui a rapporté l'information, d'un lot de 80 mesures présentées par les professionnels, notamment pour relancer la construction neuve, en panne prolongée. Elles incluraient des allègements de normes (autre serpent de mer : nb de stationnements, et normes handicapés notamment, réclamées depuis des mois par les promoteurs), ou des mesures pour favoriser la libération des bureaux vides. Nul ne sait en fait quels seraient les points de la loi ALUR qui seraient touchés...
L'ennui est que tout cela détourne de la recherche des vraies causes de l'effondrement de la construction. Elles sont de deux natures. La première est la baisse de la demande de logements, de la part des investisseurs comme des accédants à la propriété pour se loger, les primo-accédants, les jeunes ménages ou les ménages modestes. Tous les chiffres le montrent : leur part a fondu au profit des ménages plus aisés, plus âgés, ayant un apport personnel à mettre dans la corbeille. En cause : la politique des banques, sous l'effet des contraintes prudentielles et de l'aversion au risque qui a saisi le monde de la finance. Les taux d'intérêt sont au plus bas, pour attirer les meilleures clientèles, mais le robinet est fermé. Les restrictions apportées au prêt à taux zéro (le "PTZ+") par l'ancienne majorité et la nouvelle ont coupé l'apport d'oxygène que cette aide apportait à la grande masse des accédants en leur complétant l'apport personnel. Quant aux investisseurs, ce n'est pas la peine de chercher la loi ALUR pour expliquer leur baisse d'appétence pour l'immobilier : la rentabilité était ces dernières années dopée par les plus-values et la défiscalisation : elles ont disparu l'une et l'autre. Quant à un désenchantement qui conduirait à une vente en masse des logements destinés à la location, c'est une pure fiction avancée depuis des lustres par les groupes de pression contre toutes les régulations, jamais corroborée par aucun chiffre crédible !
Mais il est un second groupe de causes à la baisse continue des mises en chantier en 2013-2014 : les maires, et leur frilosité avant, puis après les élections municipales ! Au manque de foncier s'ajoutent les retards, voire les blocages volontaires, dans les autorisations. Les normes et les coûts de construction ne sont qu'un prétexte pour la galerie. Le changement de majorité dans de nombreuses villes a arrêté des projets, pour réorienter l'utilisation du foncier ou les aménagements. Cette situation est notamment dénoncée par les organismes HLM, dont les projets, montés de plus en plus fréquemment de manière mixte avec des promoteurs, sont bloqués depuis des mois...
Décidément, la démagogie s'accommode mal de la complexité...
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