Y a-t-il encore une politique du logement ? Devant les chiffres calamiteux de la construction neuve, et les conséquences qui se font sentir sur l'industrie du bâtiment, la présidence de la République et le gouvernement semblent pris de panique et annoncent chaque mois de nouvelles mesures ! On parle de "détricotage" de la loi ALUR, de réduction des normes de construction, d'un nouvel élargissement du prêt à taux zéro (le "PTZ+"), qui vient d'être réaménagé, d'un élargissement de l'incitation fiscale à l'investissement locatif, ainsi que d'un avantage fiscal à ceux vendant rapidement leurs terrains à bâtir. Que doit-on en penser ?
La remise en cause des mesures de la loi "ALUR" que les professionnels, pour des raisons idéologiques autant que par intérêt, rendent responsables du marasme, risque d'être en paroles plus qu'en actes. Les marges de manoeuvre sont en effet restreintes. D'ores et déjà, un amendement inséré dans une loi en cours d'examen au parlement autorise le gouvernement à aménager par ordonnance les nouvelles obligations d'information des acquéreurs d'appartements ou de lots de copropriété. Ces obligations ont pris de court les notaires, les agents immobiliers et les syndics de copropriété, et auraient ralenti les transactions dans l'immobilier ancien au second trimestre. En fait, l'application de cette mesure, préconisée dans un rapport du sénateur Braye en 2012 et jugée nécessaire par tous les spécialistes sérieux, a été dévoyée, faute d'un délai d'entrée en vigueur et d'un service d'après vente intelligent auprès des professionnels. L'effet d'allègement risque cependant d'être faible, car l'insuffisance de l'information sur la copropriété était criante : il se limitera probablement à une période transitoire pour permettre aux professions de s'organiser...
Les autres mesures que les milieux des propriétaires et des professionnels qui leur sont proches voudraient voir rapportées - l'encadrement des loyers et la garantie universelle des loyers - seront plus difficiles à attaquer. Le premier ministre, Manuel Valls, a certes trouvé tactiquement opportun de les brocarder au moment où Cécile Duflot, sort un brulôt contre lui et le président. Faisant soupirer d'aise le peuple de droite qui a dès le départ exécré la ministre écologiste. Mais ces mesures sont, toutes deux, des promesses de campagne du candidat Hollande et sont chargées de symbole. Les associations de locataires, risquent de se réveiller en sursaut avec effet garanti sur la majorité parlementaire...
La simplification des normes de construction, réclamée à cor et à cris par les promoteurs et les entrepreneurs du bâtiment, et reprise comme un leit motive par les politiques risque elle aussi de faire long feu : après des mois de travail, les professionnels et l'administration ont accouché d'une liste de 50 mesurettes : les principales concernent l'accessibilité des handicapés, qui une fois de plus apprécieront, l'aménagement à la marge des règlementations thermique et électrique, la suppression de quelques excès de la règlementation anti-termites, et quelques mesures phares comme la suppression de l'obligation dans les logements que le cabinet de toilettes ne communique pas directement avec les cuisines et les salles de séjour... Ne pas oublier la suppression - très importante - de l'obligation d'installer un conduit de fumée dans les maisons individuelles neuves équipées d'un système de chauffage électrique ! Si cette première liste ne va pas plus loin, on se demande quelles autres simplifications peuvent être de nature à relancer le bâtiment ! Sans compter que - ceux qui connaissent la construction le savent bien - toute réduction des coûts de construction a pour effet à terme, non pas de faire baisser les prix de vente des logements, mais de permettre une augmentation des prix des terrains !
Restent les mesures fiscales. Décriées par la gauche quand elle était dans l'opposition, rabotées sous la pression des critiques et des déficits par l'ancienne majorité plus que par la nouvelle, les "niches fiscales" feraient leur retour ! La boîte à outils des politiques du logement sans imagination en compte trois : le prêt à taux zéro ou "PTZ+", un nième avatar des dispositifs d'incitation fiscale à l'investissement locatif (aujourd'hui le "Duflot" après le "Sellier", le "Robien", etc.) et l'incitation à vendre les terrains à bâtir.
Les deux premiers ont été utilisés à grande échelle sous l'ancienne majorité, puis ont été restreints par elle-même depuis 2011 et surtout 2012, pour deux raisons : leur coût budgétaire en période de déficits abyssaux, leur effet inflationniste dans les zones tendues, et le fait que la construction encouragée in fine est celle dans les zones non tendues, c'est à dire là où c'est le moins nécessaire. Il est vrai qu'à l'époque ou ces deux avantages fiscaux ont été distribués à guichet ouvert, la construction en a bénéficié largement. Jusqu'à 60.000 logements ont pu ainsi être vendus à des investisseurs. Certes, beaucoup ont été floués, et la frénésie de construction a causé de surcroît un effondrement du marché locatif de dizaines de villes moyennes. Mais cela faisait marcher le bâtiment !
Leur effet est par contre beaucoup plus modeste sur la crise du logement en Ile-de-France et dans les métropoles souffrant d'insuffisance de construction. A cause de la pénurie de terrains et de la frilosité des maires et des détenteurs de réserves foncières. On a beau accorder des avantages fiscaux, les promoteurs n'ont que peu de produits à proposer, souvent trop chers pour entrer dans les clous des conditions d'éligibilité. Et quand ils y entrent, c'est alors un effet d'aubaine pour l'investisseur !
Pourtant, promoteurs et réseaux de vente de placements immobiliers défiscalisés en rêvent encore, mais pour le moment on ne parle que d'aménagements modestes : possibilité de louer douze ans au lieu de neuf ans, moyennant 3 points de plus de réduction d’impôt (soit 21 % du montant de l’achat en réduction d’impôt au lieu de 18 %), et possibilité pour les investisseurs d'acheter pour louer à leurs ascendants et descendants. Reste à savoir si la durée de location à sa propre famille comptera dans la durée de location de neuf ans requise pour la réduction d’impôt ou si elle sera considérée comme une "suspension", l’exigence d’une location classique pour neuf ans subsistant par ailleurs...
Reste l'incitation à vendre les terrains à bâtir, sous forme d'un abattement temporaire sur l'assiette d'imposition des plus-values de cession. C'est aussi un serpent de mer : deux tentatives ont déjà été faites dans le budget de 2013 et de 2014, retoquées chaque fois par le Conseil constitutionnel. Une autre solution prônée par la Fédération française du bâtiment (FFB) tient la corde : la taxation actuelle des plus-values de cession des terrains serait conservée en ajoutant un abattement exceptionnel pour les cessions intervenant durant les trois à cinq premières années de détention. Mais à supposer que la mesure soit plus adroitement ficelée cette fois, est-elle de nature à créer le "choc d'offre" espéré ? Ce qui freine la construction dans les zones tendues, ce n'est pas la disponibilité des terrains mais le malthusianisme local des maires ou leur tendance à privilégier la construction de bureaux. Cécile Duflot avait bien essayé de s'y attaquer, en transférant la maîtrise de l'urbanisme à l'échelon intercommunal, mais n'y a réussi qu'à moitié, ayant dressé contre elle le mur des élus...
L'expérience est dit-on une lanterne qu'on s'accroche dans le dos et qui n'éclaire que le chemin parcouru. On peut être dérangé par la politique engagée par Cécile Duflot pendant les deux premières années du quinquennat, mais force est de constater qu'elle était fondée sur une analyse cohérente de la crise du logement et de l'immobilier. En dehors d'elle, la classe politique qui nous gouverne aujourd'hui comme hier semble n'avoir de lanterne ni devant, ni même dans le dos ! A suivre...
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