Pour sauver la construction lors de la crise de 2008-2009, les bailleurs sociaux ont été autorisés à acheter du patrimoine construit par des promoteurs et notamment des programmes vendus en état futur d'achèvement (en VEFA, ou plus familièrement "sur plans"). Des assouplissements étaient déjà intervenus auparavant : le gouvernement Jospin, qui avec la loi SRU du 13 décembre 2000 a imposé la première fois un quota de logements sociaux dans les grandes agglomérations, a ouvert de façon limitée aux organismes HLM la possibilité d’y recourir pour favoriser la mixité sociale dans certains quartiers. La loi Boutin du 25 mars 2009 a achevé de libéraliser ce mode de développement du parc social à un moment où il avait le feu : de nombreux promoteurs étaient en effet "collés" avec des programmes qui ne se vendaient pas et une filière complète était en perdition. Dans le cadre du plan de relance, l’État a ainsi poussé les bailleurs sociaux à leur racheter, à titre exceptionnel, 30.000 logements restés au stade de projet ou en phase de construction.
Depuis la rechute de 2012, le secteur social porte à nouveau la construction à bout de bras. Plus de 50% de la production neuve de logements HLM n’est plus le fait des bailleurs sociaux : ils sont achetés en VEFA aux promoteurs privés, certes à prix préférentiel, car ils leur permettent de réaliser leurs programmes et de faire tourner leur propre "machine", mais pas forcément au prix coûtant comme s'ils construisaient eux-mêmes. Les promoteurs ne peuvent en effet faire leur marge uniquement sur les lots qui sont vendus aux acheteurs privés ! Autre risque selon certains : celui de voir les organismes HLM perdre leur savoir-faire de bâtisseur ! Sachant qu'on ne bâtit pas du locatif social comme des copropriétés.
Pour limiter le phénomène, l’USH (Union sociale pour l’habitat - l'union des HLM) a réussi à faire passer un amendement dans la loi "ALUR" du 24 mars 2014, visant à instaurer une "VEFA inversée" sur les terrains cédés par l’État, comme la caserne de Reuilly, dans le 12e arrondissement de Paris : l'office HLM Paris Habitat assure le portage et la conception d'une opération de 650 logements dans Paris intra-muros, et cédera 30% des logements destinés à la location dans le secteur libre à des investisseurs privés. A noter que pour éviter les dérives, la loi ALUR a limité la VEFA inversée aux terrains cédés par l’État avec une décote, opérations soumises au contrôle du préfet. Certains craignent cependant que cette pratique ne devienne, en période de baisse des financements publics, un moyen de boucler des opérations de HLM par le recours aux investisseurs privés...
Mais les organismes HLM, publics comme privés, vivent une autre mutation : réagissant au tarissement des financements publics, ils tentent, là où le marché immobilier le permet, de pousser la vente de leur patrimoine à leurs locataires. Ce faisant, ils créent de très nombreuses copropriétés, qui viennent s'ajouter à celles qu'ils ont pu créer lors de la réalisation d'opérations mixtes, logement social et accession, et celles dans lesquelles ils achètent de VEFA, ou encore qu'ils créent dans des opérations de VEFA inversée !
Du coup, de propriétaires d'ensembles immobiliers en mono-propriété, les bailleurs sociaux se retrouvent de plus en plus copropriétaires, et donc propriétaires seulement de parties privatives, les parties communes étant gérées par des syndics professionnels. Certains d'entre eux, voyant leur échapper la gestion technique et devant supporter des honoraires de gestion, créent leur propre activité de syndic interne, parfois en mutualisant leurs moyens à plusieurs. Quand ils le peuvent, leurs services de syndic s'appuient sur les services techniques, les agences et les services de proximité de l'organisme. Ils délivrent un service très largement supérieur en qualité par rapport aux syndics privés, notamment sur le plan de la compétence technique et de la disponibilité, pour des honoraires souvent inférieurs. S'ils ne sont pas encore perçus comme des concurrents dangereux par les syndics traditionnels, c'est seulement parce qu'ils se cantonnent aux copropriétés issus de la construction HLM.
Début 2014, 200.000 logements étaient déjà selon l'USH dans des copropriétés gérées en qualité de syndic par des organismes HLM. Et ce chiffre va grandissant. Mais le nombre de logements qu'ils possèdent en copropriété pourrait au total atteindre le demi-million. Au delà du métier de syndic, les bailleurs sociaux découvrent aussi le métier de copropriétaire. Aussi nouveau pour eux ! Et pas forcément plus facile à exercer. Par manque de prise de conscience des enjeux ou par insuffisance de disponibilité des équipes des directions de patrimoine, beaucoup pour le moment jouent leur rôle a minima, et manquent de proactivité. Leur présence et leur participation aux organes des copropriétés restent fréquemment superficiels. Souvent aussi, ils subissent une gestion chaotique du syndic professionnel sans réagir. Dans tous les cas, ils ont du mal à se donner les moyens de mettre les copropriétés qu'ils créent sur de bons rails, au risque de les voir dériver, et lorsqu'ils restent présents à long terme dans les ensembles immobiliers, de voir leur patrimoine se dégrader. Entrés dans l'univers de la copropriété par la petite porte, les organismes HLM vont ainsi devoir mettre les bouchées double pour prendre la place qui leur revient, et éviter que leurs patrimoines se retrouvent demain dans des copropriétés en difficulté...
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