Une idée saugrenue court actuellement les médias : plusieurs réseaux, la FNAIM, Guy Hoquet ou encore Century 21, envisagent de créer ensemble un site d'annonces commun destiné à se passer des grands portails privés sur lesquels les agents paient aujourd'hui très cher pour publier leurs annonces.
En réalité, cette idée n'est pas nouvelle et sort régulièrement depuis que les sites d'annonces en ligne existent, depuis l'époque du Minitel qui a vu notamment l'éclosion du site SeLoger. Les professionnels qui laissent à ces sites d'annonces - comme avant au Figaro et à la presse régionale - des budgets considérables pour la diffusion des biens qu'ils ont à vendre ou à louer, rêvent d'un monde où leurs annonces seraient diffusées gratuitement, et ont ainsi poussé régulièrement leurs fédérations professionnelles, FNAIM en tête, à investir dans des services Minitel dans un premier temps, Internet dans un second, afin de contrer la montée des sites privés : SeLoger, mais aussi A Vendre A Louer, Logic Immo, Explorimmo, etc. Malgré les sommes dépensées, ce fut un échec : aucun professionnel, même ceux qui appartiennent à des réseaux comme Century 21 qui ont leur propre site d'annonces, ne peut aujourd'hui se passer des sites privés, et même des services de "multidiffuseurs" comme Ubiflow, qui optimisent l'utilisation des budgets ! Mais jusqu'ici, au moins la plupart de ces sites, jugés très chers, et de fait largement profitables à leurs fondateurs ou actionnaires, se restreignaient exclusivement aux annonces de professionnels, les annonces de particuliers étant principalement captées par PAP (de particulier à particulier) et Entreparticuliers.com. La démangeaison des professionnels a repris de plus belle avec la montée fulgurante du site Le Bon Coin, qui ne fait pas de différence et accueille en masse les annonces de particuliers, en même temps que celle des agents immobiliers et des mandataires indépendants, nouvelle catégorie de professionnels qui donnent aussi des boutons aux agents immobiliers traditionnels. Il semblerait que les annonces des professionnels atteignent 70% des annonces du Bon Coin, mais il reste perçu comme un site de particulier à particulier !
Du coup, l'association Plurience, qui regroupe les grands des services immobilier (Foncia, Nexity, Citya, Sergic, Immo de France, Square Habitat...), a décidé dès le milieu de l'année un "embargo" du Bon Coin de la part de ses membres et une action pour convaincre les grandes organisations professionnelles FNAIM, UNIS et SNPI d'inciter leurs adhérents d'en faire autant. Parallèllement, elle émettait l'idée de création d'une plate-forme de diffusion d'annonces commune. Ce mois-ci, on apprenait par une "brève" de l'Express que la FNAIM et des réseaux d’agences immobilières comme Century 21 et Guy Hoquet travailleraient activement à la création d’un site commun d’annonces immobilières pour contrer le site Le Bon Coin.
Coup de "com" à l'intention des agents immobiliers ? Mécontents pèle-mêle de la conjoncture, de la fiscalité et de la loi ALUR, jaloux de la mobilisation des notaires et autre professions règlementées, ils auraient aimé que leurs fédérations organisent des mouvements analogues et les trouvent trop mous dans la défense de leurs intérêts. Coïncidence, deux députés PS, Sylviane Bulteau et Jacques Cresta, ont posé, à une semaine d’intervalle, et dans des termes absolument identiques, une question au gouvernement, dénonçant les sites internet tels que Le Bon Coin ou PAP, qui provoqueraient un manque à gagner de plusieurs centaines de millions d'euros à l'Etat. Selon eux, lorsqu'une transition immobilière se fait de particulier à particulier l'acheteur ne recourt pas aux services d'un agent immobilier et ne paie donc pas les 20% de TVA sur les honoraires d'agence... L'information, largement relayée par les médias, a permis à Philippe Buyens, directeur général délégué de Capifrance, le premier réseau de mandataires indépendants en France et filiale du groupe Pinault, de s'engouffrer dans la brèche : "cela permettrait certes des rentrées fiscales pour l'Etat mais cela sécuriserait également les ventes", déclarait-il récemment à L'Express. Et de remarquer que "le nombre de contentieux est nettement plus élevé dans les transactions réalisées entre particuliers, et puis les négociations sont moins efficaces et plus faibles". D'après l'association de consommateurs CLCV, interrogée par Libération, "depuis quelque temps, il y a un lobbying des professionnels de l'immobilier pour tenter d'imposer un recours obligatoire à leurs services."
Tout cela n'est pas bien réaliste mais met sûrement du baume au coeur des agents immobiliers, dont beaucoup connaissent encore un passage à vide. Si la création d'un site d'annonce à la main des fédérations et des réseaux d'agences est par contre un projet sérieux, on peut douter du réalisme de ses promoteurs. L'expérience de la FNAIM est en effet là pour rappeler que développer et gérer un site d'annonces est un métier qui ne s'improvise pas : après trois décennies d'investissements, les annonces du site fnaim.fr n'arrivent qu'en fin de 3ème page dans les recherches Google ! Et même si ce site était entièrement subventionné par ses fondateurs, leurs adhérents le paieraient d'une manière ou d'une autre, sans probablement pouvoir se passer de diffuser quand même leurs annonces comme aujourd'hui sur les sites privés. Car la montée en puissance d'un site d'annonces n'est pas immédiate, loin s'en faut ! "Comment conduire les agents immobiliers, au nom d'objectifs stratégiques ambitieux, à renoncer à des outils efficaces de mise en marché, les fameux sites d'éditeurs, Seloger ou Leboncoin en tête ?", s'interroge Henry-Buzy-Cazaux, président de l'IMSI (Institut du management des services immobiliers) et grand connaisseur des métiers de l'immobilier. "Les négociateurs, qui ont juste besoin de vendre et de louer, seront-ils prêts à manquer des chances de produire pour le plaisir de bâtir un site appartenant à la profession ? On peut en douter. Parieront-ils sur un site en construction de notoriété, qui mettra longtemps à dépasser les sites établis - s'il y parvient -, alors que les valeurs sûres, pour chères qu'elles soient, leur donnent des moyens commerciaux puissants ?"
Le site pourrait, selon des acteurs interrogés par BFMTv, commencer avec le fichier de l'AMEPI, association gérant un fichier de mandats exclusifs mis en commun par les agences d'un même marché local, et animé par les principaux réseaux d'agences traditionnelles : ORPI, Century 21, Guy Hoquet, etc. Problème, l'AMEPI plafonne en nombre d'agences participantes (moins de 10% des agences immobilières totales), et ne rassemblerait que 20 ou 25% des mandats exclusifs détenus en France, ces derniers ne représentant que 10 à 15% de l'ensemble des mandats confiés aux agents immobiliers. Sachant que la fréquentation d'un site d'annonces dépend de la quantité d'annonces qui y figurent et que la propension des professionnels à les lui confier dépend de la fréquentation, les grands sites leaders du marché n'ont pas de quoi être saisis de panique...
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