Après avoir fait de même pour l’Europe, l’éducation, la compétitivité et la lutte contre les déficits et la dette, François Fillon, premier des futurs candidats déclarés à la primaire de la droite pour l'élection présidentielle, a présenté à la presse 7 propositions pour une politique du logement "plus juste et plus efficace".
Le tableau dressé de la situation du logement en France est sombre : insuffisance de logements accessibles dans les zones tendues, saturation du logement social, et intervention publique coûteuse et inefficace. Mais le candidat croit utile d'y ajouter un marché immobilier qualifié d' "atone et attentiste" parce qu'il n'enregistrerait que 735.000 transactions au lieu de 800.000 dans les années fastes, et une construction qui serait grevée par des normes excessives, ce qui n'est probablement pas la pire des causes de son ralentissement. Après en avoir tout de même sans sourciller attribué la responsabilité "en premier lieu au gouvernement actuel", l'ancien premier ministre a appelé à ne plus s'en tenir à "des discours creux et des solutions maintes fois testées" !
Mais les mesures "choc" préconisées, censées lever les blocages qui empêchent de disposer de logements abondants et bon marché, sont soit convenues, soit ressemblent presque mot pour mot aux demandes répétées du lobby des propriétaires. Demandes que même son gouvernement n'avait pas entendues à l'époque. Parmi elles : aligner les aides budgétaires et fiscales entre le public et le privé, stabiliser et alléger la fiscalité, supprimer l’encadrement des loyers et les différentes contraintes et charges pesant sur les bailleurs, créer un "bail homologué" et rééquilibrer les rapports entre bailleurs et locataires, baisser le plafond de ressources donnant accès au logement social, rendre obligatoire le surloyer et construire un nouveau modèle économique du logement social, sans oublier la simplification des normes et l'encouragement de l’innovation... S'ajoutent l'idée de décentraliser l’attribution des logements sociaux et des aides au logement, et de réintégrer les aides au logement dans un dispositif de prestation sociale unique, celle de généraliser l’ "open data" public pour favoriser la transparence et la fluidité des prix du marché et celle, plus osée, de faire de l’intercommunalité l’échelon compétent pour le logement ! Quand on sait que ce sont les sénateurs de son camp qui se sont opposés pied à pied à cette mesure portée par la précédente ministre du logement, Cécile Duflot...
Séduisantes sur le papier, ces propositions sont malheureusement déconnectées de la réalité. Croire ou feindre de croire que le ralentissement de la construction ne serait dû qu'à un encadrement des loyers qui n'est encore pas entré en vigueur et n'est plus annoncé qu'à Paris, ou quelques mesures de protection des locataires contre les abus, qui décourageraient les bailleurs, prête à sourire. Alors qu'on a assisté par ailleurs à un effondrement de l'accession dans le neuf, notamment dans la maison individuelle, et que le manque d'appétence pour l'investissement immobilier a d'autres causes qui suffiraient à elles seules à l'expliquer : situation et avenir économique peu engageants, baisse du pouvoir d'achat global, politique de crédit ultra prudente des banques, disparition des perspectives de plus-values à court terme, report des achats de ceux qui ont un bien à revendre parce qu'ils résistent à accepter une baisse de leur prix, etc.
Croire que l'on va faire dans les zones tendues exploser l'offre privée de logement intermédiaire par l'incitation fiscale est irréaliste ! Dans le neuf, cela existe et ça s'appelle le "Duflot" ou le "Pinel" ; pour l'ancien, le futur candidat présente comme la pierre philosophale la mise en place d'un "bail homologué" que les bailleurs pourraient remplir en ligne en direct avec leurs locataires (merci au passage pour les agents immobiliers...) et qui procurerait des avantages fiscaux "proportionnels à la faiblesse des loyers pratiqués allant jusqu’à une exonération de taxe foncière sur 15 ans pour les propriétaires louant un bien avec un loyer social". L'idée a été déjà avancée par la FNAIM sous l'appellation "bail solidaire" ! Or en dehors de l'aspect Internet de la chose, ce n'est ni plus ni moins que le "Borloo" dans l'ancien, social ou très social, qui est un flop complet depuis qu'il a été mis en place ! On ne voit pas pourquoi un propriétaire accepterait un loyer réduit contre une restitution partielle sous forme d'impôt, alors qu'il peut trouver des locataires payant plein pot le loyer du marché. Le calcul est vite fait...
Sur la problématique du foncer constructible, le programme enfonce des portes ouvertes : l'alourdissement de la fiscalité du non bâti est déjà en route, et la libération du foncier public est déjà pied au plancher : la "méthode innovante pour surmonter les obstacles ayant jusqu'ici conduit à un relatif échec de cette politique", c'est exactement celle de la loi "Duflot 1" ! "l’Etat ou les établissements publics fonciers fixent le prix des terrains publics ; une fois le prix fixé, une compétition sera organisée entre les investisseurs souhaitant acquérir le terrain, en fonction des programmes qu’ils proposent et sur des critères tels que le prix de sortie et la qualité du programme", indique le document remis à la presse. Le problème n'est pas dans la méthode puisque la loi autorise déjà l'Etat à fixer le prix à zéro ! Ce qui manque, ce sont les terrains, moins nombreux qu'on l'a cru, et un Etat en situation de faire des cadeaux...
Autre caractéristique classique des programmes électoraux : la prodigalité fiscale alors que par ailleurs le même candidat fustige depuis des années l'Etat en faillite et préconise 100 milliards de réduction de la dépense publique : retour à 15 ans de l'exonération des plus-values sur les cessions (que le gouvernement Fillon avait portée à 30 ans...), suppression progressive des droits de mutation, sans compensation pour les collectivités qui les perçoivent autrement que par des économies de dépenses (les maires de droite nouvellement élus l'accepteront certainement de bon cœur...), suppression de l'ISF, etc. Les auteurs du programme ont chiffré à 2 milliards d'euros les dépenses fiscales nouvelles compensées, nous dit-on, par la suppression des "doubles aides" en fusionnant les aides au logement dans un dispositif de prestation sociale unique, qui dégagerait une économie de 7 milliards d'euros ! Quand bien même l'empilement des dispositifs générerait quelques effets d'aubaine ici et là, il est plus qu'hasardeux d'imaginer une telle ponction de pouvoir d'achat en période de crise sans baisse autoritaire des loyers !
Or l'orientation libérale est par ailleurs flagrante : l'encadrement des loyers est voué aux gémonies tout en estimant nécessaire une baisse des loyers, que le candidat juge néanmoins trop élevés en France par rapport à l'Allemagne ; on ne peut compter que sur une augmentation de la construction, la transparence des marchés (hommage aux observatoires de loyers de Cécile Duflot), et le volontariat des propriétaires via le "bail homologué"... L'ancien premier ministre fustige par ailleurs l'idée même, formulée par Manuel Valls, d'une "politique de peuplement", sans donner la moindre piste sur la façon dont il pourrait contribuer à rétablir une mixité sociale tant mise à mal par 50 ans de laisser faire généralisé. On sait pourtant que les communes qui affichent aujourd'hui une authentique mixité - il en existe et de remarquables - n'ont pu le faire qu'au prix d'un volontarisme et d'un courage politique certain ! Même irréalisme concernant l'attribution des logements sociaux qu'il veut remettre sous le contrôle total des maires. Peut-être ne sait-il pas à quelles dérives se sont laissés aller quelques uns des élus de son parti à Paris, Puteaux ou à Courbevoie, dénoncées encore récemment par le site Capital.fr...
Quant à la réforme du logement social, le programme présenté préconise une baisse du plafond de ressources y donnant accès, la facilitation de la vente de logements HLM aux locataires (on ne voit pas trop comment dans un contexte où les locataires n'ont pas vraiment intérêt ou le pouvoir d'acheter...) et enfin "l'évolution du rôle des organismes HLM pour en faire de véritables foncières de l’habitat gérant deux types de baux, le bail « classique » et le bail « social » (basé sur le taux d’effort), ce qui favorisera l’émergence de logements intermédiaires en zones tendues". Derrière ces mesures se cache une fois de plus l'objectif de plaire à son électorat et notamment aux propriétaires : elles sont inopérantes dans les zones tendues parce que les logements sociaux ne sont attribués qu'aux candidats aux plus faibles revenus, mais elles sont demandées dans les zones non tendues parce que le logement social concurrence le logement privé...
Même chose pour le couplet sur la réduction des délais d'expulsion des locataires débiteurs ; sans dire ce qu'on fait des expulsés dans le contexte de pénurie d'hébergement social, cela ne coûte pas cher...
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