La Cour des comptes a rendu public le 8 avril un rapport consacré à l'effet des politiques publiques sur le logement en Ile-de-France. Elle en constate les limites depuis deux décennies dans trois domaines majeurs : l'aménagement, qui encadre et conditionne la production de logements, le logement social et le logement privé. Elle estime surtout que l'amélioration de la situation du logement dans la région capitale n'est pas seulement une question d'effort financier : il importe tout autant que les interventions publiques soient "mieux organisées, mieux ciblées et surtout plus cohérentes".
La Cour des comptes reconnaît les difficultés particulières de l'Ile-de-France, région attractive et dense, où le marché du logement est particulièrement tendu, en raison d'un déficit d'accroissement de l'offre de logements depuis plus de vingt ans, par rapport à celle de la demande. Le prix moyen des terrains à bâtir y est plus de 3 fois plus élevé qu'en province, et celui des appartements anciens et des loyers du secteur privé 2,5 fois plus élevé ! Probablement une conséquence, la segmentation entre les secteurs locatifs privé et social y est plus forte qu'ailleurs, avec des écarts allant jusqu'à de 1 à 4 à Paris entre les loyers de ces secteurs !
D'où une sur-occupation des logements, un taux d'effort supérieur pour les accédants à la propriété et les locataires du secteur libre, et l'engorgement du parc social, qui se renouvelle moins alors qu'il est plus demandé, le parcours résidentiel des ménages y étant rendu beaucoup plus difficile. Plus d'un tiers des locataires du parc privé ne sont pas logés dans le parc social alors que leur revenu est inférieur au plafond de ressources exigé pour avoir accès aux logements du type prêt locatif aidé d'intégration (PLAI), qui sont les plus sociaux et offrent les loyers les plus bas !
Pourtant, des masses financières importantes, supérieures à 6 milliards d'euros par an, sont consacrées chaque année par l'Etat et par les autres acteurs de la politique du logement à l'Ile-de-France, mais elles n'ont pas contribué à y améliorer significativement la situation du logement. Une première raison selon la Cour des comptes est l'inefficacité des instruments de planification ou des interventions foncières sans capacité d'obliger à construire. Les objectifs de construction de logements fixés dans le schéma directeur de la région d'Ile-de-France (SDRIF) n'ont jamais été réalisés, et de loi : l'objectif actuel de 70.000 logements par an n'est atteint que pour un tiers ! En cause la multiplication des instruments de planification et des échelons de décision. "Un rapprochement du périmètre des futures intercommunalités franciliennes et de celui des divers instruments de planification, de programmation et de contractualisation de l'offre de logement est nécessaire", indique la Cour. Et surtout il faut que ces intercommunalités deviennent à terme compétentes pour délivrer les permis de construire ! Ce qui n'est pas gagné...
S'agissant de l'offre foncière, la Cour des comptes critique le parti pris du SDRIF de concentrer les trois quarts du nouvel effort de construction sur des espaces déjà urbanisés, où les terrains sont chers, ce qui rend plus difficile l'équilibre économique des opérations. Elle recommande d'exploiter toutes les possibilités foncières, notamment dans des zones comme les villes nouvelles, pas entièrement terminées et plus abordables qu'en centre d'agglomération, où la construction n'est souvent possible qu'après destruction du bâti existant. S'agissant des opérateurs, la fusion des quatre établissements publics fonciers va accroître leur efficacité. Mais la fiscalité locale et celle des plus-values immobilières sont actuellement trop favorables à la rétention foncière, selon la Cour, qui recommande de taxer les plus-values immobilières réelles sans condition de durée de détention, en ne tenant compte que de l'érosion monétaire. détention, mais en tenant compte de l'érosion monétaire. Elle conseile également de modifier l'assiette de la taxe foncière sur les propriétés non bâties, en tenant compte de la valeur vénale des terrains à bâtir.
Concernant le logement social, les résultats sont jugés insuffisants malgré des efforts financiers importants. L'effort de l'Etat a bien été réorienté à partir de 2010 en direction de l'Ile-de-France, qui a reçu plus de 50% des aides à la construction de logements locatifs sociaux, dites aides à la pierre, et le poids très important des autres financeurs, tels que les collectivités territoriales y a été accru. Mais les effets sont mitigés, du fait du coût très élevé des opérations, notamment à Paris. Confrontés à la diminution des aides et au coût élevé de construction des logements, les bailleurs sociaux franciliens ont tendance, pour équilibrer leurs opérations, à privilégier les logements du type prêt locatif social (PLS), assortis des niveaux de loyers les plus élevés, au détriment des logements de types PLAI et prêt locatif à usage social, accessibles aux plus modestes. Ainsi, au cours de la période 2005-2012, en Île-de-France, l'agrément des PLS l'a emporté sur les PLAI, qui correspondent pourtant aux logements sociaux les plus demandés !
La mauvaise volonté de nombreuses collectivités de la région a fait le reste : la mise en œuvre de l'article 55 de la loi SRU en Ile-de-France est meilleure que dans d'autres régions, permettant un rattrapage significatif, mais la loi n'a pas donné de prime aux communes qui s'en rapprochaient le plus. Les subventions et les efforts se sont concentrés dans les zones où le coût de construction est le plus élevé et le foncier le plus rare. Et ces contraintes ont souvent conduit à acquérir et conventionner des logements existants pour leur donner un statut social, sans accroissement de l'offre globale, ni modification du peuplement quand les immeubles étaient occupés. "On observe en outre une part importante de petits logements au détriment des logements familiaux, car ils sont comptabilisés de la même manière dans les statistiques", remarque malicieusement la Cour. Et l'objectif renforcé de la loi de janvier 2013 (25% de logements sociaux au lieu de 20%) ne corrige pas les imperfections du système, et risque de les amplifier. Au demeurant, certaines collectivités concernées auront-elles les moyens de faire face à leurs obligations ?
Se pose aussi le problème des règles d'attribution des logements sociaux, appliquées de manière variable, et celles de gestion du logement social. Les garanties de maintien dans les lieux et la faible modulation des loyers en cas de progression des revenus contribuent à la forte segmentation entre les parcs locatif privé et social dénoncée. La Cour des comptes recommande une plus grande transparence, et une application sans dérogation ni plafonnement des suppléments de loyers de solidarité ! Elle conseille aussi de moduler le loyer à l'entrée dans le logement social et pendant toute sa durée d'occupation, en fonction du revenu des locataires, et de réexaminer les conditions de maintien dans les lieux des locataires des logements sociaux...
Enfin, concernant le logement privé, la lutte contre la vacance des logements connaît de faibles résultats en raison de l'impact limité, voire nul, de la taxe sur les logements vacants ou de la politique de réquisition. Probablement parce que l'idée qu'il existe un grand nombre de logements aujourd'hui vacants qui pourraient être facilement mis sur le marché relève d'un fantasme qui arrange tout le monde, à droite comme à gauche, ce que le Cour des comptes ne peut évidemment pas dire...
Même chose quant à la transformation de bureaux en logements, peu rentable économiquement.
S'agissant des aides fiscales à l'investissement locatif, elles sont coûteuses et produisent des effets d'aubaine liés à leur ciblage insuffisant sur les besoins de logements intermédiaires en zones tendues. Les dispositifs de défiscalisation sont insuffisamment évalués et n'ont pas eu l'effet attendu de modération des loyers.
Quant à l'accession à la propriété principalement stimulée par les prêts à taux zéro, leur affectation à près de 80% à l'acquisition dans l'ancien a soutenu la hausse des prix sans réussir à déclencher un renouvellement de l'offre en construction neuve ; en cela, la Cour des comptes ne fait que confirmer l'avis (presque) général et approuve les décisions de réserver les aides au neuf depuis le 1er janvier 2012, sous conditions de ressources...
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