Haro sur les aides au logement ! Ce n'est certes pas d'aujourd'hui que les 50 milliards d'euros par an consacrés à la politique du logement au sens large sont montrés du doigt. Mais une petite musique se fait entendre crescendo. Déjà en février, un rapport collectif de trois organes de l'Etat, le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF), gardé secret par le gouvernement plus de six mois, avait fait l'effet d'une bombe en dénonçant le coût annuel exorbitant pour la collectivité (46 milliards d'euros en 2014 soit 2% du PIB, plus 5 milliards d'Action Logement, prélevés sur les entreprises pour le logement des salariés, le "1% logement") et l'inefficacité de la dépense publique, voire même le caractère inflationniste sur les prix de l'immobilier et les loyers d'une partie de cette dernière, notamment les aides à la personne, APL et aides au logement familiale ou sociale. Les ressources consacrées à la politique du logement augmentent depuis plusieurs années de 1% par an, les aides personnelles aux locataires augmentant bon an mal an de 500 millions en moyenne. A ce rythme, on sera à 48 milliards en 2017 !
Comme il n'est pas question de toucher aux autres postes - 17% de l'ensemble va dans le développement de l'offre de logement (en particulier les dispositifs de défiscalisation successifs, mais aussi les aides à la pierre pour le logement social), 17% dans l'amélioration du parc immobilier (réhabilitations, rénovation énergétique, etc.), 11% dans la réduction du taux de TVA sur les travaux et certaines acquisitions, 3% dans l'hébergement d'urgence, et 3% dans les coûts d'administration -, en raison de leur impact sur l'emploi dans le bâtiment ou la nécessité de traiter les urgences sociales, l'attention se reporte sur les aides à la personne : 17,4 milliards d'euros versés par l'État et les caisses d'allocations familiales à 6,5 millions de ménages en 2013, d'après une étude de la DREES (Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques) publiée le 17 avril 2015. Elles étaient de 8,1 milliards en 1991 pour 4,67 millions de bénéficiaires ! Ce montant serait même passé à 18,2 milliards en 2014. L'APL proprement dite (aide personnalisée au logement pour les logements conventionnés) représente environ 40% de ce total, le reste étant versé au titre des allocations de logement, familiale et sociale : ALF et ALS, à parts à peu près égales. Sur ce total, les locataires des bailleurs HLM ou les bailleurs eux-mêmes directement en reçoivent 6,2 milliards (34%), les locataires du parc privé ou leurs bailleurs directement 11,1 milliards (61%), et les accédants à la propriété 900 millions (5%). Les étudiants, fréquemment cités, représentent 12% des bénéficiaires des aides au logement.
Ce sont les allocations versées dans le parc privé qui sont le plus critiquées, et non sans raison : en effet, les bailleurs HLM ont des loyers réglementés, alors que les bailleurs privés peuvent aisément augmenter les loyers libres grâce à l'effet de solvabilisation créé par ces aides. De là à considérer qu'elles contribuent à l'inflation des loyers et que l'argent public ne sert qu'à arrondir les revenus des bailleurs, il n'y a qu'un pas, que nombre d'analystes franchissent sans état d'âme. Les propriétaires ne reconnaissent-ils pas volontiers, lorsqu'ils sont questionnés sur le sujet, que l'APL ou l'allocation de logement perçue par leurs locataires entre dans le calcul du loyer proposé, notamment lorsqu'il s'agit de jeunes ménages et d'étudiants ?
Alors que le gouvernement cherche 14,5 milliards d'économies à faire sur la dépense publique, répartis sur l'Etat, la protection sociale et les collectivités territoriales (plus 5 milliards supplémentaires censés compenser le manque à gagner des mesures d'économies prévues en lien avec l'inflation), ce n'est pas une surprise de voir le ministre des finances, Michel Sapin, en pleine distribution de ses lettres de cadrage aux ministères pour la préparation du budget 2016, annoncer le 11 mai au cours d'une conférence de presse qu'il y aurait "des économies conséquentes" en matière de politique du logement en France, et préparer le terrain dans le sens d'un "rabotage des aides à la personne". On mentionne une économie potentielle d'un milliard d'euros par an, pour commencer...
Une nouvelle occasion lui sera donnée vers la fin du mois, lors de la remise des conclusions d'un groupe de députés, chargé depuis février dernier de réfléchir au sujet sur la base du rapport collectif du CGEDD, de l'IGAS et de l'IGF déjà mentionné. Il est présidé par François Pupponi (PS), député maire de Sarcelles. Parmi les pistes mentionnées figure celle consistant à supprimer les aides au logement pour les étudiants rattachés fiscalement à leurs parents. Il peut en résulter quelques centaines de millions d'économie, mais le député n'y est cependant pas favorable. Le projet est politiquement sensible : les associations d'étudiants UNEF et FAGE sont vent debout et prêtes à mettre les étudiants dans la rue, cauchemar de tout gouvernement depuis mai 1968. Sans compter que le discours sur les classes moyennes sans cesse mises à contribution risque de faire des ravages politiques. Il souhaiterait plutôt trouver un système qui permette de baisser les loyers, en favorisant l'aide à la pierre. L'encadrement des loyers pourrait aussi regagner des faveurs... Par ailleurs, il pourrait être question de réviser les critères d'attribution en se basant sur un "taux d'effort", ou encore de rendre inéligibles aux aides les locataires qui louent une surface excessive par rapport à leurs besoins, ceux qui possèdent une résidence secondaire ou un bien mis en location, et plus globalement ceux qui possèdent un patrimoine, par exemple au-delà de 75.000 euros. Un cas de figure qui concerne 4% des allocataires..
Rappelons aussi qu'il a déjà été voté dans la loi de finances pour 2015 la suppression des aides aux accédants à compter de 2016, pour les remplacer par un dispositif de sécurisation des ménages avec l'attribution de l'aide en cas de chute des revenus de plus de 30% par rapport au moment où le prêt immobilier a été signé. Les professionnels, notamment les promoteurs et les entreprises du bâtiment, sont vent debout contre cette mesure et espèrent sans grandes chances de succès la faire rapporter...
Les réactions du "lobby immobilier" - propriétaires, professionnels de la transaction et de la gestion immobilière -, voyant le risque à terme qu'une réduction des aides à la personne ne pèse sur les rendements locatifs, ne s'est pas fait attendre : "encore un mauvais signal donné aux investisseurs" entend-on de toutes parts. Soumis à des injonctions contradictoires, entre la France des propriétaires et celle des actifs, le gouvernement est sommé de choisir ! Il ne pourra pas ménager l'une et l'autre, mais le chemin des économies sera long : ceux qui à l'inversent croient pouvoir récupérer rapidement les 50 milliards de la politique du logement se font des illusions. Depuis 40 ans, la France s'est laissée droguer aux aides à la personne : elle ne va pas se désintoxiquer facilement...
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