Alors que les principales dispositions de la loi "ALUR" du 24 mars 2014 sont, par suite de publication des décrets, entrées en vigueur, L'UFC-Que Choisir a voulu vérifier sur le terrain si les professionnels jouaient le jeu et si les effets attendus - information sur les biens loués, modération des honoraires, ou documents réclamés aux candidats - sont au rendez-vous. 118 associations locales de l'UFC-Que Choisir ont visité anonymement, entre le 7 et 21 novembre dernier, 1.246 agences immobilières. Les enquêteurs étaient à la recherche d'un studio ou d'un T2 à louer pour un jeune membre de leur famille. Le candidat locataire disposait de revenus trois fois supérieurs au loyer proposé, il était en CDI hors période d'essai et n'avait pas de garant.
Il ressort de l'enquête que, de manière générale, le respect des nouvelles obligations est d'autant plus grand que l'on se trouve dans une zone non tendue, et que les rapports de force se rééquilibrent dans le sens du locataire. La "zone très tendue " comprend Paris et 68 communes limitrophes listées dans un arrêté du 22 décembre 2010. La "zone tendue" correspond quant à elle aux 28 agglomérations (regroupant 1.151 communes) dont la liste est annexée à un décret du 10 mai 2013. Elle regroupe les agglomérations de Bordeaux, Lyon, Marseille-Aix-en-Provence, Lille, Nice, Grenoble, Bayonne, Strasbourg, Toulon, etc. Les communes ne figurant pas sur ces deux listes sont en "zone non tendue".
Dans les zones tendues et surtout très tendues où la demande excède nettement l'offre, les propriétaires et les agents immobiliers qu'ils mandatent se montrent d'une extrême exigence quant à la solvabilité du locataire. A Paris comme dans la majorité des grandes agglomérations, les renseignements requis se multiplient afin de sélectionner le dossier le plus solide, "quitte à faire quelques entorses au respect de la vie privée", indique Que Choisir. La loi ALUR n'a pas radicalement changé la donne : on continue comme si de rien n'était à demander, en infraction par rapport au décret du 5 novembre 2015, le relevé d'identité bancaire (près de trois fois sur quatre !), un justificatif de domicile (12,5% des cas), une autorisation de prélèvement automatique (5,6%), un chèque de réservation (3,3%), un chèque barré (2%), ou encore une copie du livret de famille (3,2%) ; sont aussi demandés des relevés de compte bancaire, ou la liste des crédits en cours. Sans compter, ajoute l'UFC, les questions indiscrètes, pourtant interdites : possession ou non d'un animal de compagnie, âge des enfants, numéro de Sécurité sociale. Parmi les agences immobilières visitées, plus de 80% ont réclamé au moins un document non autorisé ! "Sans grosse surprise, on rencontre bien plus de demandes illégales en zone tendue et très tendue… là où les exigences s'enflamment, comme celle (non justifiée) d'un certain nombre d'années de salariat en CDI !", indique le compte-rendu de l'enquête.
Autre domaine d'exigences abusives : la caution solidaire. Ne pouvant plus depuis 2009 cumuler une assurance loyers impayés (ou une GRL - garantie des risques locatifs) et une caution personnelle, nombre de propriétaires renoncent à l'assurance (qui coûte entre 1,5 et 3% du loyer et des charges) et exigent une caution solide. Dans l'enquête de l'UFC, 13% des agences immobilières ont informé l'éventuel locataire qu'une caution solidaire serait nécessaire, malgré le bon dossier présenté : salaire 3 fois supérieur au loyer, CDI, hors période d'essai, etc. Et comme pour le locataire, des documents peuvent être demandés pour s'assurer de la solvabilité du garant : pièce d'identité, justificatif de domicile, document attestant de son activité professionnelle ou de son statut de retraité, justificatif de revenus (avis d'imposition, trois derniers bulletins de salaire, trois derniers bilans, titres de propriété…). Pour les jeunes, certains propriétaires ou agents immobiliers demandent même que chaque parent se porte personnellement garant ! Une agence parisienne indépendante a ainsi suggéré à l'un des visiteurs (supposé membre de la famille du futur locataire et pouvant apporter sa caution) de "se porter deux fois garant". "Ça ne fait rien, personne n'ira vérifier ! », a soutenu l'agent.
Côté information des candidats locataires sur les biens loués, le respect des obligations reste très insuffisant : 50% des agences visitées s'en tiennent au prix, à l'adresse et à la surface du bien. En zone "très tendue", cela atteint même 60%. "Pourtant, délivrance d'informations et conseils font partie des missions des agents immobiliers, censés justifier leurs honoraires", avance malicieusement Que Choisir. Même si le taux est en progression, seules 65% des agences affichent le DPE sur toutes les annonces. Ainsi, 8 agences immobilières brestoises, sur les 16 enquêtées, vont recevoir une mise en demeure de l'UFC-Que Choisir de se mettre en conformité avec la loi, indique Le Télégramme de Brest.
Un progrès est par contre à noter sur les honoraires de location, qui du fait du plafonnement instauré par un décret du 1er août 2014, ont enregistré en moyenne un recul de -7,4% entre 2011, date d'une précédente enquête, et 2015. Ils ne peuvent dépasser 15 euros/m2 en zone très tendue, 13 euros/m2 en zone tendue et 11 euros/m2 dans le reste du pays où le marché locatif est plus fluide. Mais l'enquête a relevé néanmoins 12% de dépassements dans les zones très tendues, 4% dans les zones tendues et 7% dans les zones non tendues. Et même un effet inflationniste dans les zones non tendues où les agents immobiliers se sont alignés sur les plafonds du décret alors qu'il ne les atteignaient pas lorsqu'ils fixaient librement leurs tarifs...
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