Depuis des mois notaires et agents immobiliers ne cessent de dénoncer la complexité créée par la loi "ALUR" du 24 mars 2015 dans les ventes en copropriété, montrant des promesses de vente de plusieurs kilos, diffusant des photos de plusieurs dizaines de centimètres de papier, et autres horreurs ! De fait, les uns et les autres ayant été pris de court alors que les dispositions de la loi étaient connues depuis des mois, une grande pagaille s'est instaurée au lendemain de la publication de la loi, retardant de plusieurs semaines la signature des avant-contrats, pagaille qui s'est même traduite dans les statistiques des ventes du 2ème trimestre ! Plus surprenant est de voir encore un éditorial du 16 juillet sur le site du Conseil supérieur du Notariat (CSN), sous le titre de "Triste bilan de la loi ALUR", parler de "la complexité qu'elle a instaurée et les lenteurs qu’elle génère". "En effet", peut-on lire, "vendeur et acquéreur restent atterrés par le parcours du combattant nécessaire avant de pouvoir finaliser un avant-contrat portant sur un bien en copropriété" ! Et d'expliquer que ce parcours est dû au fait que le texte "impose de réunir de multiples documents tels que le ou les règlements de copropriété et états descriptifs de division et tous leurs modificatifs, les procès-verbaux d’assemblées générales de copropriété des trois dernières années, les renseignements comptables de la copropriété et du vendeur, le carnet d’entretien de l’immeuble…". Et d'ajouter sans rire qu' "ainsi, de trois à quatre jours pour signer un avant-contrat, on passe aujourd’hui à 20 jours en moyenne ! De 30, les avant-contrats atteignent désormais 300 voire 400 pages. Cela n’est pas acceptable pour engager une dynamique de reprise sur un marché qui doit se fluidifier", insiste l'auteur. Mais il n'est pas le seul : les mêmes éléments de langage sont partagés par les réseaux d'agents immobiliers et sont repris abondamment et sans contrôle par les grands médias depuis des mois.
Pourtant cette présentation des faits est inexacte, et volontairement orientée ! Certes, la loi ALUR a ajouté quelques documents et éléments d'information à annexer obligatoirement à la promesse de vente ou communiquer avant que ne commence à courir le délai de rétractation de l'acquéreur (7 jours, qui passent à 10 jours avec la loi "Macron"). Mais ils sont peu nombreux, et de faible volume : les procès-verbaux des assemblées générales des 3 dernières années, le montant des charges courantes du budget prévisionnel et des charges hors budget prévisionnel payées par le copropriétaire vendeur au titre des deux exercices comptables précédant la vente, les sommes pouvant rester dues par le copropriétaire vendeur au syndicat des copropriétaires, les sommes qui seront dues au syndicat par l'acquéreur du fait des décisions d'assemblée déjà prises, ainsi que le dernier état financier diffusé pour la dernière approbation des comptes, sur lequel apparaît l’état global des impayés de charges au sein du syndicat et la dette vis-à-vis des fournisseurs... Mais ce ne sont que des informations indispensables à l'acquéreur, non pas après la signature de la promesse mais avant, et pendant la négociation ! Acheter en copropriété ne consiste pas seulement en effet à acheter un bien physique : l'acheteur devient membre d'une collectivité qui peut avoir une histoire mouvementée et un passif, auquel le nouveau copropriétaire devra contribuer !
Et surtout, il n'y a pas de quoi faire 300 pages. Mais d'où vient alors ce mythe, que nous n'avons cesse de dénoncer ? L'explication vaut le détour ! Outre les documents à annexer, la loi a aussi prévu d'avancer au stade de l'avant-contrat la communication du règlement de copropriété et de ses modificatifs, ainsi que le carnet d'entretien que le syndic doit tenir à la disposition des copropriétaires à première demande. Rien encore que de très normal ! Comment peut-on acheter un bien sans connaître sa consistance, sa quote-part des parties communes et les règles auxquelles on sera soumis. Mais elle n'a pas prévu qu'il soit "annexé" - donc reproduit en autant d'exemplaires que la promesse - mais remis contre reconnaissance de réception. Le texte est clair sur ce point ! Ne l'ont-ils pas lu ou ont-ils délibérément décidé de démontrer par là l'inanité de la loi honnie (et facturer de la photocopie par la même occasion) ? Nombreux agents immobiliers et notaires se sont évertués à dupliquer ces documents et relier des avant-contrats de plusieurs centaines de pages !
Au passage, de nombreux notaires ont imposé à leurs clients une consultation systématique - et payante - des services de publicité foncière, arguant que le propriétaire vendeur, et même le syndic, pouvaient ne pas être détenteurs de tous les modificatifs intervenus dans la copropriété depuis sa création ! Cerise sur le gâteau, interprétant la loi de manière abusive, le CSN a inventé de toutes pièces le "pré-état daté", exigé du syndic sur le modèle de l' "état daté" prévu par la réglementation, mais seulement pour l'établissement de l'acte authentique. Document inutile, puisque comme cela a été confirmé par une réponse ministérielle dès septembre dernier, la loi "n’avait pas pour objet de créer un nouveau document comptable, mais de rendre obligatoire l'annexion à la promesse de vente, ou, à défaut, à l'acte authentique de vente, d'un certain nombre d'informations de nature à éclairer l'acquéreur sur son choix". Mais que beaucoup de syndics se sont mis à facturer, en toute illégalité...
Il est dès lors piquant de voir le CSN se lamenter le coût pour le vendeur "pour réunir les pièces préalables à la signature de l’avant-contrat", alors que les notaires ont fortement contribué à le créer, et s'apitoyer sur l’acquéreur "qui s’y retrouve bien moins qu’avant dans la multitude des pièces et dossiers qui lui sont notifiés à cette occasion", osant même avancer que "trop d’informations tue l’information" ! Même si les notaires ont des raisons d'être énervés à l'égard d'un gouvernement qui leur tient tête, prétendre que ces informations sont une complexification inutile révèle un mépris étonnant des acquéreurs, de la part de professionnels qui n'ont que la sécurisation des actes à la bouche !
Le gouvernement, impressionné par ce tintamarre, a finalement décidé de revoir sa copie, mais pas pour retirer des information ou des documents à fournir, et encore moins pour revenir à la situation antérieure où l'acquéreur pouvait ne découvrir la copropriété qu'à la signature définitive, avec son déménagement déjà dans le camion ! Tous les observateurs sensés conviennent de la nécessité d'une meilleure information avant vente. Dans une ordonnance sur le point de sortir, il confirme simplement le fait que la communication relative à la situation financière de la copropriété et du copropriétaire se limite aux seuls documents normalement en la possession du copropriétaire au moment de la négociation, à savoir ses décomptes de charges et les annexes comptables et financiers annexés à la convocation de la dernière assemblée générale, tordant ainsi le cou au "pré-état daté", et par ailleurs il généralise la transmission de l'ensemble des documents prévus par la loi ALUR contre la reconnaissance par l’acquéreur de la communication (éventuellement sous forme électronique et notamment à partir de l’ "extranet" du syndic) de ces documents avant la signature de l’avant-contrat.
De quoi, plus d'un an et demi après la publication de la loi, mettre enfin un terme à un psychodrame créé et entretenu de toutes pièces ! Et finalement dans l'intérêt bien compris des notaires, qui en multipliant les tracasseries ont réussi à capter à leur profit une part fortement accrue de la rédaction des promesses de vente, au détriment des agents immobiliers, poussés à jeter l'éponge...
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