Le conseil municipal de la ville de Grigny a approuvé le 13 octobre un protocole d'accord visant à réduire de moitié la dette de l’eau du syndicat principal de la copropriété de Grigny 2 à l'égard de la Lyonnaise des Eaux, se montant à 4,8 millions d'euros, selon des informations publiées par Le Parisien. C'est mieux que rien mais il en faudra beaucoup plus pour redresser cette copropriété en perdition depuis une dizaine d'années ! Une copropriété-ville, la 2ème de France après Parly 2, construite au demeurant par le même promoteur : 5.000 logements, 17.000 habitants (plus des deux tiers de la ville de Grigny, dans l'Essonne), 26 syndicats secondaires dont chacun pèse déjà le poids d'une bonne copropriété (de 120 à 300 logements...), et un syndicat principal en charge du chauffage, de la distribution d'eau, des voiries et des éclairages urbains, d'espaces verts, de l'assainissement, de gardiens communs (les syndicats secondaires ont aussi les leurs...), etc.
Il n'en a pourtant pas toujours été ainsi : en 2.000, le syndicat principal plaçait encore plusieurs millions de francs de trésorerie excédentaire. Mais un processus de paupérisation était déjà en marche : des charges de copropriété très élevées (de véritables charges de ville s'ajoutant pour les copropriétaires aux impôts locaux), un environnement urbain en voie de dégradation avec la proximité d'une cité à problèmes, la Grande Borne, une montée de l'insécurité (on se souvient de l'incident des passagers se faisant détrousser dans le RER à la gare de Grigny, en lisière de la résidence), des ingrédients classiques du processus de fabrication des copropriétés en difficulté. Jusqu'à l'arrivée de la gangrène : les marchands de sommeil qui louent de la main à la main à des populations en situation de faiblesse et qui ne paient évidemment aucune charge. Un premier plan de sauvegarde avait été engagé, mais uniquement pour tenter de remédier - en vain - aux problèmes de peuplement qui commençaient à apparaître.
Le ver est entré dans le fruit par quelques syndicats secondaires, dont les difficultés de trésorerie ont fragilisé le syndicat principal. S'y sont ajoutés comme souvent en pareil cas des facteurs liés à la gestion. Le syndic historique, SAGIM, avait commis l'erreur de répartir les charges du principal aux syndicats secondaires au lieu de les appeler directement aux copropriétaires comme c'est de droit. Les difficultés des secondaires se sont du coup transmises au principal. Lorsque la gestion a été rétablie en direct avec les copropriétaires, c'était trop tard : le principal avait accumulé plusieurs millions d'euros de créances potentiellement irrécouvrables !
L'autre facteur aggravant a été la cession de la société SAGIM par ses actionnaires au groupe Urbania, qui a démantelé à la foie l'équipe de gestion dédiée installée dans la résidence et le service du contentieux qui avait assuré le recouvrement des charges avec efficacité plusieurs décennies durant. Pour les remplacer par une gestion à distance à partir de Lyon !
La dégringolade n'a pas tardé ! En 6 ans, de créditeur, le syndicat principal s'est retrouvé débiteur de plusieurs millions d'euros auprès de la Lyonnaise des eaux et de Cofely, l'exploitant de la chaufferie. Ce dernier, qui avait financé une cogénération, en a été réduit à la démonter, alourdissant de ce fait encore un peu plus la facture de chauffage. En avril 2011, les graves difficultés financières du syndicat principal ont conduit le président du tribunal de grande instance d’Evry à désigner un administrateur provisoire, désaisissant ce faisant de leurs pouvoirs à la fois l'assemblée des copropriétaires, le conseil syndical, et le syndic, qui sombrait à son tour dans la déconfiture d'Urbania.
Deux plans de sauvegarde plus tard, on en est enfin à envisager un démantèlement du syndicat principal, le transfert du chauffage à la ville, et l’isolation des façades pour réduire la facture énergétique des habitants. Début septembre, le ministère du logement a annoncé en grande pompe la mise en place d'un ORCOD-IN (Opération d'intérêt national de requalification des copropriétés dégradées, une nouveauté de la loi "ALUR"), le deuxième après un autre "trou noir", la copropriété des Chênes pointus à Clichy sous bois, de sinistre mémoire, à cause des émeutes de 2005 qui en sont parties... Les actions à mener à court terme sont immenses, et nécessitent la mobilisation de l'ensemble des partenaires : travaux d'urgence dans les secteurs les plus dégradés, engagement de la scission de la copropriété, réduction de la dette, création d’un réseau de géothermie, accompagnement social des copropriétaires en difficulté, renforcement des actions dans le cadre des zones de sécurité prioritaires, etc.
De sa création jusqu'à la fin de son redressement espéré, la copropriété de Grigny 2 aura été un cas d'école de ce qu'il ne faut pas faire : un ensemble de cette taille, une structure de gestion complexe, et surtout l'absence de contrôle externe d'une gestion sujette aux aléas des jeux de pouvoirs tant personnels que financiers, s'exerçant au sein d'assemblées et de conseils syndicaux pléthoriques (plus d'une centaine de membres pour le conseil syndical du syndicat principal !). Pas sûr que les pouvoirs publics, qui paient pourtant une facture de plus en plus lourde, en aient vraiment pris la mesure...
|