L'information courait depuis décembre dernier dans les médias et le milieu professionnel : plusieurs réseaux, la FNAIM, Guy Hoquet ou encore Century 21, étudiaient la création ensemble d'un site d'annonces commun destiné à se passer des grands portails privés sur lesquels les agents paient aujourd'hui très cher pour publier leurs annonces. L'idée avait été dévoilée officiellement déjà le 16 mars dernier lors de la conférence collective sur l'AMEPI, et depuis le projet était apparemment poursuivi activement ! La justification invoquée est l'augmentation tarifaire des sites comme SeLoger ou LeBonCoin, sous prétexte de nouveaux packs et de nouvelles options dans les propositions, politique jugée "insupportable pour les professionnels". "Comme les hôteliers avec Booking.com, nous avons le sentiment que les données liées à notre fonds de commerce nous échappent et sont traités par des pure players qui récupèrent nos marges" observait Jean-François Buet dans cet entretien.
En réalité, cette idée n'est pas nouvelle et sort régulièrement depuis que les sites d'annonces en ligne existent, depuis l'époque du Minitel qui a vu notamment l'éclosion du site SeLoger. Malgré les sommes dépensées, ce fut un échec : aucun professionnel, même ceux qui appartiennent à des fédérations comme la FNAIM, l'UNIS, ou des réseaux comme Century 21 ou ORPI, qui ont tous leur propre site d'annonces, ne peut aujourd'hui se passer des sites privés, et même des services de "multidiffuseurs" comme Ubiflow, qui optimisent l'utilisation des budgets ! Mais jusqu'ici, au moins la plupart de ces sites, jugés très chers, et de fait largement profitables à leurs fondateurs ou actionnaires, se restreignaient exclusivement aux annonces de professionnels, les annonces de particuliers étant principalement captées par PAP (de particulier à particulier) et Entreparticuliers.com. La démangeaison des professionnels a repris de plus belle avec la montée fulgurante du site Le Bon Coin, qui ne fait pas de différence et accueille en masse les annonces de particuliers, en même temps que celle des agents immobiliers et des mandataires indépendants, nouvelle catégorie de professionnels qui donnent aussi des boutons aux agents immobiliers traditionnels. Il semblerait que les annonces des professionnels atteignent 70% des annonces du Bon Coin, mais il reste perçu comme un site de particulier à particulier !
Depuis, une version bêta, de belle présentation, a été réalisée et mise en ligne : Bien'ici. Le site doit être lancé avec 300.000 annonces en ligne - y compris du neuf de promoteurs - à l'occasion d'une soirée professionnelle le 7 décembre à laquelle la presse n'a pas été conviée. L'information d'une levée de fonds de plusieurs millions d'euros court avec insistance. Participeraient à la société éditrice de grands groupes comme Foncia ou Citya-Belvia, des réseaux comme Century 21, un des leaders du projet, mais aussi Guy Hoquet, Laforêt, Era ou Orpi et les quatre syndicats professionnels :la FNAIM, l'UNIS, le SNPI et la FPI (Fédération des promoteurs immobiliers). En tout une trentaine de partenaires.
Si l'argumentation semble au premier abord séduisante, l'opération n'en est pas moins risquée. D'abord parce que les grands sites visés, qui se déclarent sereins, ne resteront pas sans réaction. Ensuite par ce qu'il ne suffira probablement pas de mettre en ligne un site, quelle que soit sa qualité, pour que les professionnels, même s'ils l'alimentent dans un premier temps gratuitement par multidiffusion automatique, ne continuent pas à diffuser leurs biens sur les grands sites payants, tant que la montée en puissance du nouveau site dans les consultations des clients ne leur apporte pas autant de contacts utiles que SeLoger ou Le Bon Coin ! Le site des professionnels ne pourra passer avant en mode payant, car alors au lieu d'une économie, le recours au nouveau site se traduirait pour les professionnels par un surcoût ! S'il le fait trop tôt, voire d'emblée comme le mentionnent certaines sources, il échouera à rassembler toute l'offre des professionnels, estimée à un million d'annonces (doublons dus aux mandats simples compris). La question est alors de savoir combien de temps la société éditrice constituée pourra tenir, si l'on tient compte des investissements nécessaires en achat de mots-clés et opérations de communication nécessaires pour assurer une montée en puissance suffisamment rapide…
Les opérateurs du projet devront aussi, s'ils veulent comme c'est leur objectif drainer l'ensemble des offres des professionnels, lever quelques préventions qui se font jour dans la profession, comme la suspicion de voir les annonces des participants au tour de table mises en avant de préférences à celles des autres agents. Est-il approprié qu'un outil de ce genre soit aux mains de grands groupes et réseaux qui occupent sur le marché une position dominante ?
Enfin, si le succès est au rendez-vous, la valorisation de la société ne créera-t-elle pas la tentation chez les actionnaires de prendre leur profit, comme cela s'est passé pour Rightmove au Royaume Uni : créé en 2000 par les 4 plus grands acteurs britanniques de l'immobilier, le site n'est plus contrôlé par la profession, et ses tarifs sont parmi les plus élevés du monde ! En 2015, exaspérés par les tarifs de RightMove et de Zoopla, les professionnels britanniques de l'immobilier lancent à nouveau leur propre portail : OnTheMarket.com. Cette fois-ci, malgré les investissements considérables (certains analystes parlent d'une centaine de millions de livres), l'audience n'est pas au rendez-vous ! Seul dans le genre à cumuler pérennité et succès, le site Funda aux Pays Bas, mais il a été créé par le syndicat professionnel dominant dans la profession, le NVM…
A noter que les promoteurs du projet souhaitent aussi que le site en arrive, en récupérant les données sur les ventes réalisées, afficher les prix effectifs des logements vendus quartier par quartier ; ils se mettent ainsi en concurrence accessoirement avec les notaires, et surtout avec deux sources d'informations sur les prix du marché nettement plus performantes : Meilleursagents.com et… le baromètre LPI/SeLoger opéré par le professeur Mouillart. Ce serait d'ailleurs le mouvement de SeLoger dans ce sens qui a achevé de convaincre la profession de s'unir pour ouvrir un portail commun. Mais là aussi la question se pose de savoir, si la collecte réussit dans de bonnes conditions, qui aura accès à la base de données constituée, qui y aura accès et à qui elle profitera ?
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