Décision importante de la Cour de cassation, en date du 28 janvier : on savait jusqu'ici que tout copropriétaire pouvait faire valoir en justice, sans limite de durée, la non-conformité des répartitions de charges prévues au règlement de copropriété concernant une partie des charges, à savoir celles relatives aux services collectifs et équipements communs, que la loi du 10 juillet 1965 régissant la copropriété prescrit de répartir en fonction de "l'utilité que ces services et éléments présentent à l'égard de chaque lot" ; cela concerne les charges de chauffage, d'ascenseur, de porte de parking, d'interphone, etc. Ainsi, un copropriétaire peut saisir le juge pour faire modifier le règlement de copropriété s'il le fait participer aux charges d'ascenseur pour un lot au rez-de chaussée. Cette possibilité vient de ce que la loi est d'ordre public, et que fixant un principe universel qui est celui de l'utilité, toute clause ou grille de répartition dans un règlement de copropriété doit être déclarée "non écrite".
Mais pour les autres charges, relatives à la conservation, à l'entretien et à l'administration des parties communes, la loi prévoit qu'elles doivent être réparties proportionnellement aux "valeurs relatives des parties privatives comprises dans leurs lots", valeurs prises en compte dans le calcul des quotes-parts des parties communes attribuées à chaque lot dans l'état descriptif de division. Or, l'article 5 de la loi, qui fixe le principe du calcul de ces quotes-parts nous dit que les valeurs à prendre en compte résultent "de la consistance, de la superficie et de la situation des lots, sans égard à leur utilisation", mais précise que ce calcul est fait "lors de l'établissement de la copropriété". C'est sur cette base qu'est établie notamment la grille de répartition des charges générales, servant à répartir les charges de syndic, d'assurance, de gardien, d'entretien des espaces verts, ainsi que les grilles de répartition des charges d'entretien des bâtiments. Enfin, ces quotes-parts, qui sont en fait les quotes-parts d'indivision de la propriété du terrain de la copropriété, servent également pour déterminer les voix avec lesquelles les copropriétaires votent en assemblée sur les questions générales, et notamment tout ce qui a trait à l'administration du syndicat.
Dans une affaire ou des copropriétaires, après avoir acheté des lots de combles, ont transformé leur appartement en un duplex comportant plusieurs pièces supplémentaires, aboutissant à une valorisation globale des lots détenus, la Cour d'appel de Paris avait donc cru logique de débouter un copropriétaire de sa demande que soient réputées non écrites la clause de répartition des charges générales, et que le juge les modifie pour tenir compte de la valorisation de l'appartement concerné. Pour rejeter la demande, l'arrêt de la cour d'appel retient qu'il résulte des termes de l'article 5 de la loi du 10 juillet 1965 que l'estimation de la valeur relative des parties privatives s'opère "lors de l'établissement de la copropriété" et que la clause de répartition des charges générales ne peut pas être déclarée non écrite au motif que les critères de répartition des charges seraient d'ordre public.
Surprise, la Cour de cassation censure la Cour d'appel de Paris : elle estime qu'ayant constaté que la transformation de l'appartement avait eu des répercussions sur la consistance, la superficie et la situation de leurs lots en augmentant la valeur relative de ceux-ci par rapport à celle de l'ensemble des parties privatives de l'immeuble, elle aurait dû accéder à la demande (1) !
Cet arrêt appelle en réalité une interprétation fine qui n'apparaît pas dans les commentaires parus à ce jour : les tantièmes généraux fixés dans l'état descriptif de division, en principe conformément à l'article 5, fixent en premier lieu les quotes-parts de propriété des parties communes générales et en particulier du terrain de la copropriété. En aucun cas on ne peut imaginer que le juge puisse les modifier après coup, car cela entraînerait des transferts de propriété entre les copropriétaires. Mais la plupart du temps, les règlements de copropriété prévoient que la répartition des charges se fasse en fonction de ces mêmes tantièmes. L'arrêt de la Cour de cassation permet en fait au juge de procéder à la modification de la répartition des charges générales indépendamment des tantièmes généraux. Mais les tantièmes généraux restant inchangés, la modification n'affecte pas les voix avec lesquelles doivent voter les copropriétaires en assemblée sur les questions relatives à l'administration des parties communes et toutes les décisions qui peuvent être considérées comme liées à la propriété. Il y a donc dédoublement des grilles de tantièmes ; par contre, lorsqu'il s'agit de faire application de ce qui est devenu le III de l'article 24, à savoir la disposition selon laquelle, "lorsque le règlement de copropriété met à la charge de certains copropriétaires seulement les dépenses d'entretien d'une partie de l'immeuble ou celles d'entretien et de fonctionnement d'un élément d'équipement, il peut être prévu par ledit règlement que ces copropriétaires seuls prennent part au vote sur les décisions qui concernent ces dépenses", "chacun d'eux [votant] avec un nombre de voix proportionnel à sa participation auxdites dépenses", on doit alors utiliser la nouvelle répartition s'appliquant aux charges...
(1) Cass., 3ème Ch. civ., 28 janvier 2016, n°14-26921.
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