L'exemple de Berlin qui a décidé depuis le 1er mai d'interdire les locations touristiques saisonnières sur les plateformes comme Airbnb (sauf pour une chambre dans un appartement) aurait-il donné plus de courage à nos politiques de ce côté du Rhin ? Le 29 avril, le Sénat a en effet adopté un amendement au projet de loi numérique qui permet aux conseils municipaux des communes touchées par l'envolée de ce type de locations, au détriment du logement locatif classique, de rendre obligatoire, par délibération, un enregistrement préalable pour toute location de manière répétée, pour de courtes durées, à une clientèle de passage. Ces délibérations fixeront le nombre minimal de nuitées par an à partir duquel l'enregistrement est obligatoire, le but étant d'avoir une "traçabilité et une meilleure transparence", afin d'empêcher entre autres les sous-locations illégales. Les communes concernées doivent être de plus de 200 000 habitants ou situées dans les départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne.
Sollicitée de réagir, Emmanuelle Cosse, la ministre du logement, est catégorique : "aujourd'hui, toutes les villes se saisissent du problème, pas simplement Paris. Toutes les villes du territoire et du pourtour méditerranéen n'en peuvent plus. Il y a des propriétaires voire des locataires qui enlèvent totalement leur bien du marché locatif pour le louer à la semaine. Cela devient une machine à cash, ce sont souvent des revenus qui ne sont pas déclarés, la taxe de séjour n'est pas payée comme c'est le cas pour un hôtel ou un gîte", souligne la ministre. Et de dénoncer également la sous-location sauvage qui a été relevée dans le parc social : "il faut avoir la preuve que les personnes [qui louent ainsi leur logement] ont le droit de louer. En tant que ministre du logement, je dois répondre à une demande sociale très forte, je ne peux accepter que des locataires du logement social mettent leur bien sur Airbnb".
En réalité, le problème de la sous-location est le plus facile à régler : le locataire qui sous-loue illégalement son logement encourt la résiliation de son bail. Il appartient donc aux bailleurs sociaux de faire la police, et de fait plusieurs affaires ont abouti récemment à des condamnations de locataires, au moins à des dommages et intérêts élevés si ce n'est à des résiliations, les juges ayant ainsi dernièrement laissé à une locataire une seconde chance en la condamnant à 5.000 euros de d'indemnité à son bailleur...
Le second problème posé par le développement des locations sur Airbnb est celui de la fiscalité des revenus ainsi générés et du manque à gagner des communes dans la collecte de la taxe de séjour, ces locations détournant une partie de la clientèle de l'hôtellerie et des loueurs professionnels. Airbnb a déjà accepté de collecter la taxe de séjour pour Paris mais la généralisation semble délicate. Le Parlement a par contre adopté un amendement obligeant les plateformes de location à déclarer directement à l'administration fiscale les encaissements générés par leur intermédiaire.
Le troisième problème est le détournement massif, constaté notamment à Paris, des règles fixées par l'article L631-7 du Code de la construction et de l'habitation, précisées clairement par la loi ALUR du 14 mars 2014, empêchant le changement d'affectation d'un logement de l'habitation vers une activité à caractère commercial, ce qu'est en fait la location meublée de courte durée. Les contrevenants risquent une amende conséquente (10.000 euros par logement en moyenne, avec un plafond de 25.000 euros) mais insuffisante par rapport au gain procuré par cette activité ! Avec une amende à 100.000 euros, Berlin a frappé beaucoup plus fort, et Paris demande à ce que le tarif des sanctions soit porté au moins à ce niveau...
Enfin, dernier problème : les infractions des propriétaires à de nombreux règlements de copropriété qui, s'ils ne peuvent interdire la location, peuvent parfaitement exclure la location de courtes durées à une clientèle de passage. Mais là l'action incombe aux autres copropriétaires. Gageons qu'excédés par le mouvement créé par les allées et venues incessantes de touristes dans les immeubles, ceux-ci soient de plus en plus nombreux à poser le problème en assemblée, s'ils n'usent pas de la faculté de dénonciation aux autorités municipales. A Paris, une équipe d'une dizaine de personnes est désormais chargée de la traque des locations illégales...
Régissant à ces coups de boutoir, Airbnb crie à l'injustice et reproche aux mesures envisagées de "défavoriser les particuliers au bénéfice de loueurs professionnels". "Imposer un enregistrement dans les villes de plus de 200.000 habitants revient sur la promesse des pouvoirs publics de faire de la France une terre d'économie collaborative comme s'y était engagé le gouvernement en février dernier", ajoutaient le 3 mai les dirigeants français d'Airbnb dans une déclaration transmise à l'AFP. "Cela n'aura d'autre effet que de défavoriser les particuliers qui souhaitent louer leur logement de manière occasionnelle, au bénéfice de loueurs professionnels, rompus aux procédures administratives".
L'argument est évidemment spécieux : ceux qui louent une chambre de leur résidence principale ou leur appartement ou leur maison pendant leurs congés ne sont pas dans le collimateur des autorités. Ce sont ceux qui achètent spécialement, ou qui retirent des logements de la location classique pour les meubler et les louer de cette manière !
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