Un décret et un arrêté du 30 mai 2016 ont mis un terme aux spéculations nées d'un projet mis en consultation en janvier dernier et qui avait provoqué une levée de boucliers. Ils visent à fixer définitivement les modalités de l’obligation d’individualisation des frais de chauffage dans les immeubles dotés d'installations collectives, vieux serpent de mer qui traîne sous divers avatars depuis...1974. L’article 1er prescrit que "tout immeuble collectif équipé d’un chauffage commun à tout ou partie des locaux occupés à titre privatif, et fournissant à chacun de ces locaux une quantité de chaleur réglable par l’occupant, [soit] muni d’appareils de mesure permettant de déterminer la quantité de chaleur fournie à chaque local occupé à titre privatif et ainsi d’individualiser les frais de chauffage collectif". Mais quand il s'agit de savoir quels immeubles seront concerné par cette obligation et lesquels ne le seront pas, les interprétations des textes publiés divergent fortement !
A en croire le syndicat de la mesure, le puissant lobby des fabricants de compteurs qui bataille depuis des années pour rendre obligatoire, sous couvert d'économies d'énergie, l'individualisation des frais de chauffage, tous les immeubles à chauffage collectif seraient à terme concernés, du moins lorsqu'il est techniquement possible de mesurer la chaleur consommée par chaque logement pris séparément et de poser un appareil permettant aux occupants de chaque logement de moduler la chaleur fournie par le chauffage collectif, et si cela n'entraîne pas un coût excessif impliquant de modifier l'ensemble de l'installation de chauffage. Et ce en trois temps : au 31 mars 2017 pour les immeubles les plus énergivores - consommation d'énergie pour le chauffage seul supérieure à 150 kwh/m2/an -, au 31 décembre 2018 pour les consommateurs moyens - entre 120 et 150 kwh/m2/an- et au 31 décembre 2019 pour tous les autres !
Petit problème en passant : pour les chaufferies produisant à la fois du chauffage et de l'eau chaude sanitaire, il peut être très compliqué, sans disposer de compteurs thermiques installés de manière appropriée, de calculer la part de l'énergie utilisée pour le seul chauffage, par rapport à celle de la production d'eau chaude : le recours à un thermicien peut être nécessaire !
Le ministère du logement retient cette interprétation, notamment au travers des indications fournies sur le site Service-public.fr. Or elle est contestable ! La première à avoir réagi est l'association des responsables de copropriété (ARC), très remontée contre le principe même de l'obligation d'individualisation : selon elle, les seuls les immeubles concernés sont ceux dont chaque local dispose d’une boucle individuelle de chauffage, car seuls ces derniers permettent la pose de compteurs thermiques mesurant la "la quantité de chaleur fournie à chaque local", comme le prévoit le décret. Les autres immeubles, où les radiateurs sont raccordés à des colonnes montantes multiples et indépendantes, ne pourraient être équipés que de répartiteurs (compter quand même un coût annuel de 8 euros par mois et par radiateur !), qui ne mesurent pas une quantité de chaleur fournie mais un indice qui doit ensuite être retraité au moyen de formules spécifiques ; de plus, l’association fait remarquer que contrairement aux compteurs d’énergie thermique posés sur une boucle unique, les répartiteurs ne tiennent pas compte de la chaleur, souvent très importante, apportée par les canalisations de chauffage situées à l’intérieur des logements, mais uniquement de la température des radiateurs. En conséquence selon elle, même si ces répartiteurs peuvent faire l'objet d'une "télérelève" de l’extérieur des locaux, l’indication qu’ils fournissent ne peut être considérée comme indiquant réellement une "quantité de chaleur" fournie au local…
L'UFC-Que Choisir estime elle aussi que l’explication de texte du ministère du logement est en contradiction avec le texte réglementaire sur lequel elle est censée s’appuyer. Venant à la rescousse des professionnels de la mesure, le site service-public.fr assure que l’individualisation des frais de chauffage peut se faire au moyen de "répartiteurs placés sur chaque radiateur" ou "d'un compteur individuel d'énergie thermique placé à l'entrée de chaque logement".
Pour le compteur, cela va de soi, il détermine la quantité de chaleur consommée par le logement, ce qui répond très précisément au décret du 30 mai 2016. Pour les répartiteurs, en revanche, le ministère ne colle pas au texte adopté. C’est d’autant plus curieux que, jusqu’au décret du 30 mai dernier, l'article R241-7 du Code de l'énergie disposait que "tout immeuble collectif à usage principal d'habitation équipé d'un chauffage commun […] est muni d'appareils permettant d'individualiser les frais de chauffage collectif. Ces appareils permettent de mesurer la quantité de chaleur fournie ou une grandeur représentative de celle-ci". La "quantité de chaleur fournie" désignait les compteurs d’énergie thermique, et la "grandeur représentative de celle-ci" les répartiteurs, qui mesurent une température et non une quantité de chaleur fournie.
Or le décret du 30 mai a modifié cet article R241-7, qui prévoit désormais que "tout immeuble collectif à usage principal d'habitation équipé d'un chauffage commun […] est muni d'appareils de mesure permettant de déterminer la quantité de chaleur fournie". La référence à une "grandeur représentative de celle-ci"n et donc aux répartiteurs, a disparu ! Du coup, puisque seul un compteur permet de compter, un répartiteur répartit selon une règle puisque la sonde de ce répartiteur ne peut que mesurer un niveau de température et non une quantité de chaleur, conclut l'UFC, citant le bureau d’études thermiques Afipro.
Le distinguo est de taille. Avec l'interprétation du syndicat de la mesure, soutenue par le gouvernement, presque tous les immeubles à chauffage collectif devraient au moins installer des répartiteurs sur chaque radiateur (seuls en fait y échapperaient les immeubles à chauffage de base par le sol), alors qu'avec celle des associations de copropriétaires ou de consommateurs, seuls les immeubles équipés de boucle horizontale par appartement seraient soumis à l'obligation d'installation, cette fois de compteurs thermiques - plus chers, mais un seul par appartement. En fait une toute petite minorité d'immeubles ! En clair : 4 millions de logements d'un côté selon les estimations du gouvernement dans son étude d'impact, quelques centaines de milliers de l'autre...
A noter que l’article L241-9 du Code de l’énergie prescrit toujours qu’avant toute installation des appareils de mesure, "les émetteurs de chaleur, quand cela est techniquement possible, sont munis, à la charge du propriétaire, d'organes de régulation en fonction de la température intérieure de la pièce, notamment de robinets thermostatiques en état de fonctionnement". Compter 70 à 90 euros par radiateur !
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