Le dispositif des certificats d'économie d'énergie (CEE) entre dans sa 4ème période, allant du 1er janvier 2018 au 31 décembre 2020. Les objectifs d'économies d'énergie sont doublés par rapport à la période 2015-2017. Le montant des financements susceptibles d'être mobilisés pour des travaux d'économie d'énergie dans les 5 prochaines années - 6 milliards d'euros - va cette fois dépasser celui du CITE (crédit d'impôt pour la transition énergétique), estimé à 5 milliards pour la même période. L'association de consommateurs UFC-Que Choisir s'est penchée sur le sujet et, sans être contre le principe de ce dispositif, censé aider à la réalisation de rénovations, met en avant d'importantes anomalies dont elle est fermement décidée à se saisir à l'égard des pouvoirs publics.
Sur le papier, le système est vertueux : l'Etat fixe aux fournisseurs d'énergie des objectifs d'économie à financer, qu'ils doivent remplir avec pénalités à la clé. Pour justifier de remplir leur objectif, ils doivent racheter à ceux qui font réaliser des travaux (changement de chaudière ou de mode de chauffage et production d'eau chaude, changement de fenêtres, isolation, etc.) des certificats d'économies à bonne hauteur. Le prix de rachat est un prix de marché qui ne peut bien entendu dépasser le montant de la pénalité. Économiquement, le système ne coûte pas un centime à l'Etat : c'est un jeu à somme nulle. Les consommateurs d'énergie payent le coût des certificats rachetés dans leurs factures d'électricité, de gaz, d'essence ou de gazole, et n'en bénéficient que s'ils effectuent des travaux. Les ménages ne seront pas les plus gros contributeurs, car le dispositif concerne aussi les industriels, mais ils en seront tout de même pour 840 millions d'euros par an sur 1,8 milliards...
Premier problème : les ruraux et les locataires. Les premiers ont de grosses dépenses énergétiques car ils cumulent celles du chauffage et de leurs véhicules individuels : ils seront donc structurellement déficitaires, même s'ils font de gros efforts de rénovation de leurs domicile. Pour les seconds, c'est pire : ils payent le surcoût dans leur facture énergétique et n'ont aucun moyen de bénéficier de l'aide aux travaux, puisque ces derniers incombent aux propriétaires. Pire : leurs bailleurs peuvent, s'ils font des travaux, toucher le prix des CEE, et demander à leurs locataires de leur rétrocéder pendant 15 ans jusqu'à la moitié de l'économie d'énergie réalisée (loi "MLLE" du 25 mars 2009) !
Deuxième problème: celui de savoir par quel canal les commanditaires de travaux peuvent "placer" leurs certificats au plus offrant, sachant qu'il n'y a pas de lien entre les travaux concernés et le type d'énergie en jeu. Pour les gros travaux, les propriétaires d'immeubles collectifs et syndics de copropriété peuvent, s'ils sont informés, passer par des courtiers qui procèdent par appels d'offres. Les particuliers n'ont évidemment pas accès à ces services, et doivent passer par les entreprises de distribution (Leroy Merlin, Castorama, etc.), par exemple lorsqu'ils achètent un chauffe-eau thermodynamique, ou par les entreprises de travaux. Le magasin ou l'entreprise se chargent d'établir le certificat et le vendent à un fournisseur d'énergie, en général un de ceux avec qui ils ont des relations commerciales. En contrepartie, ils font bénéficier leur client d'une "prime", mais dont le montant n'est pas forcément en rapport avec le prix obtenu !
Or, l'UFC-Que Choisir pointe l'opacité dans laquelle les distributeurs fixent ces primes, qui peuvent varier pour le même produit ou le même type de travaux de 84 à 193 euros pour une chaudière à condensation, de 414 à 943 euros pour l'isolation des combles d'un pavillon, ou de 684 à 1558 euros pour l'isolation des murs !
Mais le plus préoccupant est le manque d'information des artisans qui "vendent" des travaux à des particuliers - 42% ignorent le dispositif alors qu'ils ne sont que 7% à ignorer le CITE -, et pour ceux qui le connaissent, leur réticence à le proposer, vu le parcours "kafkaïen" et les risques du processus d'obtention : nécessité de faire une demande préalable, de vérifier l'éligibilité des travaux, et de constituer un dossier permettant de vérifier la conformité des travaux : facture détaillée, qualification RGE du professionnel, etc. Les erreurs peuvent générer des va et vient entre le client, l'installateur et le fournisseur d'énergie payeur, voire un rejet pur et simple qui met en cause l'économie du projet ! On comprend presque que les artisans renâclent à engager leur responsabilité, ou à prendre le risque de litiges...
En tous cas le résultat est édifiant : 1/3 des travaux seulement ont bénéficié de CEE au cours des périodes passées, et la même proportion de consommateurs n'ont jamais entendu parler du dispositif ! Du coup, seuls les gros bailleurs et certaines copropriétés dotées de gestionnaires et conseils syndicaux compétents, ou dûment "coachées" par les espaces info énergie et les associations de copropriétaires, profitent de la manne.
Les pouvoirs publics sont largement responsables de cette situation, par l'absence totale de communication sur le dispositif : aucune campagne et grande discrétion sur les sites Internet des ministères notamment !
L'UFC a entrepris de rémédier à cette carence d'information, et demande au pouvoir réglementaire de renforcer la transparence des "primes" proposées par les distributeurs (afficher clairement le prix du "kWh CUMAC" proposé, et pas seulement le montant, comme le prix du litre ou du kilo pour les produits de consommation), sécuriser l'éligibilité des travaux, et garantir par un mécanisme à inventer (un bonus-malus imposé aux bailleurs ?) un meilleur équilibre contribution/bénéfice entre les locataires et propriétaires...
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