Le 79e congrès du secteur HLM s'est clôturé le 11 octobre à Marseille, avec un discours de Jean-Louis Dumont, président de l'Union sociale pour l'habitat (USH), suivi d'une intervention de Julien Denormandie, secrétaire d'Etat à la Cohésion des territoires. Le premier a résumé la problématique : "Nous n'avons pas l'habitude de faire un métier simple, mais depuis le PLF [projet de loi de Finances, NDLR] 2018, une chose a changé. Non seulement l'Etat a ponctionné 1,7 milliard sur les organismes HLM, mais il l'a fait d'une manière qu'aucun acteur économique ne peut absorber : par une réduction administrée de son chiffre d'affaires. La loi de finances 2018 et la trajectoire budgétaire annoncée pour 2019 peuvent à elles seules, en un an, nous faire perdre ce que nous avons mis des décennies à construire" ! Et d'ajouter : "Nous sommes, vous êtes peut-être aux prémices d'un cercle descendant dont on ne sait pas où il s'arrêtera. Si loin du choc de l'offre auquel nous aspirions à vos côtés…", lançant un avertissement : "Si nous ne trouvons pas une issue collective à cette crise, notre pays risque de se priver d'un levier national au service d'une mission d'intérêt général pour le bien de la République"...
La mesure incriminée est évidemment la baisse autoritaire des loyers imposée aux organismes depuis début 2018 pour compenser la baisse des APL (aides personnalisées au logement) des locataires sociaux, qui fera faire à terme 1,7 milliard d'euros d'économie à l'Etat. En 2018, ils ont dû réduire de 800 millions d’euros leurs loyers ; ce montant passera à 873 millions d’euros en 2019 et 1,5 milliard d’euros en 2020, soit 8% de la masse globale des loyers collectés. Entre-temps, ils ont aussi dû digérer l’augmentation de la TVA sur la construction neuve, passée le 1er janvier 2018 de 5,5 à 10%, ce qui leur a coûté 700 millions d’euros.
Face au désordre créé par une ponction d'une bonne moitié de la marge opérationnelle des organismes et, partant, de leur capacité d'autofinancement, le gouvernement a proposé quelques mesures financières comme la renégociation de leurs emprunts auprès de la Caisse des dépôts, et le recours à des prêts dits "de haut de bilan", dont le remboursement ne commence que dans vingt ans. Une façon de reporter la charge sur l'avenir... Pour le reste, il renvoie la profession aux deux voies qu'il lui a recommandées et qu'il encourage par quelques mesures de facilitation dans la loi "ELAN" prochainement publiée : le regroupement des organismes et la mise en commun de ressources financières et de moyens, et d'autre part la vente des patrimoines amortis.
Contre mauvaise fortune bon coeur, les organismes se sont lancés dans la première voie en mettant en place un peu partout des structures de coopération ou des groupements de moyens. Il est vrai que sur ce plan le gouvernement a manié la carotte et le bâton : la loi renforce la possibilité de dissoudre des organismes en posant une obligation nouvelle de s’adosser à un groupe d’organismes de logement social pour tout organisme gérant moins de 12.000 logements. Corrélativement, est également introduite la possibilité d’imposer, à un organisme de logement social, l’acquisition de tout ou partie du patrimoine ou du capital d’un organisme qui ne se serait pas mis en conformité avec cette obligation de regroupement.
La seconde, l'accélération de la vente, est plus difficile. Ils s'y essaient depuis une bonne dizaine d'années, réussissant à peine 6 à 7.000 ventes par an tous bailleurs confondus. On leur demande de passer à 40.000 (1% du parc) ce qui paraît mission impossible : leurs locataires n'ont pas envie ou n'ont pas les moyens d'acheter ! par ailleurs, la mise en vente d'une résidence implique de la mettre en copropriété, en totalité ou partiellement, ce qui est techniquement compliqué et dangereux : le risque est grand en effet de créer à terme des copropriétés en difficulté, fléau croissant auquel le gouvernement est forcé, avec le plan "Initiative copropriété" lancé cette semaine, de consacrer des moyens en augmentation...
Conscients du problème, les maires n'ont pas encouragé le processus. Ils avaient jusqu'ici un pouvoir de blocage. Qu'à cela ne tienne, avec la loi ELAN, l’avis du maire de la commune où est situé le patrimoine à céder devient consultatif et ne reste contraignant que si elle est en déficit de logements sociaux, c’est-à-dire sous les 25% exigés par la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) de 2000. Afin d’encourager les maires à ces opérations, les appartements vendus restent comptabilisés dans le "quota SRU" durant dix ans après la transaction, et non plus cinq. Par ailleurs, le prix proposé à l’acheteur ne sera plus fixé par les Domaines mais par l’organisme HLM lui-même, avec le danger que ces HLM soient bradés.
Le gouvernement dispose dans le mouvement HLM d'un bras armé : Action Logement, une des familles de l'USH, qui dispose d'une collecte de 3,5 milliards d'euros par an via la PEEC (participation des employeurs à l'effort de construction - le "1% logement") et qui possède une grande partie des entreprises sociales de l’habitat (ESH), branche privée du monde HLM. Action Logement est l'instrument des entreprises pour le logement de leurs salariés et aujourd'hui aux mains du MEDEF. Et la loi ELAN lui a créé un instrument à sa mesure pour accélérer le mouvement de vente : la possibilité de créer un organisme national de vente (ONV), doté d’un milliard d’euros de fonds propres, permettant d’emprunter trois fois plus, qui propose aux bailleurs d’acheter des immeubles en bloc, à charge pour eux de les mettre en copropriété et de les écouler. Plus de 120 bailleurs ont déjà répondu à un premier appel d'offres. Reste à savoir si cet organisme réussira à vendre mieux que les organismes qui s'y essaient depuis dix ans...
Le risque est grand dans ce cas que le patrimoine invendu soit cédé à bas prix à des institutionnels et déconventionné, conduisant à une privatisation du parc social que beaucoup appellent de leurs vœux, si l'on se réfère au rapport du groupe de travail Cap 2022. Voire même à des investisseurs privés dont beaucoup peuvent se révéler être des "marchands de sommeil", qui ne tarderont pas à transformer les immeubles en copropriétés dégradées ! Certes, l'heure est aux pétitions de bonnes intentions : Action Logement annonce qu'il ne vendra qu'à des personnes physiques, un logement à la fois, et rappelle que la loi prévoit une garantie de rachat, valable dix ans, en cas de difficultés du nouveau propriétaire. Les sénateurs ont aussi obtenu dans la loi ELAN une concession du gouvernement : la moitié des sommes tirées des ventes réalisées dans des communes soumises à la loi SRU sera réinvestie dans celles qui sont déficitaires en logements sociaux.
En attendant, avec sa réforme, le gouvernement s'est tiré une autre balle dans le pied : la ponction sur l'autofinancement des organismes a commencé déjà à se traduire par une baisse de la construction neuve et de l'effort d'entretien-rénovation : deux tendances qui arrivent au plus mal pour l'industrie du bâtiment qui souffre aussi de la baisse de la commercialisation des logements neufs du fait des restrictions de la distribution du prêt à taux zéro (PTZ), de la quasi-suppression de l'APL accession et de la réduction des périmètres de la réduction d'impôt Pinel. La construction de maisons individuelles vit un véritable effondrement, mais le collectif commence également à souffrir, d'autant que nombre de programmes de promoteurs privés ne pourront pas voir le jour sans participation d'un bailleur social quand une partie du programme doit lui être consacré.
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