Un décret du 22 mai 2019 sur l’individualisation de la chaleur et du froid avait créé une nième version d'une réglementation introuvable, aux multiples avatars successifs qui avaient, en raison des tergiversations et des rédactions maladroites des textes, permis aux bailleurs sociaux et aux millions de copropriétaires d'échapper à une injonction largement inspirée par le lobby du "comptage" (fabricants, installateurs et releveurs de compteurs d'eau et de chaleur). Ce décret a été suivi par un arrêté du 6 septembre qui fixe le seuil de consommation à 80 kilowattheures (kWh) par m2 par an de surface habitable (SHAB), au-dessus duquel il est considéré comme rentable et obligatoire d'installer des appareils de mesure et procéder à une individualisation des charges. En dessous de ce seuil, l'obligation ne s'applique pas.
La date de mise en service de l'installation d'individualisation des frais de chauffage diffère désormais selon la performance énergétique de l'immeuble. Les logements collectifs - dont la consommation est entre 80 et 120 kWh/m2/an - devront être équipés d'appareils de mesure avant le 25 octobre 2020. La mise en service des compteurs individuels de chauffage, des appareils répartiteurs de frais de chauffage et des appareils de mesure de la quantité de froid fournie à chaque local doit intervenir avant cette échéance. A partir du 25 octobre 2020, les nouvelles installations devront aussi être relevables par télé-relève, selon le décret. L'ensemble du parc devra être équipé en télé-relevé à compter du 1er janvier 2027.
L'arrêté définit les cas dans lesquels il est techniquement impossible d'installer des compteurs individuels pour déterminer la quantité de chaleur ou de froid consommée par chaque local ainsi que des répartiteurs de frais de chauffage. Il précise les cas pour lesquels il y a impossibilité d'installer des compteurs individuels ou, le cas échéant, des répartiteurs de frais de chauffage pour des raisons techniques ou pour des raisons de rentabilité économique. Les immeubles pour lesquels il est techniquement impossible d'installer des compteurs individuels pour déterminer la quantité de chaleur consommée par chaque local pris séparément (compteurs thermiques) sont ceux pour lesquels la distribution du chauffage n'est pas assurée par une boucle indépendante pour chacun des lots (boucle unique).
Les immeubles dans lesquels il est techniquement impossible d'installer ni compteurs thermiques, ni répartiteurs de frais de chauffage, sont notamment ceux pour lesquels l'émission de chaleur se fait par dalle chauffante sans mesure possible par local, ceux dont l'installation de chauffage est équipée d'émetteurs de chaleur montés en série (monotubes en série), ou est constituée de systèmes de chauffage à air chaud non réversibles, ou encore ceux dont l'installation de chauffage est équipée d'émetteurs fonctionnant à la vapeur ou de batteries ou de tubes à ailettes, de convecteurs à eau chaude, ou de ventilo-convecteurs dès lors que chaque local ne dispose pas de boucle individuelle de chauffage.
L'arrêté précise le cadre d'utilisation des méthodes alternatives aux deux technologies précédemment citées. Il précise de même les cas d'impossibilité pour le refroidissement. Mais il permet d'opter pour d'autres solutions alternatives, quand la mise en place des compteurs ou des répartiteurs n'est ni rentable, ni possible à déployer. L'emploi des alternatives devra être justifié, dans une note, par le propriétaire de l'immeuble collectif ou le syndicat des copropriétaires. Le contenu de la note et les modalités de l'étude de rentabilité réalisée par le propriétaire sont précisés dans l'arrêté.
Pour évaluer en amont la consommation énergétique moyenne de chauffage et de refroidissement de l'immeuble, le propriétaire ou le syndic de la copropriété devront relever la consommation énergétique de l'immeuble sur les trois dernières années et estimer la part liée au chauffage et au refroidissement, ajoute l'arrêté. Le propriétaire ou le syndic calculeront ensuite la moyenne annuelle des consommations d'énergie de chauffage ou de refroidissement et la diviseront par la surface habitable totale des logements, qu'il faudra aussi établir si cette information n'est pas - comme c'est fréquemment le cas - disponible.
L'arrêté précise enfin les modalités de répartition des frais de chauffage et de refroidissement et les informations à communiquer aux résidents. "En cas de copropriété, le syndic doit procèder au relevé des appareils de mesure au moins une fois par an et envoyer chaque année au propriétaire de chaque local qui l'adresse ou le fait adresser à son tour à son (ses) locataire (s), le cas échéant, un relevé de la consommation d'énergie pour le chauffage dudit local. Sur ce relevé figureront en outre des indicateurs de suivi de sa consommation. Il s'agit, a minima, de la consommation d'énergie pour le chauffage ou le refroidissement du local pour la même période de l'année précédente, si elle est disponible, et de la consommation d'énergie moyenne pour le chauffage ou le refroidissement de l'ensemble de l'immeuble. Cette période inclut a minima les mois de fonctionnement de l'installation de chauffage ou de refroidissement de l'immeuble".
Par ailleurs, l'arrêté ajoute que "la moyenne des consommations annuelles de chauffage ou de refroidissement sur les trois dernières années, calculée à l'article 3 du présent arrêté, est affichée dans les parties communes de l'immeuble". Egalement, il précise que "dans le cas d'un groupe d'immeubles desservis par une installation commune de chauffage ou de refroidissement, il est possible de prendre en compte les configurations thermiquement défavorables pouvant exister entre ces différents immeubles"... Deux annexes fournissent les nouveaux facteurs de conversion en cas d'utilisation de plusieurs énergies et les modalités de justification de l'absence de rentabilité.
L’arrêté sur l’individualisation des frais de chauffage passe mal et pourrait être contesté. "Si le décret publié le 23 mai dernier paraissait tempérer les ardeurs du précédent gouvernement en matière d’individualisation des frais de chauffage en copropriété, son arrêté d’application est 100 % calibré pour faire la fortune des professionnels du comptage" : c’est ainsi que commente l’UFC Que Choisir l’arrêté du 6 septembre 2019 fixant les conditions détaillées de l’obligation d’individualisation des frais de chauffage dans les immeubles collectifs. L’ARC (Association des responsables de copropriété) est aussi vent debout et l’a fait savoir au ministre chargé de la ville et du logement, Julien Denormandie. L’association, dont le directeur général est par ailleurs membre du CNTGI (Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières) a demandé un moratoire et envisagerait à défaut de saisir le Conseil d’État. L’USH (Union sociale de l’habitat) serait aussi dans cet état d’esprit.
L’UFC reproche notamment que les dépenses retenues pour définir "le coût excessif au regard des économies d’énergie attendues" excluent le remplacement des robinets thermostatiques, alors que leur durée de vie est limitée, ainsi que le calorifugeage des conduits, le désembouage et l’équilibrage de l’installation de chauffage, des interventions elles aussi déterminantes pour espérer une réduction de la consommation d’énergie. "Avec de tels critères, l’obligation va toucher de nombreux immeubles sans que cela leur apporte la moindre plus-value, contrairement aux travaux d’économies d’énergie", indique l’UFC.
De son côté, l’ARC juge l’arrêté sur l’individualisation des frais de chauffage "inutile, contreproductif et télécommandé". L’association de copropriétaires conteste depuis des années les estimations d’économies d’énergie susceptibles d’être obtenues par l’individualisation et avancées par l’ADEME, cette dernière ayant fini par en douter aussi...
Par ailleurs, l’ARC dénonce le coût des compteurs thermiques, qui ne peuvent en tout état de cause être installés que dans une minorité d’immeubles, et le manque de fiabilité de la solution alternative, celle des "répartiteurs", quasi-imposée à une grande majorité des autres immeubles. Ces matériels doivent être installés sur chaque radiateur et ne mesurent pas une quantité de chaleur, mais une donnée "représentative de la quantité de chaleur délivrée" interprétée par un algorithme opaque, et qui capte aussi bien la chaleur fournie par le radiateur que celle d’un radiateur électrique d’appoint ou du soleil lorsque l’appartement y est exposé ! Une étude récente réalisée par un bureau d’étude indépendant a pu démontrer le manque de fiabilité technique des répartiteurs de frais de chaleur. De plus, cet équipement ne permet pas de suivre sa consommation de chauffage individuelle, puisqu’il ne donne qu’un indice qui doit ensuite être récupéré par l’installateur, qui doit alors l’intégrer dans son algorithme, afin de pouvoir estimer la consommation individuelle de chauffage.
L’ARC rappelle aussi qu’à la différence de l’individualisation des consommations d’eau, la répartition des frais de chauffage peut être socialement injuste. En effet, même dans un immeuble correctement isolé, l’isolation ne joue que par rapport à l’extérieur, les appartements n’étant pas isolés thermiquement entre eux. Dans un immeuble dont une majorité d’habitants travaillent, ceux-ci auront tendance à mettre leurs robinets thermostatiques au minimum, et la minorité de ceux qui occupent leur appartement dans la journée (personnes âgées, personnes avec enfants en bas âge, etc.) chaufferont alors tout l’immeuble à leurs frais…
Enfin, l’investissement nécessaire pour mettre en place l’individualisation et son coût d’exploitation risquent de dissuader de faire des travaux susceptibles de permettre des économies autrement supérieures, ce qui contredit les objectifs du gouvernement.
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