C'est ce qui ressort d'une étude commandée par l’Institut des hautes études pour l’action dans le logement (Idheal) à deux économistes, Tristan-Pierre Maury, professeur à l’Edhec, et Kevin Beaubrun-Diant, maître de conférence à l’université Paris-Dauphine : l'article 55 la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) du 13 décembre 2000, qui fixait aux communes urbaines l’échéance 2020 pour se doter de 20% de logements sociaux au sein de leur parc de résidences principales, a réussi à mieux répartir géographiquement l’offre de logement social dans les communes urbaines mais pas à combler les écarts de revenus entre quartiers ni à enrayer la tendance de fond du marché immobilier entraînant un creusement continu de l’inégalité entre "enclaves de richesse et de pauvreté". Même avec son renforcement par la 1ère loi Duflot de mobilisation du foncier public, du 18 janvier 2013, qui a, pour les communes situées dans les zones les plus tendues, augmenté l'obligation à 25% en reportant l’échéance à 2025.
Les auteurs de l'étude ont, par commune et par section cadastrale - une maille à l'échelle de 900 ménages à Paris et jusqu'à 300 en régions -, à partir des données du service des finances publiques collectées entre 1999 et 2015, recensé le nombre de logements selon leur statut, privé ou social, et les revenus des habitants. Un « indice de ségrégation », de 0 (nulle) à 1 (maximale), a été créé, mesurant l’écart entre le taux de logements sociaux dans un quartier ou une commune, et la moyenne nationale, 15%. Sur l’ensemble de la France, la ségrégation a, en effet, baissé, entre 1999 et 2015, de 8%, et jusqu'à 11% à l’échelle des quartiers. "Un rééquilibrage spectaculaire qui montre que les communes, notamment les moins dotées en logements sociaux, ont fait de réels efforts pour s’en doter", indiquent les auteurs.
Il est vrai qu'au cours de cette période, la production annuelle de logements sociaux est passée d’environ 56.000 en 1999, à 113.000 en 2017, avec des pics à plus de 140.000 en 2009 et 2010. Des emplacements réservés ou des secteurs de mixité sociale ont été inscrits en masse dans les plans d’urbanisme, imposant à tout programme neuf une part de logements sociaux de 25% à 30%. Les bailleurs sociaux ont en pleine crise des subprime sauvé les promoteurs privés en 2008-2009 et assurent depuis auprès d'eux par les achats en VEFA (vente en état futur d'achèvement) près de 50% de la production de HLM, "ce qui aura contribué, par la proximité géographique, à banaliser, anonymiser ce type d’habitat", selon Idheal, commanditaire de l'étude.
A l'inverse, les communes avec un parc HLM de plus de 30% du total de leurs résidences principales ont diminué cette proportion. Elles sont moins nombreuses en 2015 (18,7%), qu’elles ne l’étaient en 1999 (20,3%), et parmi elles, celles avec plus de 50% de HLM ne sont plus que 9,7% en 2015, contre 11,3% en 1999. Les opérations de rénovation urbaine démarrées en 2003 par le ministre de l'époque, Jean-Louis Borloo ont conduit à démolir des HLM pour construire des programmes en accession à la propriété.
Ce tableau est malheureusement moins encourageant lorsqu'on descend plus finement dans le tissu urbain. Les revenus des ménages – par unité de consommation (UC), tenant compte de la composition familiale – se sont fortement différenciés pendant la période, selon que ces ménages résident dans le logement public ou privé. Les locataires HLM ont vu leurs revenus moyens augmenter de 30% quand les occupants du parc privé voyaient les leurs augmenter de 45,7%, l’écart entre eux passant en conséquence de 74 à 95% et révèle surtout, selon l'étude, une paupérisation des premiers.
En analysant la répartition des ménages par commune et par quartier selon cinq tranches de revenus, des 20 % les plus modestes (premier quintile) aux 20 % les plus riches (cinquième quintile), les auteurs voient une spécialisation des territoires. Le nombre des « enclaves de pauvreté », avec plus de 40% de ménages très modestes, passe ainsi de 0,6% en 1999, à 1% en 2015. Les calculs indiquent que l'indice de ségrégation mentionné plus haut a progressé de 9 % à l’échelle de la commune et de 10 % à celle du quartier.
Les auteurs rappellent que les communes urbaines assujetties à la loi SRU sont celles qui comptent plus de 1.500 habitants en Ile-de-France et 3.500 en dehors, et appartiennent à une agglomération de plus de 50.000 habitants comportant une ville centre de plus de 15.000 habitants. Sur les 1.152 communes concernées, 629 ont déjà atteint les 25% de logements sociaux, et 523 n'y sont pas encore. 283 n’en sont même pas à la moitié. Parmi les villes de plus de 100.000 habitants, les plus en retard sont Nice, Toulon, Aix-en-Provence et Boulogne-Billancourt.
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