D'aucuns ont appelé cela la "révolte des beaux quartiers" : la multiplication des ventes de patrimoines de logements détenus par des "investisseurs institutionnels" - banques, assurances, sociétés immobilières d'investissement, SCPI, etc. -, principalement là où il y a des plus-values intéressantes à réaliser et par conséquent dans les secteurs chers de la capitale ou des grandes métropoles de province, a suscité des protestations croissantes des locataires des immeubles concernés, souvent influents, et une campagne de presse à la fin de l'année dernière, obligeant parlementaires et gouvernement à réagir (nos "brèves" précédentes - v. notamment "Ventes à la découpe : la surenchère ?"). Un amendement "anti-marchands de biens" déposé par le PS a même été adopté dans le cadre de la loi de finances pour 2005 (1)...
Le ministre délégué au logement et à la ville, Marc-Philippe Daubresse, sous la pression de la surenchère de ses collègues de la justice et de l'économie, et de prises de position de la mairie de Paris et de parlementaires de tous bord, se devait de faire quelque chose et a tenté de susciter un accord entre représentants des bailleurs et associations de locataires au sein de la Commission nationale de concertation (CNC) : la loi prévoit, en effet, qu’au sein de cette commission peuvent être conclus entre une ou plusieurs organisations de bailleurs et de locataires des accords collectifs de location dont l’application peut être étendue à l’ensemble des logements du secteur locatif concerné.
Trois associations sur quatre ont accepté le 31 janvier dernier le principe d'un aménagement de l’accord collectif de location du 9 juin 1998 (2) afin de mieux protéger les locataires "fragiles" qui ne peuvent se porter acquéreurs du logement qu’ils habitent en raison des prix proposés du fait de la flambée de l'immobilier.
Le projet d’accord, en cours de rédaction, qui sera présenté aux membres de la commission comprendra les principales dispositions suivantes :
1) Afin de permettre au locataire qui n’achète pas son logement de trouver une solution adaptée à ses besoins, le locataire pourra rester dans son logement, dès lors qu’il l’occupe depuis au moins six ans, pour une durée d’un mois par année d’ancienneté. La durée du bail restant à courir et la prorogation du bail ne pourront dépasser au total trente mois.
2) Lorsque le locataire est âgé de plus de 75 ans à la date d’expiration de son bail, ce bail sera renouvelé, quel que soit le revenu du locataire ; toutefois, cette disposition ne sera pas applicable aux personnes assujetties à l’impôt sur la fortune.
3) Lorsqu’un locataire a une invalidité importante, son bail sera aussi renouvelé.
4) Lorsque le locataire ne se porte pas acquéreur de son logement et qu’il justifie d’un revenu ne dépassant les plafonds de ressources du PLI (prêt locatif intermédiaire - 30 580 euros de revenus imposables pour une personne seule à Paris, par exemple), au lieu de 80% des plafonds dans l’accord de 1998, le congé ne peut lui être délivré sans une proposition de logement compatible avec ses besoins.
5) Le non respect des dispositions précédentes entraînera de plein droit la nullité du congé pour vente.
Si ces conditions ne sont pas respectées par les bailleurs, cela entraînera la nullité du congé pour vente, a précisé le ministre.
La signature de l’accord permettra d’engager, dans les conditions prévues par la loi, la procédure donnant, par décret, force obligatoire à l’accord pour tous les logements des secteurs locatifs II et III (3).
Même signé, l'accord ne fait pas l'unanimité : la CGL (Confédération générale du logement fait remarquer notamment que les préconisations de la CNC peuvent être contournées car elles ne s'appliquent qu'à certaines catégories de bailleurs (compagnies d'assurances, établissement de crédit...) et ne créent aucune obligation pour les "investisseurs personnes physiques".
Reconnaissant ne pas tout régler avec cet accord, M. Daubresse a précisé que la future loi sur le logement, intitulée "Habitat pour tous", maintes fois annoncée et dont on apprend cette fois qu'elle doit être présentée au conseil des ministres au mois d'avril, va contenir "des dispositifs anti-spéculatifs". "Certains nécessitent des expertises juridiques approfondies", afin de ne pas remettre en cause le droit de propriété, a-t-il cependant précisé...
(1) article 105 de la loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005 - voir le dossier législatif
(2) voir notre article "Quand le propriétaire vend le logement loué... "
(3) en aplication de l'article 41 ter de la loi du 23 décembre 1986
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