La
pratique a instauré deux types de mandats, le
mandat simple et le mandat exclusif. Et quelques "hybrides"
souvent dénommés "semi exclusifs".
Ce, en toute conformité avec le Code civil et
les prescriptions d'ordre public de la loi Hoguet (loi
n° 70-9 du 2 janvier 1970).
Le
mandat "simple" permet au propriétaire
de mandater parallèlement plusieurs agences,
et de s'occuper également lui-même de la
vente de son bien. En mandat simple, l'agence a statistiquement
seulement une chance et demie sur dix de parvenir à
la vente du bien, donc d'être payée, ce
qui ne favorise ni son implication ni la mise en oeuvre
de moyens onéreux.
Le
mandat "exclusif" est donné
à une seule agence, laquelle aura sept chances
sur dix de vendre : en contrepartie elle peut et doit
s'investir pleinement pour satisfaire son mandant. Un
tel mandat est traditionnellement assorti d'une clause
pénale, aux termes de laquelle le mandant qui
vend lui-même alors qu'il en a donné mission
à un unique agent immobilier doit une indemnité
au professionnel. Cette indemnité est souvent
fixée à la moitié de la commission
prévue.
C'est
cette clause pénale qui est dans le collimateur
du projet de loi de Monsieur Frédéric
LEFEBVRE relatif à la protection du consommateur.
La commission des affaires économiques de l'Assemblée
Nationale y a introduit, avec le soutien du gouvernement,
un amendement surprise visant à l'interdire ;
ce qui viderait en fait le mandat exclusif de toute
substance. Cet amendement a été adopté
par les députés le 11 octobre 2011.
Au
Sénat, le suivi de ce projet de loi est assuré
par Monsieur le Sénateur Alain FAUCONNIER, rapporteur
à la Commission Economique.
Pour
ses promoteurs, cette mesure permettrait au particulier
vendeur de vendre lui-même, par exemple en passant
des annonces de son côté, et stimulerait
la concurrence entre professionnels, les amenant à
hausser le niveau de leurs prestations et à baisser
le coût de leurs honoraires.
Nous
allons voir qu'il n'en est rien, et qu'une telle mesure,
si elle était adoptée, obligerait au contraire
tous les agents immobilier à travailler dans
la médiocrité la plus totale, tout en
leur donnant le choix entre augmenter leurs tarifs ou
déposer le bilan. Ce, sans rien ajouter à
la protection du consommateur.
Mandat
simple, mandat exclusif, deux façons très
différentes de travailler
En
mandat simple, compte tenu du très faible
retour sur investissement, l'agent immobilier doit faire
de la quantité. Chaque négociateur doit
avoir en moyenne soixante biens à vendre, et
il ne peut donc pas s'en occuper correctement. Le voudrait-il
d'ailleurs, qu'il serait vite découragé
de constater que ses efforts n'aboutissent à
rien huit fois et demie sur dix, quand d'autres agences
et le propriétaire lui-même peuvent vendre
à tout moment, le privant de toute chance de
percevoir sa rémunération.
Ce
mode de fonctionnement ne satisfait personne. Il est
à l'origine de la mauvaise réputation
des agents immobiliers, accusés de ne pas assez
s'occuper de leurs clients. Mais il ne faut pas oublier
que la loi "Hoguet" (loi n° 70-9 du 2
janvier 1970) interdit toute rémunération
tant qu'une affaire n'est pas conclue, et comme il faut
avoir beaucoup d'affaires en stock pour un piètre
résultat, le temps et les moyens manquent pour
s'attarder sur une affaire en particulier. Quant aux
honoraires, ils sont trop élevés pour
le service rendu, la déperdition étant
très importante : les honoraires de l'agence
doivent être élevés pour qu'une
affaire réussie finance le temps et l'argent
perdus sur la majorité des mandats infructueux.
Le "journal de l'agence" a estimé le
prix de revient d'un mandat à 950 € !
En
mandat exclusif, le professionnel a beaucoup plus de
chances de parvenir à la vente donc il va tout
mettre en oeuvre pour cela. Il prend des engagements
précis, écrits, pour obtenir l'exclusivité,
et les respecte pour éviter une dénonciation
prématurée du mandat. Il va pouvoir constituer
un dossier de qualité, en réalisant par
exemple les plans du logement , en mettant en ligne
une visite virtuelle, en consentant un budget important
en publicité et en concentrant ses efforts sur
peu de biens : un négociateur qui travaille en
mandat exclusif s'occupe en moyenne de seulement 15
biens simultanément.
De
plus il y a quelques années sont apparus des
fichiers communs de mandats exclusifs. Ils sont redoutables
d'efficacité, pour le vendeur comme pour l'acquéreur.
Le vendeur obtient une grande diffusion de son bien
auprès de nombreux professionnels, et l'acquéreur
n'a pas besoin d'aller voir toutes les agences, chacune
pouvant proposer les biens des autres.
Ce
mode de fonctionnement satisfait parfaitement le vendeur.
Le rapport tarif/prestations est beaucoup plus favorable
au client. Pour preuve, les mandats exclusifs sont rarement
dénoncés, même après la période
d'irrévocabilité de trois mois maximum
(souvent raccourcie contractuellement pour obtenir le
mandat).
Et cela commence à se savoir. Le mandat exclusif
est de moins en moins perçu comme une contrainte,
mais comme un vecteur d'efficacité !
Quelle est la protection actuelle du consommateur
qui signe un mandat exclusif ?
La
protection du consommateur, certes nécessaire,
est déjà bien assurée.
Dès
sa signature, le mandant peut annuler dans les sept
jours, par LRAR, tout mandat signé à son
domicile ; cela concerne la quasi totalité
des mandats. ( Code de la Consommation, articles
L 121-23 et suivants).
L'article
78 du décret n°72-678 du 20 juillet 1972
impose de mentionner toute clause d'exclusivité
en caractères très apparents.
La
durée d'irrévocabilité d'un mandat
exclusif est limitée à trois mois (art
72 du décret n°72-678 du 20 juillet 1972)
; le mandant peut ensuite dénoncer le mandat
à tout moment, avec un préavis de quinze
jours. Rapporté au délai de vente moyen
actuel de six mois, sauf à Paris, ce délai
est très court ! Malgré cela sur le terrain
ce délai est très souvent raccourci, de
très nombreux mandats prévoient une irrévocabilité
ramenée à un ou deux mois.
Et
le mandant n'est pas "pieds et poings liés"
à son mandataire : il a toujours le droit, à
tout moment, de révoquer le mandat sans préavis.
(Cour de cassation, 5 juillet 2006, n° 05-12418).
Que gagnerait le consommateur avec cette réforme
?
Le
vendeur gagnerait la liberté de promouvoir lui-même
la vente de son bien, nous dit-on, de passer des annonces
de son côté, assurer les visites, etc.
: mais il a déjà cette possibilité,
c'est le mandat simple !
Non,
sa nouvelle liberté sera celle de profiter d'un
effet d'aubaine, de pouvoir vendre à des clients
qui auront trouvé le bien sur internet, grâce
à la valorisation qu'en aura faite l'agence,
laquelle les aura bien sûr longuement renseignés
au téléphone. Il ne leur restera qu'à
la contourner pour contacter directement le vendeur.
Ce sera le cas plus de neuf fois sur dix. Que
préfèrera le vendeur, ainsi sollicité
? Profiter en toute légalité du travail
de l'agence sans la payer, comme c'est déjà
si souvent le cas en mandat simple ? Ou exiger de passer
par l'agence malgré l'insistance de l'acquéreur
? D'autant que l'acquéreur qui a ainsi trouvé
le vendeur lui dit en général qu'il a
eu connaissance de la vente du bien par un voisin, un
concierge, la mairie
Tous les travers du mandat simple
Travailler
gratuitement n'a qu'un temps. Les agences devraient
donc se résoudre, comme en mandat simple, à
avancer masquées : pas d'indication trop précise
sur la localisation, les écoles proches. Impossible
de publier une photo qui permettrait d'identifier trop
facilement le bien. Finie la géolocalisation
sur internet qui pourtant est le premier critère
de recherche de l'acquéreur. Pas de mention de
la piscine car on la trouverait trop facilement sur
Google maps.... Et ce serait la fin des services liés
à l'exclusivité : plans en 3 D, visites
virtuelles, vidéos, diagnostics offerts, belle
communication sur papier glacé, sites internet
performants donc chers ; la fin des fichiers communs
; et des garanties offertes par les agences en contrepartie
de l'exclusivité : garantie "nouvel emménagé"
de bon fonctionnement de tous les appareils, garantie
revente, garantie "honoraires offerts" en
cas de non vente dans le délai prévu...
Et
quand cela se saura qu'on peut éviter de payer
l'agence dans tous les cas, quel que soit le type de
mandat, en contactant directement le propriétaire,
ce sera la curée. Il ne restera plus aux agences
immobilières qu'à rendre leur carte professionnelle
et à se transformer en agences de publicité.
La suppression du mandat exclusif, bien loin de la
stimuler, fausserait la concurrence !
La
meilleure concurrence entre professionnels, c'est le
mandat exclusif qui oblige à hausser le niveau
de ses prestations pour l'obtenir et le conserver. Cette
saine concurrence se fait sur le rapport prix/prestations.
Elle oblige l'agence à élaborer un catalogue
de services, à le présenter au client,
à prendre des engagements écrits et à
les respecter. Et à partir sur de bonnes bases,
c'est à dire avec un prix de vente raisonnable,
qui permettra de vendre dans le délai imparti,
sans quoi le vendeur, insatisfait, dénoncera
le mandat.
La
concurrence entre professionnels en mandat simple se
fait uniquement sur le prix de vente du bien, au détriment
des prestations. Le vendeur surestime presque toujours
son bien au départ. De tels mandats sont pris
pour des biens même beaucoup trop chers parce
qu'il faut se rattraper sur le nombre, et on attend
que le client, de guerre lasse, finisse par baisser
le prix.
Les effets de cette réforme seraient catastrophiques
pour la profession et les consommateurs.
Les
professionnels, contraints et forcés, retomberaient
immédiatement dans le quantitatif et la médiocrité,
exactement comme en mandat simple, au détriment
des vendeurs ET des acquéreurs. Le tout accompagné
d'une forte augmentation des tarifs pour pallier
la baisse inéluctable du taux de transformation
(nombre de ventes/nombre de biens à vendre).
Et d'un grand nombre de dépôts de bilan.
On
nous dit qu'il n'y a que 10 % de mandats exclusifs en
France. Mais cela représente globalement 40 %
du chiffre d'affaires des agences, près de 100
% pour les plus innovantes qui ont mis en place de nombreux
services liés à cette exclusivité.
Ce
serait une véritable catastrophe pour la profession,
surtout pour ceux qui, depuis des années, apportent
de plus en plus de services à leurs clients.
Mais pas seulement : tous les fournisseurs des agences
immobilières vont en souffrir !
Rappelons
que le nombre d'agences a déjà fondu de
20 % lors de la crise de 2008-2009 !
Mais
aussi que le monde de l'immobilier ne se résume
pas aux agents immobiliers. Les notaires en particulier,
et maintenant les avocats, pratiquent également
la vente immobilière. Ce texte ne les concernant
pas, introduirait une discrimination entre professionnels.
Et quelle profonde atteinte au principe de la libre
convention des parties !
Pourquoi
empêcher le propriétaire d'un bien de signer,
s'il le souhaite, un mandat exclusif, en assumant
ses responsabilités et en toute reconnaissance
d'une clause pénale, et de bénéficier
ainsi de tous les services qui y sont attachés
? Après tout, c'est bien lui qui paie l'agence,
puisque les honoraires sont déduits de la somme
qui lui revient au final. Et ce n'est pas plus cher
pour l'acquéreur, puisque le bien se vend au
final au prix du marché, honoraires de l'agence
compris, et pas un centime de plus parce qu'une agence
s'en occupe !
Et dans les autres pays ?
Le
"mandat simple" est une spécificité
bien française. Dans les pays anglo-saxons, notamment,
pourtant très consuméristes, c'est le
mandat exclusif qui est plébiscité à
plus de 90 %. Et les honoraires des agences y sont 40
% moins élevés qu'en France ! Ceci explique
cela.
Ce
n'est donc pas le mandat exclusif qu'il faut supprimer,
mais bien le mandat simple qu'il faut marginaliser !
Par
Jean Claude Miribel, fondateur du réseau
d'agences immobilières CIMM-IMMOBILIER
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