500.000 logements par an ?
Chargée par le président de la République de mettre en musique en priorité deux des engagements de campagne pris par le candidat Nicolas Sarkozy, à savoir construire chaque année 500.000 logements, dont 120.000 logements sociaux, et augmenter la proportion de français propriétaires de leur logement (une "France de propriétaires"), notamment en vendant 40.000 logements sociaux par à leurs occupants, Christine Boutin, la ministre du logement et de la ville, a fort à faire !
Sur le premier, elle a dû faire face au scepticisme poli de la FFB (fédération française du bâtiment), qui se dit prête à relever "ce formidable défi de mettre en chantier 15% de logements supplémentaires par an", en précisant cependant que ce sera "pour l'année 2009", et pas avant, contrairement au souhait du président qui a souhaité que ce chiffre soit atteint dès 2007. Un objectif que même la ministre a il est vrai jugé "fort difficile à atteindre".
Prête à "amplifier ses efforts", y compris "en faveur de l'emploi", la FFB demande qu'en "contrepartie, les pouvoirs publics s'engagent à améliorer la visibilité en matière de programmation, à aligner les délais de paiement clients/fournisseurs, à pérenniser les dispositifs fiscaux en faveur du logement et à garantir la sécurité des chantiers dans les zones sensibles"...
Du volontarisme aux réalités
Même tonalité du côté du SNAL (Syndicat national des aménageurs et lotisseurs), qui dénonce les impasses de la planification, les blocages dans la production du foncier, et qui formule 15 conditions pour résoudre la crise actuelle et atteindre la construction des 500.000 logements par an : réviser les plans locaux d'urbanisme pour en faire des outils de programmation urbaine et desserrer les contraintes sur la constructibilité, notamment le long des lignes de transport en commun, multiplier les espaces mixtes alliant emplois et habitat, au lieu de les spécialiser, lutter contre la rétention foncière des établissements publics fonciers, d’initiative locale ou d’État qui se créent avec pour objectif avoué de favoriser la production de logements ne fassent en réalité de la rétention foncière (...), comme celle des particuliers, etc.
Concernant plus spécifiquement le logement social, passer de 90.000 à 120.000 logements sociaux nouveau par an ne sera pas une mince affaire, et sera de toutes façons insuffisant : en effet, ce chiffre inclut les constructions après démolition dans la cadre des opérations de rénovation urbaines de l'ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), dont l'activité monte en puissance et - c'est une des critiques qui lui sont formulées - détruit plus qu'elle ne construit...
Une fausse bonne idée ?
Sur la vente des logements HLM, la déception risque d'être encore plus grande : les Offices publics de l’habitat, une des branches de l’USH (Union sociale pour l'habitat, ex Union des HLM) se sont fermement prononcés "contre une vente massive des logements locatifs sociaux", estimant que l’on ne peut pas vouloir une "France de propriétaires en vendant massivement le parc des logements locatifs sociaux". Le président de la République avait en effet demandé que soient vendus 40.000 logements à leurs locataires chaque année. Les offices d’HLM, peu enclins à se muer en syndics de copropriété, voient plutôt dans une telle politique un danger de "nouvelles difficultés d’endettement et d’entretien des immeubles"...
Certes cette hostilité affichée ne vient que d'une partie du mouvement, la Fédération des SA d'HLM s'étant déclarée "plutôt favorable à la signature d'un accord sur la base énoncée par le gouvernement". Mais cela les engage-t-il à grand chose ? En fait, la vente de HLM à leurs occupants se pratique déjà et nombre d'organismes, y compris des offices publics s'y sont déjà essayés ; mais en 2006, seuls 5.600 locataires sont devenus propriétaires par ce biais. La mise en vente d'ensembles locatifs sociaux n'est en effet pas une mince affaire : longue et délicate, elle exige de la part des sociétés ou des organismes HLM propriétaires de s'investir lourdement, de préparer la mise en copropriété par des travaux de remise en état souvent importants, puis d'assurer eux-mêmes la gestion des syndicats des copropriétaires, en accompagnant du mieux possible leurs acquéreurs du statut de locataire à celui de copropriétaire...
La loi "ENL" du 13 juillet 2006 a bien créé un outil pour mener à bien cette transition, les "SCI (sociétés civiles immobilières) d'accession progressive à la propriété", en fait des SCI d'attribution, qui lient la possession de parts à l'attribution de parties privatives dans un immeuble collectif, propriété dans son entier de la SCI : dans ce cadre, les locataires peuvent acquérir progressivement les parts de leur logement, avec possibilité de retour arrière, et ne deviennent pleinement propriétaires que lorsqu'ils en ont acheté la totalité ; ils sortent alors de la SCI.
Le problème est que ce type de montages, avec la cohabitation pendant des années sur le même ensemble immobilier d'une SCI et d'une copropriété, sont dans la pratique d'une telle complexité qu'il est douteux que cet outil soit - même si l'amendement à la loi "ENL" qui l'a créé était défendu par... Christine Boutin - plébiscité par les propriétaires d'HLM...
Il est peu probable dans ces conditions qu'une convention signée entre le gouvernement et les organismes ou les fédérations, même assortie d'engagements chiffrés permette d'atteindre les objectifs fixés, pas plus que la menace, brandie par la ministre, d'une loi - inapplicable - les obligeant à vendre 40.000 logements par an s'ils refusaient de poursuivre cet objectif dans le cadre d'un accord signé avec le gouvernement ! D'autant que nombre d'acteurs du secteur, à commencer par les associations de locataires, mais aussi de nombreux organismes voient dans une politique de vente massive d'HLM une machine à fabriquer des copropriétés en difficulté et de la dégradation urbaine...
Un plan B, et quelques consolations
Amorce d'une retraite en bon ordre, la proposition de Christine Boutin à l’USH et à la Caisse des dépôts d'une "charte d’utilité sociale" à laquelle les organismes de logements sociaux pourraient adhérer traitant du "développement et de la respiration du patrimoine", avec un indicateur synthétique sur la construction, la vente et la réhabilitation, et un engagement sur la qualité de services dans le cadre des conventionnements globaux de patrimoine.
Cette démarche serait accompagnée par un financement spécifique de la Caisse des dépôts ou des dispositions particulières de type accès privilégié au foncier public.
Par ailleurs, la ministre a lancé une réflexion sur "un dispositif de solidarité" entre organismes HLM, qui pourrait prendre la forme d’un soutien en fonds propres via un fonds de péréquation ou la mise en place de prêts participatifs à rembourser ; cette proposition est analysée comme un contre-feux par les participants au congrès HLM : faute de réussir à faire signer un contrat d’objectif sur la vente de HLM, en raison de l’opposition de la Fédération des offices, le gouvernement pourrait chercher à aboutir à un contrat plus large, intégrant la construction, les réhabilitation et la vente, avec à la clé une promesse d’aide supplémentaire et une menace : un mécanisme de solidarité entre les organismes "riches" et les autres, qui ne pourrait que diviser le monde HLM...
Consolation tout de même pour la ministre : la Caisse d'Epargne, s'est engagée à mettre en vente 7.000 logements sociaux dans les cinq ans à venir, sur le parc de 140.000 logements qu'elle gère... Hélas, une goutte d'eau ! De surcroît, le geste n'est pas sans dimension politique puisque la bonne volonté du groupe bancaire est conditionnée à la mise en place de nouveaux dispositifs pour les futurs propriétaires, tels que des prêts à taux zéro majorés ou encore des plans de financement sécurisé intégrant des possibilités d'allègements fiscaux. !
Dans le chapitre des bonnes nouvelles, à citer aussi l'annonce de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) qu'elle participerait au financement des travaux de réhabilitation des logements HLM vétustes, notamment ceux qualifiés de "passoires thermiques" pour leur permettre d'être plus économes en énergie. Par ailleurs un nouveau type de prêt - au taux bonifié de 3% - sera lancé à destination des autres logements anciens les plus consommateurs d'énergie, avec une enveloppe de 1 milliard d'euros, jusqu'en 2010. Disponibles à partir du 1er janvier 2008, ces prêts "pourront permettre la réhabilitation de 180.000 logements dans les trois ans", a estimé Augustin de Romanet, et la CDC "mobilisera 57 millions d'euros en faveur de ce dispositif".
De son côté, la Banque européenne d'investissement (BEI) a annoncé consacrer une enveloppe de 500 millions d'euros au financement du logement social en France. Deux contrats d'un montant de 125 millions d'euros ont été signés pour attribuer deux premières tranches de ce programme, avec le Groupe caisse d'épargne (GCE), et avec le groupe bancaire franco-belge Dexia.
Pluie de chartes et conventions
Justifiant son déplacement, la ministre du logement n'a par ailleurs pas chômé : d'une "réunion de chantier" à l'autre, peu de secteurs ont manqué à l'appel, qui pour présenter des propositions, qui pour signer des chartes et catalogues d'engagements, la plupart du temps pieux, mais toujours médiatiques. Ainsi :
- l'UNCMI (Union nationale des constructeurs de maisons individuelles) qui propose en partenariat avec le Crédit Foncier la mise en place d'un "prêt à 0% vert" ;
- la Sovafim - société créé en 2006 et chargée par le gouvernement de mettre en œuvre les dispositions de la loi des finances 2006 permettant de déclasser les biens immobiliers inutiles de Réseau ferré de France (RFF), afin de construire 2.800 logements - qui s’engage à réduire les délais administratifs et, si les communes ne souhaitent pas acheter les terrains déclassés, de les proposer à des constructeurs privés...
- l'architecte Roland Castro qui lui a présenté son projet pour "le Grand Paris", cher au Président Sarkozy, qui vise à transformer l'agglomération parisienne en une métropole d'échelle mondiale à l'image du Grand Lyon ;
- l'ANRU et la CAPEB (Confédération de l’artisanat et des petites entreprises de bâtiment) qui ont signé une convention, pour une période expérimentale de 18 mois, visant à aider les petites entreprises du bâtiment à répondre aux appels d’offre lancés par l'ANRU, et à promouvoir l'emploi des jeunes, recrutés dans les quartiers sur lesquels se déroulent les chantiers...
- une pléiade d'organisations de professionnels de l'immobilier, tels la CAPEB, le SNAL, la FFB, l'UNCMI, et l'USH déjà cités, plus le Conseil Supérieur du Notariat, la FNAIM (Fédération nationale de l’immobilier), la FPC (Fédération des promoteurs constructeurs, la Fédération nationale des experts de la construction et de l’immobilier, l’Ordre des géomètres-experts, et l’UESL (Union d’économie sociale pour le logement, qui se sont engagés avec l'ANIL (agence nationale pour l'information sur le logement) dans une Convention à présenter de façon objective le rôle de chacune de leurs professions, expliciter le cadre légal dans lequel ces métiers sont exercés et détailler les garanties offertes aux particuliers, garantir la transparence de leurs prestations et éviter toute publicité mensongère, ne pas proposer des services entraînant des conflits d’intérêts susceptibles d’influencer le choix des consommateurs, et enfin à fournir un avis réaliste sur la viabilité économique des projets. Il est vrai que la DGCCRF était récemment passée par là...
Des annonces à suivre
Réaffirmant sa volonté, tout dans l'air du temps, de "faire bouger les lignes", et faire reculer "les conservatismes et les immobilismes, y compris dans le monde HLM", Christine Boutin a annoncé dans son discours de clôture au congrès HLM une prochaine remise à plat des aides à la personne et des aides à la pierre, avec une "fusion des trois aides actuelles – APL, ALF et ALS – et une modulation plus équitable du barème et de son indexation". Il n’est pas question, en revanche, de revenir sur l’indexation de ces aides sur l’IRL, l’indice de référence des loyers, a-t-elle assuré.
Autre sujet lancé : une meilleure "adaptation des loyers des logements sociaux aux revenus". Concernant l’accès au logement social, la ministre souhaite "faire évoluer la notion de droit au maintien dans les lieux vers un principe de droit au maintien dans le parc social", arguant que les occupant du parc HLM "qui ont des ressources élevées doivent se voir appliquer un loyer proche du marché". Quelques jours auparavant, Michel Delebarre, président de l'USH, avait prévenu que le problème n'était pas si simple, et que "les loyers privés dans les agglomérations importantes sont le double des loyers HLM" ; "qualifier l'ensemble des locataires HLM de rentiers en raison d'une hausse excessive des prix du marché ne nous paraît pas être la bonne façon d'aborder cette question de la mobilité", a-t-il insisté. "Les revenus des locataires n'ont pas doublé en sept ans, à la différence des prix immobiliers" et "nous restons attachés à la notion de loyer modéré", a-t-il ajouté...
Dans un autre registre, la ministre a aussi rappelé son attachement à définir des actions en faveur du développement durable qui bénéficieraient à toutes les catégories de revenus.
Enfin, Christine Boutin a réitéré son attachement à la mise en oeuvre du droit au logement opposable, le "DALO". Une semaine avant, elle avait dû essuyer un tollé quasi unanime de la part des membres du comité de suivi qu'elle avait mis en place quelques semaines auparavant, après avoir présenté un projet de décret d'application qui le vidait en grande partie de sa substance : dans ce projet, les commissions de médiation qui doivent être mises en place dans chaque département d'ici à la fin de l'année afin de désigner les personnes à loger ou à héberger en urgence, examineront les demandes "au regard des circonstances locales", c'est-à-dire en fonction de l'offre locative existante et des capacités d'accueil des structures d'hébergement ! Gérer dans la limite des stocks disponibles, ne change pas grand chose par rapport à la situation actuelle, ont fait remarquer les membres du comité...
Autre sujet d'inquiétude : le projet de décret mentionnait quatre publics éligibles alors que la loi en cite six. Les personnes dépourvues de logement et celles qui vivent "dans des locaux impropres à l'habitation ou présentant un caractère insalubre ou dangereux" ne figurent pas dans le texte élaboré par les services du ministère !
Un nouveau texte a été soumis par le ministère, corrigeant ces deux lacunes...
Enfin notons pour le moment une grande absente parmi les promesses présidentielles : celle de la suppression du dépôt de garantie que doivent verser les locataires en contrepartie d'une garantie de loyers universelle accordée aux bailleurs. Interrogée à ce sujet lors de son entrée en fonctions, Christine Boutin avait, quelque peu inconsidérément avancé qu'elle était pratiquement satisfaite par la GRL, mentionnée plus tôt et mise en place par son prédecesseur, ce qui n'est évidemment pas le cas !
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